La couverture de la révolte du Rif entravée par les autorités marocaines

Depuis le début du mouvement de contestation dans le nord du Maroc en octobre 2016, Reporters sans frontières (RSF) a recensé de nombreuses violations de la liberté d’informer. L’organisation dénonce l’attitude des autorités marocaines qui entravent délibérément le travail des journalistes nationaux et étrangers couvrant les manifestations du Rif.

“La situation des journalistes marocains et étrangers couvrant les événements dans le nord du Maroc ne cesse de se dégrader. À vouloir empêcher la couverture médiatique de la révolte du Rif, les autorités marocaines font peu à peu de cette région une zone de non-droit à l’information indépendante, dénonce Yasmine Kacha, directrice du bureau Afrique du Nord de RSF. Reporters sans frontières appelle par ailleurs les autorités marocaines à libérer tous les journalistes-citoyens arrêtés et à condamner l’ensemble des agressions physiques commises contre les professionnels de la presse qui ne font, en couvrant ces manifestations, que leur travail.”


Le 20 juillet, Hamid El Mahdaoui, directeur du site d’information Badil.info a été arrêté alors qu’il filmait le déroulement des rassemblements d’Al-Hoceïma, interdits quelques jours plus tôt par les autorités. Il comparaîtra devant le procureur du Roi auprès du tribunal de première instance d'Al Hoceïma aujourd’hui, 22 juillet.


Selon l’Agence France Press (AFP) et de nombreux observateurs sur place, la connexion internet a été également ralentie, parfois interrompue, et le réseau téléphonique perturbé dans toute la ville, ce qui a compliqué le travail des journalistes sur place.


Journalistes-citoyens derrière les barreaux


Ces incidents sont les derniers en date et s‘ajoutent à ceux déjà répertoriés par les équipes de Reporters sans frontières. Depuis le 26 mai dernier, 7 journalistes-citoyens et collaborateurs de médias ont été arrêtés dans la région d’Al-Hoceïma, pour leur couverture du Hirak, nom donné au mouvement de contestation populaire qui a éclaté en octobre 2016 dans la région du Rif. L’un d’entre eux, Mohamed El Hilali, directeur du site d’information en ligne Rif Press - qui a été fermé- a d’ores et déjà été condamné à 5 mois de prison fermes pour “insultes aux agents publics durant l’exercice de leur fonction et “manifestation sans autorisation préalable”.


Six autres journalistes-citoyens, Mohamed Al Asrihi et Jawad Al Sabiry collaborent régulièrement pour le média en ligne Rif24, Abd Al Ali Haddou, animateur de la web TV AraghiTV, Houssein Al Idrissi, photographe de Rif Press, Fouad Assaidi, animateur de la page Facebook AwarTV, Rabiaa Al Ablak, contributeur du site Badil.info sont quant à eux actuellement en détention provisoire à Casablanca, dans l’attente de leurs procès.


Tous sont poursuivis pour des faits de droit commun et non selon le code de la presse, dénonce Maître Ahmed Ait Bennacer. D’après l’avocat, membre du collectif de défense des prisonniers du Hirak, “il est inadmissible que des journalistes-citoyens avérés et reconnus fassent l’objet d’accusations aussi graves que l’atteinte à la sûreté de l’État. Les éventuelles poursuites doivent uniquement se faire sur la base du code de la presse et en attendant, ils doivent être libérés”. Accusés sur la base du Code pénal, certains journalistes-citoyens encourent des condamnations qui peuvent aller jusqu’à la peine de mort.


Pour protester contre leur arrestation et leurs conditions de détention, plusieurs prisonniers ont par ailleurs entamé une grève de la faim le 17 juillet dernier. Un rapport du Conseil national des droits humains (CNDH), qui a partiellement fait l’objet de fuites, fait état de torture et de maltraitance envers les détenus, maintenus à l’isolement.


Journalistes agressés lors des manifestations de soutien au Rif


Au-delà de ces arrestations, Reporters sans frontières (RSF) a également répertorié deux cas d’agressions de journalistes par les forces de l’ordre. Lors d’une manifestation à Rabat le 8 juillet dernier, Ahmed Rachid, photographe et cameraman du site d’information Lakome2, a été roué de coups alors qu’il filmait les forces de l’ordre en train de disperser un rassemblement.


« Je faisais mon métier de journaliste quand dix policiers se sont dirigés vers moi, m’ont couvert d’insultes, m’ont frappé et m'ont roué de coups de pied et de matraque, témoigne Hicham Al Amrani, qui couvrait également cette manifestation pour le site Badil.info. J’ai eu l’impression d’être encore plus méprisé à partir du moment où je leur ai dit que j’étais journaliste».


La presse étrangère également persona non grata


Les journalistes et médias marocains ne sont pas seuls dans le collimateur des autorités. Le mois dernier, la chaîne France 24 en langue arabe a été suspendue. Fin mai, Jamal Alilat, grand reporter pour le quotidien algérien Al Watan a été interpellé et expulsé vers l’Algérie. Rosa Moussaoui et Ayoub Benkarroum, respectivement journaliste et photojournaliste pour le journal français l’Humanité, ont quant à eux été harcelés par les services de sécurité marocains alors qu’ils couvraient une manifestation de soutien aux détenus du Hirak à Meknès, le 4 juillet dernier. “Les autorités m’ont repérée en tant que journaliste étrangère lorsque j’ai sorti mon matériel, explique Rosa Moussaoui, les services de sécurité m’ont pris en photo avant de nous prendre en filature mon photojournaliste et moi-même d’abord à pied, puis avec une voiture de la Direction de la surveillance du territoire (DST)”.


Nadia sweeny, journaliste indépendante, partie couvrir la manifestation interdite du 20 juillet pour le média français Politis, a été arrêtée trois fois par des barrages de police et de gendarmes pour lui demander ses papiers d’identité et pour lui soutirer les raisons de sa présence dans la région, sans l'empêcher toutefois d'accéder à la ville d’Al Hoceïma. Une fois sur place, elle s’est attiré la curiosité des forces de police qui ont enregistré le numéro d’immatriculation de sa voiture et signalé sa présence pendant qu’elle interviewait Nawal Benaissa, une des figures emblématiques du Hirak.


Pour rappel, le Maroc qui se situe à la 133ème place du Classement mondial 2017 de RSF, continue à pâtir de nombreux problèmes s'agissant de la liberté de la presse; expulsions de journalistes étrangers couvrant des sujets sensibles, lignes rouges infranchissables dont la Monarchie et l’Islam, entraves à l’information indépendante au Sahara Occidental....auxquelles viennent s’ajouter depuis quelques semaines celles du Rif.
Publié le
Updated on 23.07.2017