Justice commence à être rendue dans l’affaire Julio Castro, un ancien policier jugé
Organisation :
Ouvert le 6 mars 2012 à Montevideo, le procès de l’ancien policier Juan Ricardo Zabala est porteur d’espoir pour les proches de victimes de la dictature (1973-1985) et en particulier pour ceux du journaliste Julio Castro, disparu puis assassiné à cette époque. L’enquête avait déjà progressé avec la découverte, en octobre dernier dans un camp militaire, de restes humains par la suite identifiés comme étant ceux de l’ancien cofondateur de la revue Marcha (ressuscitée après la dictature sous le nom de Brecha).
“Quelle que soit la peine prononcée en définitive, ce procès marque déjà en soi une victoire du droit et de la mémoire. Mais l’espoir doit porter au-delà du présent acte judiciaire. Comme en avait formulé le vœu Ariel Castro, petit-fils du journaliste, dans l’entretien qu’il nous avait accordé, c’est bel et bien un changement d’attitude au service de la vérité sur cette période noire, qui est attendu des organismes publics, et notamment l’institution militaire. L’accès à l’information reste un enjeu essentiel, en attendant l’abrogation de la loi de caducité”, a déclaré Reporters sans frontières.
Juan Ricardo Zabala a admis avoir mené l’arrestation et la séquestration de Julio Castro, dans la matinée du 1er août 1977. Devant l’aggravation rapide de l’état de santé du journaliste - alors âgé de 69 ans - livré à la torture, ses geôliers auraient décidé de l’exécuter d’une balle dans la tête, d’après le juge en charge du dossier cité par l’Agence France Presse (AFP). L’identité de l’auteur du coup de feu final n’étant pas établie, Juan Ricardo Zabala est accusé de “complicité d’homicide spécialement aggravé” pour laquelle il risque une peine comprise entre quinze et trente ans de prison. Si le juge a rejeté la demande de prescription formulé par sa défense, il a, en revanche, refusé de citer à comparaître, pour “défaut de preuves”, l’ancien colonel José Nino Gavazzo, responsable opérationnel du Service d’information et de défense à l’époque des faits. Celui-ci est actuellement en prison pour d’autres affaires de violations des droits de l’homme.
Photo : La Jornada (Archives)
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21.12.11 - Ariel Castro : “Le geste ultime de mon grand-père pour le pays”
Le 1er décembre 2011, le gouvernement confirmait l’identification de restes humains, découverts cinq semaines plus tôt dans un camp militaire, comme étant ceux de Julio Castro, disparu en août 1977 et assassiné sous la dictature (1973-1985). Homme politique, professeur et journaliste, Julio Castro avait cofondé en 1939, la revue hebdomadaire Marcha, fermée par le régime civico-militaire en 1974. La publication allait renaître en 1985 sous le nom de Brecha, avec des plumes prestigieuses comme Juan Carlos Onetti ou Eduardo Galeano. La manifestation, bien que tardive, de la vérité dans l’affaire Julio Castro nous encourage aujourd’hui à croire que justice sera un jour rendue pour toutes les victimes des dictatures du Plan Condor, parmi lesquelles figurent de nombreux journalistes et écrivains. Aujourd’hui encore, en Uruguay notamment, le travail d’investigation mené sur cette période se heurte souvent au silence ou à l’hostilité. Petit-fils de Julio Castro, l’agronome Ariel Castro poursuit le combat pour la mémoire et la vérité. Il a répondu à nos questions. Qu'avez vous éprouvé, le 15 décembre dernier, lors de l'hommage rendu à votre grand-père au Parlement ?
Je n'ai rien ressenti de tellement marqué. J'avais même pensé ne pas y assister, mais mon frère l’a souhaité et nous y sommes allés. D'un côté, cet hommage m’a semblé raisonnable et logique. La cérémonie est restée assez sobre. On peut aisément adhérer aux propos qui y ont été tenus. De ce point de vue, c'est bien, mais ce ne sont que des discours. Reste maintenant à savoir si cela conduira à un changement d'attitude et se traduira dans des faits ou s'il s'agit juste d'un "hommage au drapeau". Il est important que des représentants de tous les partis disent ce qu'ils ont dit. Il leur revient maintenant de prendre les moyens d’aller plus loin. Estimez-vous, symboliquement, que l'identification des restes de votre grand-père permettra enfin de connaître la vérité sur le sort d’autres disparus ?
