L’information, denrée rare au Nigeria
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A l’approche de l’élection présidentielle le 14 février 2015, et alors que la milice islamiste Boko Haram ravage l’Etat de Borno, dans le nord-est du pays, l’information se fait rare au Nigeria. Cette situation, tacitement tolérée par le gouvernement, prive la population d’un accès à l’information pourtant plus que nécessaire en ces temps politiques et sécuritaires troubles.
La milice islamique Boko Haram continue ses massacres dans le nord-est du Nigeria. Au moins 15 personnes ont été abattues, dimanche 25 janvier, à Kambari, situé à moins de cinq kilomètres de Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno qui résiste encore. Le village a été brûlé et détruit. Aucun journaliste n’a pu se rendre dans la zone, les seules informations qui ont filtrées, sont celles des rescapés venus trouver refuge à Maiduguri.
C’est la même situation que celle qui prévalait au 3 janvier, lorsqu’un massacre sans précédent perpétré par la milice islamique a endeuillé la ville de Baga et ses environs. Le bilan s’élèverait à 2000 victimes, selon Amnesty International. Des images satellites étudiées par Human Rights Watch feraient état de destructions de villages entiers. La ville de Baga aurait payé le plus lourd tribut au raid de Boko Haram.
Le nord-est du Nigéria coupé du monde
Impossible dès lors de vérifier l’information. Les journalistes locaux, en raison du risque sécuritaire, ne peuvent accéder à cette région devenue une zone interdite où même l’armée nigériane craint de s’aventurer. Cette dernière décourage d’ailleurs fortement les journalistes de se rendre dans cette zone en ne leur fournissant aucune assistance dans leurs démarches.
Impossibilité d’accès aux lieux du massacre, destruction au fil des ans des infrastructures de communication par la milice islamiste et indifférence du gouvernement qui, avant même de condamner les raids dans son propre pays - qui n’ont fait “que” 150 morts selon son bilan officiel - se fendait d’un communiqué dénonçant les ”monstrueuses attaques contre la liberté d’expression” à Paris... La région est devenue un “trou noir de l’information”.
“Reporters sans frontières s’inquiète des difficultés, voire de l’impossibilité, à obtenir des informations sur la situation au Nigéria, particulièrement dans les zones contrôlées par Boko Haram, déclare Reporters sans frontières. La stratégie d’évitement du président Goodluck Jonathan vis-à-vis des médias, et plus largement de sa population, devient très préoccupante. Empêcher les regards extérieurs n’évitera pas pour autant l’examen et les critiques du déplorable bilan sécuritaire du président. Il est plus que nécessaire que les préoccupations politiques et sécuritaires du pays fassent l’objet d’analyses et de discussions.”
Propagande du gouvernement
Les communications avec les quelques autorités qui demeurent sur place sont entravées. En effet, les commandants militaires ont reçu l’ordre de ne plus parler à la presse, selon des sources sur place, et renvoient les journalistes vers l’état-major des armées à Abuja.
Malheureusement, l’armée et le gouvernement se sont illustrés ces derniers mois par des déclarations mensongères qui minent leur crédibilité. En mai 2014, après l’enlèvement des lycéennes de Chibok, le gouvernement et l’armée avaient annoncé que la majorité d’entre elles avait été libérées. En septembre dernier, ils affirmaient que le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau était mort. Deux déclarations infirmées depuis. Les informations sur le Nord du Nigéria se glanent désormais à travers la frontière tchadienne et les interviews des réfugiés ayant fui le pays.
Une élection présidentielle délicate à couvrir
Les graves problèmes sécuritaires du Nord alimentent et confirment la chute de légitimité du président Goodluck Jonathan. La possibilité que le président sortant ne se voit pas reconduit augmente, et avec elle, le risque de réactions violentes des deux parties à l’annonce des résultats. Voici d’ailleurs cinq mois que le gouvernement ne délivre presque plus aucun visa aux journalistes internationaux. Officiellement, les dossiers sont à l’étude auprès des services de sécurité de l’Etat (SSS) pour validation. Une situation qui ne présage rien de bon quant au pluralisme de la couverture médiatique des élections.
Les médias nationaux, eux, représentent un risque moindre dans la mesure où la grande partie d’entre eux sont possédés par des politiciens et hommes d’affaires proche du pouvoir.
Pour les médias qui tenteraient d’avoir une opinion divergente, le rappel à l’ordre ne se fait pas attendre. Innocent Chidi Nwachukwu, rédacteur en chef du magazine hebdomadaire Tentacle, régulièrement harcelé depuis septembre 2014 a été arrêté le 14 janvier 2014 et détenu illégalement pendant deux semaines par les services de sécurité de l’État, malgré un ordre du tribunal d’Abuja de le laisser libre jusqu’à son audience du 9 février prochain. Cette arrestation faisait suite à la couverture du numéro du 22 septembre 2014, intitulé "20 menaces contre le sondage électoral de Jonathan".
Tenter de couvrir les meetings politiques est devenu une tâche périlleuse. Fin novembre 2014, l’équipe de la chaîne indépendante Channels Television avait été violemment attaquée alors qu’elle couvrait l’assemblée des primaires du Parti démocratique populaire à Ilorin dans l’État de Kwara. Un cameraman avait été battu par des agitateurs d’une faction du parti alors qu’il filmait les activités des membres de ce dernier.
Le 25 janvier, le commissaire de l’information de l’Etat du Delta, Chike Ogeah, menaçait les journalistes qui rapporteraient des “déclarations incendiaires faites par des politiciens ou critiques du régime (...)".
Néanmoins, quelques jours plus tôt, la Commission nationale de radiodiffusion (NBC) mettait en garde les chaînes de télévision et radios appartenant à l’État contre leur attitude partisane.
La difficulté grandissante d’exercer le métier de journaliste au Nigeria est une réalité. L’armée nigériane a ces derniers mois multiplié les saisies d’exemplaires de différents journaux pour des « raisons sécuritaires ». Les autorités n’ont pas hésité à empêcher les journalistes de couvrir les procès de responsables de Boko Haram. Bien que 38% de la population ait accès à Internet - selon une étude de Freedom House en 2013 - il n’en reste pas moins que sa pénétration ainsi que l’accès aux autres moyens de communication est difficile dans les régions les plus reculées du pays.
Le Nigeria occupe la 112e place sur 180 dans l’édition 2014 du Classement mondial sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
(Photo logo/ AFP: Le Président Goodluck Jonathan parle aux rescapés de Baga dans un camp de Maidiguri le 15 janvier 2015)
Publié le
Updated on
20.01.2016