La journaliste azerbaïdjanaise Khadija Ismaïlova placée en détention provisoire
La célèbre journaliste Khadija Ismaïlova a été placée en détention provisoire pour une durée de deux mois sur décision d’un tribunal de Bakou, le 5 décembre 2014. Elle est officiellement accusée d’avoir "incité au suicide" un de ses collègues. Reporters sans frontières dénonce cette décision inique et demande sa remise en liberté immédiate.
Libérez Khadija Ismaïlova !Pétition
Un tribunal du quartier de Sabaïl, à Bakou, a décidé le 5 décembre 2014 de placer en détention provisoire Khadija Ismaïlova, qui figure sur la liste des cent héros de l’information mise en avant par Reporters sans frontières à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai dernier. L’ancienne directrice de Radio Azadlyg (service azerbaïdjanais de Radio Free Europe / Radio Liberty) collabore avec de nombreux autres médias. Elle est notamment connue pour ses enquêtes approfondies sur la corruption au plus haut niveau de l’État, un sujet très sensible qu’elle est l’une des seuls à avoir le courage de couvrir.
Sur la base de l’article 125 du Code pénal, elle est accusée d’ “avoir incité au suicide” Toural Moustafaïev. Cet ancien collaborateur de Radio Azadlyg et d’un autre média indépendant, Meydan TV, aurait tenté de mettre fin à ces jours deux mois auparavant. Les conclusions de l’enquête auraient abouti à la responsabilité de Khadija Ismaïlova. Toural Moustafaïev a déclaré à Meydan TV qu’il ne peut pas communiquer sur ses dépositions car il a signé une clause de non-divulgation, mais selon les proches de Khadija Ismaïlova, il aurait déclaré aux enquêteurs qu’elle l’aurait licencié de Radio Azadlyg, qu’elle dirigeait alors.
Avant d’être présentée au tribunal, la journaliste avait été convoquée pour être interrogée par le procureur de la ville dans le cadre de cette affaire. Son avocat Elton Gouliev n’avait alors pas eu le temps de communiquer aux médias plus de détails, mais n’avait pas exclu que la journaliste puisse être arrêtée. Khadija Ismaïlova avait prévenu ses proches avant d’entrer au tribunal de lui apporter des vêtements et ses médicaments.
“Nous sommes scandalisés par ces accusations fallacieuses et cette privation de liberté inique, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Les campagnes de diffamation lancées il y a deux ans atteignent ici leur paroxysme. L’arrestation de Khadija Ismaïlova, figure de proue du journalisme d’investigation indépendant en Azerbaïdjan et référence en la matière, est la preuve que les autorités sont plus déterminées que jamais à éradiquer toute opposition. Nous exhortons la justice à faire preuve d’indépendance, à abandonner toutes les charges qui pèsent contre elle et à la libérer dans les plus brefs délais. Les autorités doivent cesser tout type d’acharnement à son encontre !”
La veille de cette prise de décision, le directeur de l’administration présidentielle, Ramiz Mekhtiev, avait prononcé un discours sur “Les doubles standards de l'ordre mondial et l’Azerbaïdjan contemporain”. A cette occasion, il avait, entre autres, accusé Khadija Ismaïlova de diffuser un discours haineux à l’encontre de l’Azerbaïdjan au profit de ses “amis”, faisant référence aux pays occidentaux.
Khadija Ismailova fait l’objet de pressions et de persécutions de la part des autorités depuis plusieurs années, en raison de son travail d’investigation. En 2012 et 2013, elle a été victime d’une campagne calomnieuse et de tentatives de chantage à base de vidéos explicites, tandis qu’en février 2014, elle a été accusée d’espionnage au profit des Etats-Unis.
Alors que les autorités azerbaïdjanaises exercent une répression sans précédent à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et de ceux qui les soutiennent, l’acharnement judiciaire dont Khadija Ismaïlova fait l’objet s’est intensifié ces derniers mois. Elle est poursuivie pour diffamation dans le cadre d’un procès qui s’est ouvert le 9 octobre, par un ancien membre du parti du Front populaire. Ce dernier l’accuse de l’avoir calomnié dans l’une de ses publications où elle souligne sa collaboration avec les services de renseignement pour mener des activités subversives au sein de l’opposition. Le 12 octobre 2014, le procureur général lui a interdit de sortir du territoire national. Deux semaines plus tôt, elle s’était rendue au Parlement européen afin de parler de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, et de témoigner au nom de ses collègues emprisonnés. Lors de son voyage, elle a reçu de nombreuses menaces anonymes, et à son retour de Strasbourg, le 3 octobre, elle a été interpellée pendant quatre heures à l’aéroport de Bakou.
Pas moins de quinze journalistes et blogueurs, dont le droit à un procès équitable n’est jamais respecté, sont actuellement incarcérés en lien avec leurs activités d’information. L’Azerbaïdjan est placé au 160e rang sur 180 pays dans le Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
(Photo : contact.az)