C'est la grande question … espérons que oui. Il s'agit peut-être du geste ultime de mon grand-père pour la République uruguayenne : tirer un vaste signal d’alarme qui casse définitivement cette barrière de mensonges ; ou plus précisément, répercuter un fait tellement cruel, intolérable et honteux qui fasse que tout cela ne se reproduise plus jamais. Assez de mensonges ! Pensiez-vous qu’il avait été exécuté ?
Non, je crois que nous avions tous intégré l’hypothèse selon laquelle il était décédé lors de son interrogatoire, ce qui était plausible. Mon grand-père avait des problèmes de santé, il était donc probable qu'il succombe à des pressions physiques. Ceci recoupait d’ailleurs les déclarations de Flavio Tabares (citoyen brésilien et codétenu de Julio Castro) le dernier ami de mon grand-père à l’avoir côtoyé de près. Comme il me l’a souvent répété souvent : ‘je ne peux pas dire que je l'ai vu, parce que j'ai été tout le temps encapuchonné’.
En réalité, cette version vient des déclarations de Tabares et d'une enquête journalistique menée par Mónica Bottero et Ernesto González Bermejo en 1985. Au sein de la Commission pour la Paix ("Comisión para la Paz", CPLP)(1) il n'y a pas eu d'enquête, pas même de contact avec Tabares. Au Congrès, un parlementaire m’a confié que le fait que mon grand-père soit mort sous la torture ou exécuté ne changeait rien, que c’était de toute façon l’assassinat brutal et terrible d’un individu. Ceci renforce notre conviction. Il s'agit d'un crime, qui doit être puni devant la justice. En ce sens, pour nous, cela ne change rien. Votre famille n’a pas rejoint le groupe des Familles de détenus-disparus. Pourquoi ?
Il n'y a pas eu de raison particulière. Nous avons toujours soutenu la mobilisation des familles. En fonction du lieu et des disponibilités. Je suis allé toutes les fois que j'ai pu aux invitations et aux rassemblements. Dans les années 1980, je participais tous les vendredis aux manifestations Place de la Liberté. Ce n'était simplement pas mon lieu de militantisme. Je militais plutôt au niveau universitaire, beaucoup durant la campagne en faveur du “vote vert” (pour l’abrogation de la loi de caducité – ndlr). Nous n'avons pas participé au groupe militant. C’est peut-être une question de générations. Quand la dictature a pris fin, mon père et ma tante ont assumé la recherche de la vérité et se sont chargés des plaintes. Je leur ai fait confiance et j'ai milité à un niveau universitaire, à un niveau politique.
Puis, nous avons emprunté un chemin différent, auquel tout le monde n’adhérait pas : la procédure civile. Elle nous a permis de continuer à enquêter et d´apprendre certaines choses, très fortes. Depuis le rapport de la CPLP et à l’appui d’un livre coordonné par Alvaro Rico (2), le ministère public a établi qu'il existait de nouvelles preuves justifiant la réouverture du dossier, classé dès 1986 quand la loi de caducité (3) a été votée. La procureur Mirtha Guianze a transmis le dossier au pouvoir exécutif et en août 2010, le président José Mujica l’a soustrait à la loi de caducité. De là, le procès pénal a pu reprendre. C'est autour de ce procès-là que nous avons le plus travaillé, en soutenant les démarches de la procureur et en obtenant des preuves. Je dirais que ma famille a pu créer le lien avec des témoins clés. Où en est le procès actuellement ?
Le procès continue. Avec toutes ces nouveaux éléments amenés par la découverte du cadavre de mon grand-père, je suppose que la procureur demandera de nouvelles constatations et de nouvelles déclarations, ou bien révisera son acte d’accusation et requerra des charges supplémentaires. Néanmoins, la procureur travaille seule. De ce fait, notre avocat, mon frère, ma cousine et moi-même nous nous sommes convertis en sorte de détectives cherchant l'information pendant notre temps disponible. Que manque-t-il pour établir toute la vérité? Avez-vous suggéré la création d'une équipe pluridisciplinaire d'enquêteurs ?
