La“dignité d’un chef d’Etat“ pourrait coûter 8 millions d’euros

Reporters sans frontières juge exorbitante et dangereuse la réclamation financière de l’avocat conseil de Mouammar Kadhafi faite à trois quotidiens marocains, Al-Jarida Al-Aoula, Al-Ahdath Al-Maghribia et Al-Massae. Les trois rédactions risquent de devoir payer, ensemble, la somme de 90 millions de dirhams (8 millions d’euros) de dommages et intérêts pour “atteinte à la dignité d’un chef d’Etat“, en vertu de l’article 52 du code de la presse. « La justice marocaine doit classer cette plainte sans suite Cette demande de dommages et intérêts va au-delà de ce que prévoit le code de la presse marocaine et met en péril la survie de ces trois journaux. En cas de sanction, le danger est grand de voir la presse marocaine muselée et se censurer », a déclaré l’organisation. En mai 2009, une plainte a été déposée par le ministère de la Justice du Maroc contre Ali Anouzla directeur du journal Al-Jarida Al-Aoula, Mohamed Brini et Mokhtar Labzioui d’Al-Ahdath Al-Maghribia, ainsi que contre Rachid Nini et Youssef Meskine, du quotidien Al-Massae, pour avoir “outragé“ le président libyen. Maître Ali Belkadi, avocat marocain, chargé de représenter les intérêts de Mouammar Kadhafi, a demandé, au cours de l’audience devant le tribunal de Casablanca le 15 juin 2009, le versement de 30 millions de dirhams à titre de “dommages et intérêts“. Contacté par Reporters sans frontières, Mohamed Brini, directeur de publication du journal Al-Ahdath Al-Maghribia, a expliqué que les trois articles à l’origine de la plainte contre son journal sont des tribunes d’opinion. Le premier, écrit par Mokhtar Labzioui, critique l’attitude de la Libye suite à la décision du tribunal de Genève de poursuivre Hannibal Kadhafi, fils du numéro un libyen, pour “violence sur du personnel domestique“, en juillet 2008. Le second article du même journaliste raille la manière dont la chaîne Al-Jazeera a pu encenser des leaders politiques tels que Hugo Chavéz et Mouammar Kadhafi. Le troisième article, publié dans les pages “Forum“ du journal reprend une analyse, par un écrivain marocain, du petit Livre vert, œuvre du Guide libyen. « Non seulement il s’agit d’articles d’opinion, mais c’est la première fois que le gouvernement marocain engage directement des poursuites, pour le compte d’un dirigeant étranger. Cette affaire présente un danger important pour la liberté de la presse au Maroc aujourd’hui, notamment quant à toute critique en matière de politique étrangère. On se croirait revenus aux années 70, à l’époque de la censure préalable »,a déclaré Mohamed Brini. L’organisation rappelle que l’article 52 du code de la presse sanctionne le “délit d'offense à la personne d'un chef d'Etat étranger“ et prévoit d’un mois à un an de prison et/ou le versement d’une amende allant de 10 000 à 100 000 dirhams (900 à 9000 euros). Le procès doit reprendre le 22 juin prochain.
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Updated on 20.01.2016