La cour d'appel de Kiev confirme que l'enquête ne remontera pas aux commanditaires
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Reporters sans frontières est profondément choquée par la dernière décision de la cour d’appel de Kiev dans l’affaire du meurtre de Georgiy Gongadze, qui a pour conséquence de stopper net la recherche des commanditaires dans les hautes sphères du pouvoir ukrainien.
Le 2 mars 2011, la cour d’appel de Kiev a confirmé la requalification du crime de « meurtre commandité » en « meurtre commis sur ordre verbal ». En droit ukrainien, ces deux notions sont distinctes et la seconde – passible de peines inférieures – limite la responsabilité du crime à la personne ayant donné l’instruction orale.
Cette décision est très opportune pour plusieurs figures politiques ukrainiennes associées à l’ancien président Leonid Koutchma, dans la mesure où le seul commanditaire identifié à ce jour, l’ancien ministre de l’Intérieur Youriy Kravchenko, est décédé dans des circonstances suspectes en 2005. Sauf relance des investigations dans une enquête séparée portant sur des enregistrements vocaux et pouvant impliquer d’autres personnalités de haut rang, ces derniers n’ont donc plus de soucis à se faire. C’est une gifle violente qui vient d’être infligée à tous ceux qui nourrissaient encore l’espoir de faire un jour la lumière sur cette affaire.
Jointe au téléphone par Reporters sans frontières, l’avocate de la famille Gongadze, Valentyna Telychenko, a regretté que le tribunal, manifestement sous pression, ait choisi de prendre une décision biaisée et illégale. Nous nous associons pleinement à ces déclarations et soutenons l’appel que l’avocate va interjeter auprès de la Haute Commission des qualifications des tribunaux ukrainiens, seule instance à même de casser ce jugement inique.
La décision du tribunal de Kiev intervient alors que de multiples irrégularités ont été signalées depuis la fin de l’instruction en décembre dernier. Les parties civiles n’ont toujours pas accès aux dossiers de l’enquête, alors que le prévenu Olexi Poukatch les étudie depuis trois mois. Il est urgent que la justice ukrainienne fasse enfin la preuve de son impartialité.
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10/02/2011 -
Les responsables de l’assassinat de Georgiy Gongadze restent impunis après dix ans d’enquête
Reporters sans frontières est exaspérée par les dernières décisions prises dans le cadre de l’enquête visant à établir les commanditaires de l’assassinat du journaliste Georgiy Gongadze. Depuis plus de dix ans, l’instruction semble être menée dans le but d’éviter de poursuivre les hauts fonctionnaires et les personnalités politiques impliqués dans ce crime, et d’en rejeter l’entière responsabilité sur Olexi Poukatch et Iouri Kravtchenko. Cette volonté de protéger les instigateurs, liés aux plus hautes sphères de l’Etat, transparait aujourd’hui dans les incohérences et les contradictions dans lesquelles s’enlise le procureur général chargé de l’enquête.
En effet, le 31 janvier 2011, un tribunal de Kiev a entériné la décision prise par le procureur le 6 décembre 2010, de retirer la charge de « préméditation » au meurtre de Georgiy Gongadze dont est accusé Olexi Poukatch.
Valentyna Telychenko, avocate de la veuve du journaliste, Myroslava Gongadze, dénonce les ressorts de cette décision : « cela signifie que les enquêteurs tentent d’aider les personnes impliquées dans ce meurtre à échapper à la justice. Ils cherchent les moyens pour éviter de rechercher les commanditaires. Olexi Poukatch n’est que le dernier maillon dans la chaîne de responsabilité de ce crime ».
Olexi Poukatch, ancien chef des renseignements du ministère de l’Intérieur, arrêté en juillet 2009, a reconnu avoir étranglé et décapité avec une hache le journaliste le 16 septembre 2000. Il a déclaré dans sa déposition avoir agi sur ordre direct de Iouri Kravtchenko (ministre de l’Intérieur en 2000, qui s’est suicidé dans d’étranges circonstances en 2005) et avait mentionné l’implication d’autres hauts fonctionnaires.
Le 14 septembre 2010, le parquet général a officiellement désigné Iouri Kravtchenko comme l’unique commanditaire de l’assassinat de Géorgiy Gongadze.
Aujourd’hui, Olexi Poukatch tente de faire marche arrière et de persuader les enquêteurs qu’il s’agissait d’un accident, qu’il ne comptait pas tuer le journaliste (même avec une hache), bien qu’il en ait reçu l’ordre. Le 1er février, son avocat, Me Oleg Musiynko, a expliqué à Kommersant Ukraina que son client « affirme qu’il n’y a pas eu de collusion entre lui et ses subordonnés (trois anciens policiers condamnés en 2008), qu’il ne voulait pas tuer Géorgiy Gongadze, mais juste lui faire perdre connnaissance. Il y a eu un accident ». Me Musiynko a cependant ajouté qu’il connaissait le véritable instigateur du crime, refusant de le nommer. Un de ses clients, proche de Iouri Kravtchenko, aurait en sa possession des documents et enregistrements classés « secret d’Etat ». Il a confié que « l’un des commanditaires occupait en 1999 et 2000 l’une des plus hautes fonctions de l’Etat et était candidat aux élections présidentielles ». Ces déclarations confondantes ne viennent que confirmer la nécessité d’enquêter sur les autres responsables de cet assassinat.
Me Valentyna Telychenko pointe les incohérences flagrantes dans le discours du procureur. D’une part, il affirme qu’Olexi Poukatch a assassiné Géorgiy Gongadze sur ordre de Iouri Kravtchenko et d’autres commanditaires. D’autre part, il déclare que ce crime n’est pas prémédité. Elle souligne également sa lenteur à établir la culpabilité des autres officiels mentionnés dans la déposition d’Olexi Poukatch. « Si l’on se fie à sa déposition concernant Iouri Kravchenko, pourquoi ne pas s’y fier aussi pour les autres hauts fonctionnaires ? (...) Le procureur était revenu lui-même, avant même qu’on ne fasse appel, sur la résolution de ne pas ouvrir d’enquête concernant ces personnalités tant qu’il ne distinguait pas la nature criminelle de leurs activités. Cela fait déjà trois mois. Délai largement suffisant pour établir si les activités de ces fonctionnaires étaient criminelles et s’il faut ou non ouvrir une enquête sur eux », a protesté l’avocate sur TVi.
Le parquet général a défendu sa résolution en assurant que les charges contre Olexi Poukatch pouvaient changer durant le procès. Son porte-parole a déclaré à Ukrainska Pravda : « Nous croyons que la décision de la cour est tout à fait légale et fondée. Les allégations des médias arguant que la décision du caractère non prémédité du meurtre est définitive, sont prématurées ».
Dix ans après le cruel assassinat du rédacteur en chef d’Ukrainska Pravda, l’enquête prend une direction intolérable. Reporters sans frontières s’interroge quant à la partialité aussi manifeste du parquet et appelle les autorités ukrainiennes à y remédier, à moins qu’elles n’en soient la source.
Publié le
Updated on
20.01.2016