Je suis convaincu que si l'on forme une équipe pluridisciplinaire, à temps plein, composée de personnes qui s´y connaissent en matière de renseignement, qui ont accès à des archives, avec des d'historiens et des médecins légistes (je ne parle pas d'une équipe de plus de huit personnes à temps plein) et que des éléments probants nous parviennent en moins d'un an, la majorité des cas seront résolus. Avec certains moyens et un soutien politique fort, l’ensemble coordonné ou dirigé par des procureurs. Ici, nous n'avons pas besoin d'une autre commission politique qui pense politiquement, mais d'une commission qui pense au plan pénal. Les procureurs pensent au plan pénal. Même s’il s’agit bien d’un crime politique. La preuve que mon grand-père a été exécuté de sang-froid a fait beaucoup plus dans ce pays que toutes les commissions. Vous ne jugez pas utile la contribution des militaires à cette démarche ?
Les militaires répondent au commandement. Je crois en la sincérité du général Pedro Aguerre, le commandant en chef de l'armée, qui a déclaré aux médias que son institution “ne couvrirait pas les assassins et les délinquants dans ses rangs". Mais ce ne sont-là, pour l'instant, que des mots. Les faits viennent après. Il y a toute une série d’éléments que le général Aguerre peut apporter. Nous travaillons d’ailleurs avec notre avocate pour réunir tous les documents nécessaires afin d’obtenir l'information que l'État nous a refusé. Toute l’histoire a été marquée par ce problème. Il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux leviers mais d’utiliser ceux dont nous disposons déjà. Nous avons un pouvoir judiciaire qui a certes des défauts, mais qui travaille quand il reçoit soutien et ressources. Jusqu'à présent, seule l’autorité judiciaire nous a donné des garanties. Vous ne faites pas différence entre les précédents gouvernements et les deux récents gouvernements de gauche, dont l’actuel, concernant cette quête de vérité ?
Un premier gouvernement a marqué sa différence, celui de Jorge Batlle (Parti Colorado, 2000-2004). Le président Batlle a opéré un changement dans ce domaine. Il a vu la nécessité de résoudre la question et a créé la CPLP, qui à notre sens, a mené le chemin à l’impasse. Pour nous, la CPLP n'a pratiquement pas enquêté. La CPLP a accepté des compromis qui, au bout du compte, ont éteint le processus. Ils disent qu'ils avancent, mais jusqu'à présent nous n'avons rien obtenu. Il y a aujourd’hui, au moins en apparence, un changement d'attitude mais du même ordre qu'avec le général Pedro Aguerre ou au sein du Parlement : au moment de parler ils ont tous prononcé les paroles cruciales, désormais nous verrons s'ils agiront.
Les changements apportés par les gouvernements de Tabaré Vázquez et José Mujica ont été importants, mais que ces changements aient imprégné l'État dans son entier est une autre chose. L'attitude que nous rencontrons dans n'importe quel organisme public auprès duquel nous cherchons l'information est d'abord de trouver des excuses pour ne pas nous la donner. J’attends le comportement inverse. Ils doivent trouver le moyen de nous procurer l'information s'ils veulent réellement nous aider. Comment la famille Castro vit-elle ces dernières révélations et voit-elle l’avenir ?
