L’Arcom incompétente pour faire cesser la propagande russe sur Eutelsat ? RSF saisit le Conseil d’État sur le fond et en référé

Reporters sans frontières (RSF) attaque devant le Conseil d’État le refus de l’autorité de régulation de l’audiovisuel (Arcom) d’agir contre l’opérateur satellitaire français Eutelsat. RSF lui demande d’invalider la décision par laquelle l’Arcom se dit incompétente pour mettre en demeure Eutelsat de cesser de diffuser des médias de propagande russes.

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La requête déposée devant le Conseil d’État le 17 novembre 2022 par l’avocat de Reporters sans frontières Me Patrice Spinosi demande à la haute juridiction administrative d’annuler le refus d’agir de l’Arcom contre Eutelsat. Dans une décision du 29 septembre, le régulateur s’était déclaré incompétent s’agissant de la diffusion de la propagande russe sur des satellites de l’opérateur français Eutelsat. Pour justifier son incompétence, l’Arcom invoquait de manière erronée l’article 43-4 de la loi de 1986 sur la liberté de communication. RSF a dans le même temps déposé un référé-suspension, demandant au juge administratif de reconnaître l’urgence à suspendre la décision de l’Arcom, et de la déclarer illégale afin d’amener l’Arcom à la réviser.

Cette décision répondait à une demande de RSF précise et étayée, sur la base d’un dossier préparé par le Comité Diderot. Par courrier du 8 septembre, RSF avait demandé à l’Arcom de mettre en demeure Eutelsat d’interrompre la diffusion en Russie, en Ukraine et dans les pays Baltes de trois chaînes de télévision russes, fers de lance de la propagande de guerre du Kremlin. Ces trois chaînes sont distribuées par les bouquets russes NTV+ et Trikolor, qui ont mis fin à la diffusion en Russie de chaînes proposant un journalisme digne de ce nom, comme la BBC, EuroNews et France 24. Un comble.

Le refus de l’Arcom de se saisir d’une question majeure pour lutter contre la propagande et soutenir le journalisme est très regrettable. RSF demande au Conseil d’État de la déclarer illégale. À l’ère de la guerre hybride, Eutelsat doit-elle figurer parmi les nouveaux profiteurs de guerre ? Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Christophe Deloire
Secrétaire général de RSF

Au courrier de RSF envoyé le 8 septembre, l’Arcom avait répondu dès le 29 septembre pour se déclarer incompétente. Tout en s’en félicitant d’un certain point de vue, RSF s’étonne de la rapidité de cette prise de décision sur une question aussi importante et complexe, et regrette de ne pas avoir été invitée à présenter le dossier. RSF note que, paradoxalement, l’Arcom ne remet pas en cause le constat établi du caractère pénalement répréhensible des propos tenus sur les trois chaînes concernées.

Deux critères de compétence

La loi de 1986, dans son article 43-4, dispose qu’il y a des critères pouvant l’un ou l’autre fonder la compétence de l’Arcom : un, l’existence d’une liaison montante vers un satellite à partir d'une station située en France ou dans un autre État membre de l'Union européenne ; à défaut, l’utilisation d’une capacité satellitaire relevant de la France.

Sur le premier critère, l’Arcom fait mine d’avoir une incertitude malgré les évidences. L’autorité administrative indépendante argue que la localisation de la liaison montante  n’étant pas connue avec certitude, la compétence française ne peut s’exercer. 

Dans sa requête au Conseil d’État, RSF démontre que de nombreux éléments, accessibles publiquement par une recherche sommaire sur Internet, permettent d’établir de manière évidente que les liaisons montantes pour les trois chaînes en cause partent de Russie. 

La liaison montante étant de manière évidente en Russie, c’est le critère de l’utilisation d’une capacité satellitaire française, celle d’Eutelsat, entreprise française basée en France, qui devait s’appliquer. L’Arcom évacue ce critère.

L’Arcom juge en outre que ces trois chaînes étant diffusées par des plateformes commercialisées en Russie, “le nombre de citoyens de l’UE y ayant accès ne peut donc être que limité”, ce qui la priverait de compétence. Cet argument n’est pas valide. Sur le plan du droit, aucun texte ne le justifie. Sur le plan des faits, ces médias sont accessibles dans les pays baltes, au sein même de l’Union européenne. Ils sont en outre diffusés dans les territoires annexés de l’Ukraine (Crimée et Donbass) et dans les territoires occupés du pays.

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