Journalistes sous pression en Palestine : la répression des médias s’intensifie en Cisjordanie et à Jérusalem-Est

Avant même que le cessez-le-feu à Gaza ne s'effondre à la suite de nouvelles frappes israéliennes sur le territoire, la répression contre la presse s’aggravait en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Journalistes visés par des tirs, des arrestations arbitraires ou encore des restrictions de circulation : les forces armées israéliennes multiplient les entraves, tandis que les autorités palestiniennes interpellent les collaborateurs d’Al Jazeera. Reporters sans frontières (RSF) alerte sur une répression grandissante, plongeant la région dans une opacité médiatique inquiétante.

“Les attaques de l'occupant israélien en Cisjordanie et à Jérusalem-Est contre les journalistes se sont multipliées ces derniers mois et sont devenues monnaie courante. Elles doivent cesser. De son côté, l'Autorité palestinienne a interpellé et interrogé, à plusieurs reprises, des journalistes associés à la chaîne qatarienne Al Jazeera, contribuant ainsi à la répression de la presse palestinienne. Nous sommes préoccupés par l’intensification de ces violences et par la répercussion de cette répression sur le droit à l'information. Cela est d’autant plus alarmant dans un contexte de reprise des frappes israéliennes à Gaza, où près de 200 journalistes ont été tués depuis 2023, dont au moins 42 dans l'exercice de leurs fonctions.”

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Le trajet de Ramallah à Tulkarem devrait durer 90 minutes, mais depuis le 7 octobre 2023, il faut franchir sept checkpoints militaires et passer des heures pour y arriver. “La situation a empiré depuis le cessez-le-feu à Gaza”, confie la correspondante de RSF en Cisjordanie Aziza Nofal. En plus des barrages souvent fermés, l’armée israélienne a installé, depuis janvier 2024, des dizaines de barrières métalliques sur les routes. “Parfois, tout est bloqué, et c’est impossible de se déplacer”, déplore-t-elle.

Ces entraves à la circulation des journalistes les empêchent de pouvoir couvrir les violences commises par les forces israéliennes en Cisjordanie occupée. Tout comme dans les villes de Jénine et Naplouse, Tulkarem abrite des camps de réfugiés, devenus, depuis près de deux mois, les cibles de raids des forces d’occupation israéliennes, qui disent y mener une “opération anti-terroriste”. Pourtant, depuis début 2025, RSF a recensé au moins 20 attaques contre des professionnels des médias autour de ces camps. 

Attaques ciblées et actes d’intimidation par les forces israéliennes

Alors que le photojournaliste indépendant Mohammad Atiq, en mission pour l’Agence France-Presse (AFP), se rendait à Qabatiya, au sud de Jénine, pour couvrir une incursion dans un camp de réfugiés, un véhicule militaire s’est, selon ses propos, avancé vers lui et neuf confrères, tous identifiables en tant que journalistes, et a tiré des balles en caoutchouc et des grenades de gaz lacrymogène dans leur direction. Quelques heures plus tard, autour du même camp, quatre autres journalistes indépendants ont été victimes d’actes d’intimidation. “Une unité militaire nous avait permis d’accéder à la zone, mais une autre nous a ordonné de partir”, raconte à RSF le journaliste indépendant Naser Ishtayeh. “Alors que nous quittions les lieux, environ 25 soldats nous ont interceptés, nous insultant et fouillant nos téléphones. Ils nous ont confisqué nos disques durs et nous ont demandé de partir. À ce jour, l’armée les détient toujours.” 

La journaliste indépendante Nagham al-Zayet était, elle, en train de filmer un raid à Tulkarem, le 29 janvier, lorsqu’un soldat a tiré sur un poteau en acier à quelques centimètres d’elle pour l’effrayer, selon son témoignage. Les éclats de métal projetés par l’impact l’ont blessée à la main. Cinq jours plus tard, sur la route menant à Jénine, une nouvelle attaque ciblée a eu lieu : trois jeeps militaires ont foncé en direction du journaliste indépendant Obadah Tahayneh. Craignant d’être écrasé, le journaliste a lâché sa caméra et son dispositif de diffusion pour se mettre à l’abri. Les véhicules ont alors roulé sur son équipement, le réduisant en miettes, raconte-il à RSF.

Autour de ces camps de réfugiés palestiniens, les journalistes sont régulièrement fouillés, interrogés, voire détenus. Selon le décompte de RSF, au moins 17 reporters arrêtés en Cisjordanie en raison de leur travail de journaliste, à la suite du 7 octobre 2023, demeurent dans les prisons israéliennes. Plus récemment, une dizaine de journalistes ont été temporairement détenus par les forces israéliennes après avoir couvert la venue de fidèles palestiniens à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem pendant le mois de Ramadan.

Les forces de sécurité palestiniennes interrogent les journalistes 


Dans un contexte distinct des raids de l’occupation israélienne, les forces de sécurité palestiniennes ont aussi mené, ces dernières semaines, une campagne d’intimidation. Neuf journalistes ont été convoqués ou détenus temporairement depuis janvier, selon les informations de RSF. Tous ont été interrogés sur leurs liens avec la chaîne Al Jazeera, suspendue par l’Autorité palestinienne depuis le 1er janvier. L’entreprise de presse, aussi ciblée par la répression israélienne, est accusée de diffuser des contenus “incitatifs” et “séditieux”, ainsi que de la “désinformation”, et de se livrer à une “ingérence dans les affaires intérieures palestiniennes”. Ainsi, le 8 janvier, Salah al-Din Abu al-Hassan a été convoqué et interrogé au sujet de sa couverture de la fermeture des bureaux d’Al Jazeera, tout comme Mohammed Samarin, qui a été interrogé sur son travail avec le média qatarien. Le lendemain, le correspondant d’Al Jazeera Laith Jaar a lui aussi été convoqué et contraint de signer un engagement à ne pas apparaître sur la chaîne tant que l’interdiction restait en vigueur.

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