Comme d'habitude. Pour moi, c'est la clôture d'un chapitre. Quand viendra le moment -car il est pour l'instant sous garde policière- nous enterrerons mon grand-père auprès de toute la famille, et nous vaquerons à nos vies et nos occupations. Nous continuerons aussi de soutenir le procès pénal et de lui apporter notre concours autant que nécessaire. Je crois hélas que certains mécanismes s'usent. Nous, les Uruguayens, sommes parfois prétentieux, nous ne nous sommes pas assez inspirés de la manière dont les Argentins ont agi pour la cause de leurs disparus. Je pense qu'il y a beaucoup de choses que nous avons à apprendre d'eux. Par exemple, nous devons reconnaître que les Grand-Mères et Mères de la Place de Mai ont su maintenir certaines d’action comme la présentation des cas en justice. Aujourd'hui, elles sont une référence mondiale et ce n'est pas un hasard. Propos recueillis à Montevideo pour Reporters sans frontières par Mirtha Villa. 1- Instituée en 2000 sous le mandat de Jorge Batlle et placée sous l’autorité de la présidence la République, la CPLP a pour charge de centraliser l’information, les plaintes et les témoignages relatifs aux crimes et disparitions forcées sous la dictature. En 2003, la CPLP a confirmé 170 des 300 cas qui lui ont été présentés. C’est à cette date que la famille de Julio Castro a ouvert une procédure civile, close en 2009. 2- Alvaro Rico, Detenidos-Desparecidos; Sistematización parcial de datos a partir de la investigación histórica de la Presidencia de la República (octobre 2008) 3- Ley de Caducidad de la Pretensión Punitiva del Estado (Loi de caducité de la prétention punitive de l'État), votée en 1986 et très contestée, cette loi mettait à l’abri des poursuites judiciaires les auteurs de crimes et violations des droits de l’homme commis avant le 1er mars 1985, date de restauration de la démocratie. Une nouvelle loi votée en octobre 2011 a apporté d’importantes dérogations à la loi de caducité, et classe les exactions et délits commis au nom du terrorisme d’État parmi les crimes contre l’humanité.
Le 1er décembre 2011, le gouvernement confirmait l’identification de restes humains, découverts cinq semaines plus tôt dans un camp militaire, comme étant ceux de Julio Castro, disparu en août 1977 et assassiné sous la dictature (1973-1985). Homme politique, professeur et journaliste, Julio Castro avait cofondé en 1939, la revue hebdomadaire Marcha, fermée par le régime civico-militaire en 1974. La publication allait renaître en 1985 sous le nom de Brecha, avec des plumes prestigieuses comme Juan Carlos Onetti ou Eduardo Galeano. La manifestation, bien que tardive, de la vérité dans l’affaire Julio Castro nous encourage aujourd’hui à croire que justice sera un jour rendue pour toutes les victimes des dictatures du Plan Condor, parmi lesquelles figurent de nombreux journalistes et écrivains. Aujourd’hui encore, en Uruguay notamment, le travail d’investigation mené sur cette période se heurte souvent au silence ou à l’hostilité. Petit-fils de Julio Castro, l’agronome Ariel Castro poursuit le combat pour la mémoire et la vérité. Il a répondu à nos questions. Qu'avez vous éprouvé, le 15 décembre dernier, lors de l'hommage rendu à votre grand-père au Parlement ?
Je n'ai rien ressenti de tellement marqué. J'avais même pensé ne pas y assister, mais mon frère l’a souhaité et nous y sommes allés. D'un côté, cet hommage m’a semblé raisonnable et logique. La cérémonie est restée assez sobre. On peut aisément adhérer aux propos qui y ont été tenus. De ce point de vue, c'est bien, mais ce ne sont que des discours. Reste maintenant à savoir si cela conduira à un changement d'attitude et se traduira dans des faits ou s'il s'agit juste d'un "hommage au drapeau". Il est important que des représentants de tous les partis disent ce qu'ils ont dit. Il leur revient maintenant de prendre les moyens d’aller plus loin. Estimez-vous, symboliquement, que l'identification des restes de votre grand-père permettra enfin de connaître la vérité sur le sort d’autres disparus ?
C'est la grande question … espérons que oui. Il s'agit peut-être du geste ultime de mon grand-père pour la République uruguayenne : tirer un vaste signal d’alarme qui casse définitivement cette barrière de mensonges ; ou plus précisément, répercuter un fait tellement cruel, intolérable et honteux qui fasse que tout cela ne se reproduise plus jamais. Assez de mensonges ! Pensiez-vous qu’il avait été exécuté ?
Non, je crois que nous avions tous intégré l’hypothèse selon laquelle il était décédé lors de son interrogatoire, ce qui était plausible. Mon grand-père avait des problèmes de santé, il était donc probable qu'il succombe à des pressions physiques. Ceci recoupait d’ailleurs les déclarations de Flavio Tabares (citoyen brésilien et codétenu de Julio Castro) le dernier ami de mon grand-père à l’avoir côtoyé de près. Comme il me l’a souvent répété souvent : ‘je ne peux pas dire que je l'ai vu, parce que j'ai été tout le temps encapuchonné’.
En réalité, cette version vient des déclarations de Tabares et d'une enquête journalistique menée par Mónica Bottero et Ernesto González Bermejo en 1985. Au sein de la Commission pour la Paix ("Comisión para la Paz", CPLP)(1) il n'y a pas eu d'enquête, pas même de contact avec Tabares. Au Congrès, un parlementaire m’a confié que le fait que mon grand-père soit mort sous la torture ou exécuté ne changeait rien, que c’était de toute façon l’assassinat brutal et terrible d’un individu. Ceci renforce notre conviction. Il s'agit d'un crime, qui doit être puni devant la justice. En ce sens, pour nous, cela ne change rien. Votre famille n’a pas rejoint le groupe des Familles de détenus-disparus. Pourquoi ?
Il n'y a pas eu de raison particulière. Nous avons toujours soutenu la mobilisation des familles. En fonction du lieu et des disponibilités. Je suis allé toutes les fois que j'ai pu aux invitations et aux rassemblements. Dans les années 1980, je participais tous les vendredis aux manifestations Place de la Liberté. Ce n'était simplement pas mon lieu de militantisme. Je militais plutôt au niveau universitaire, beaucoup durant la campagne en faveur du “vote vert” (pour l’abrogation de la loi de caducité – ndlr). Nous n'avons pas participé au groupe militant. C’est peut-être une question de générations. Quand la dictature a pris fin, mon père et ma tante ont assumé la recherche de la vérité et se sont chargés des plaintes. Je leur ai fait confiance et j'ai milité à un niveau universitaire, à un niveau politique.
Puis, nous avons emprunté un chemin différent, auquel tout le monde n’adhérait pas : la procédure civile. Elle nous a permis de continuer à enquêter et d´apprendre certaines choses, très fortes. Depuis le rapport de la CPLP et à l’appui d’un livre coordonné par Alvaro Rico (2), le ministère public a établi qu'il existait de nouvelles preuves justifiant la réouverture du dossier, classé dès 1986 quand la loi de caducité (3) a été votée. La procureur Mirtha Guianze a transmis le dossier au pouvoir exécutif et en août 2010, le président José Mujica l’a soustrait à la loi de caducité. De là, le procès pénal a pu reprendre. C'est autour de ce procès-là que nous avons le plus travaillé, en soutenant les démarches de la procureur et en obtenant des preuves. Je dirais que ma famille a pu créer le lien avec des témoins clés. Où en est le procès actuellement ?
Le procès continue. Avec toutes ces nouveaux éléments amenés par la découverte du cadavre de mon grand-père, je suppose que la procureur demandera de nouvelles constatations et de nouvelles déclarations, ou bien révisera son acte d’accusation et requerra des charges supplémentaires. Néanmoins, la procureur travaille seule. De ce fait, notre avocat, mon frère, ma cousine et moi-même nous nous sommes convertis en sorte de détectives cherchant l'information pendant notre temps disponible. Que manque-t-il pour établir toute la vérité? Avez-vous suggéré la création d'une équipe pluridisciplinaire d'enquêteurs ?
Je suis convaincu que si l'on forme une équipe pluridisciplinaire, à temps plein, composée de personnes qui s´y connaissent en matière de renseignement, qui ont accès à des archives, avec des d'historiens et des médecins légistes (je ne parle pas d'une équipe de plus de huit personnes à temps plein) et que des éléments probants nous parviennent en moins d'un an, la majorité des cas seront résolus. Avec certains moyens et un soutien politique fort, l’ensemble coordonné ou dirigé par des procureurs. Ici, nous n'avons pas besoin d'une autre commission politique qui pense politiquement, mais d'une commission qui pense au plan pénal. Les procureurs pensent au plan pénal. Même s’il s’agit bien d’un crime politique. La preuve que mon grand-père a été exécuté de sang-froid a fait beaucoup plus dans ce pays que toutes les commissions. Vous ne jugez pas utile la contribution des militaires à cette démarche ?
Les militaires répondent au commandement. Je crois en la sincérité du général Pedro Aguerre, le commandant en chef de l'armée, qui a déclaré aux médias que son institution “ne couvrirait pas les assassins et les délinquants dans ses rangs". Mais ce ne sont-là, pour l'instant, que des mots. Les faits viennent après. Il y a toute une série d’éléments que le général Aguerre peut apporter. Nous travaillons d’ailleurs avec notre avocate pour réunir tous les documents nécessaires afin d’obtenir l'information que l'État nous a refusé. Toute l’histoire a été marquée par ce problème. Il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux leviers mais d’utiliser ceux dont nous disposons déjà. Nous avons un pouvoir judiciaire qui a certes des défauts, mais qui travaille quand il reçoit soutien et ressources. Jusqu'à présent, seule l’autorité judiciaire nous a donné des garanties. Vous ne faites pas différence entre les précédents gouvernements et les deux récents gouvernements de gauche, dont l’actuel, concernant cette quête de vérité ?
Un premier gouvernement a marqué sa différence, celui de Jorge Batlle (Parti Colorado, 2000-2004). Le président Batlle a opéré un changement dans ce domaine. Il a vu la nécessité de résoudre la question et a créé la CPLP, qui à notre sens, a mené le chemin à l’impasse. Pour nous, la CPLP n'a pratiquement pas enquêté. La CPLP a accepté des compromis qui, au bout du compte, ont éteint le processus. Ils disent qu'ils avancent, mais jusqu'à présent nous n'avons rien obtenu. Il y a aujourd’hui, au moins en apparence, un changement d'attitude mais du même ordre qu'avec le général Pedro Aguerre ou au sein du Parlement : au moment de parler ils ont tous prononcé les paroles cruciales, désormais nous verrons s'ils agiront.
Les changements apportés par les gouvernements de Tabaré Vázquez et José Mujica ont été importants, mais que ces changements aient imprégné l'État dans son entier est une autre chose. L'attitude que nous rencontrons dans n'importe quel organisme public auprès duquel nous cherchons l'information est d'abord de trouver des excuses pour ne pas nous la donner. J’attends le comportement inverse. Ils doivent trouver le moyen de nous procurer l'information s'ils veulent réellement nous aider. Comment la famille Castro vit-elle ces dernières révélations et voit-elle l’avenir ?
Comme d'habitude. Pour moi, c'est la clôture d'un chapitre. Quand viendra le moment -car il est pour l'instant sous garde policière- nous enterrerons mon grand-père auprès de toute la famille, et nous vaquerons à nos vies et nos occupations. Nous continuerons aussi de soutenir le procès pénal et de lui apporter notre concours autant que nécessaire. Je crois hélas que certains mécanismes s'usent. Nous, les Uruguayens, sommes parfois prétentieux, nous ne nous sommes pas assez inspirés de la manière dont les Argentins ont agi pour la cause de leurs disparus. Je pense qu'il y a beaucoup de choses que nous avons à apprendre d'eux. Par exemple, nous devons reconnaître que les Grand-Mères et Mères de la Place de Mai ont su maintenir certaines d’action comme la présentation des cas en justice. Aujourd'hui, elles sont une référence mondiale et ce n'est pas un hasard. Propos recueillis à Montevideo pour Reporters sans frontières par Mirtha Villa. 1- Instituée en 2000 sous le mandat de Jorge Batlle et placée sous l’autorité de la présidence la République, la CPLP a pour charge de centraliser l’information, les plaintes et les témoignages relatifs aux crimes et disparitions forcées sous la dictature. En 2003, la CPLP a confirmé 170 des 300 cas qui lui ont été présentés. C’est à cette date que la famille de Julio Castro a ouvert une procédure civile, close en 2009. 2- Alvaro Rico, Detenidos-Desparecidos; Sistematización parcial de datos a partir de la investigación histórica de la Presidencia de la República (octobre 2008) 3- Ley de Caducidad de la Pretensión Punitiva del Estado (Loi de caducité de la prétention punitive de l'État), votée en 1986 et très contestée, cette loi mettait à l’abri des poursuites judiciaires les auteurs de crimes et violations des droits de l’homme commis avant le 1er mars 1985, date de restauration de la démocratie. Une nouvelle loi votée en octobre 2011 a apporté d’importantes dérogations à la loi de caducité, et classe les exactions et délits commis au nom du terrorisme d’État parmi les crimes contre l’humanité.
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20.01.2016