Journalistes dans le collimateur du Président : Reporters sans frontières écrit à Bingu Wa Mutharika
Organisation :
Le 20 mars 2012, Reporters sans frontières a adressé un courrier au président Bingu Wa Mutharika pour dénoncer le "climat déplorable" pour la presse du pays après que la Présidence a directement accusé et menacé certains médias et professionnels de l'information.
L'organisation rappelle que le Malawi est le pays qui a enregistré la plus forte chute dans le classement mondial 2011-2012 de la liberté de la presse publié en janvier dernier, après une perte de 67 places par rapport à l'année précédente.
Voici le texte de la lettre :
Monsieur Bingu Wa Mutharika
Président de la République
Lilongwe – Malawi
Objet : Situation des journalistes et de la liberté d'information au Malawi
Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté d'information, est choquée par le climat déplorable qu'entretiennent actuellement la Présidence et le gouvernement du Malawi à l'égard des journalistes du pays. Les accusations que vous portez contre la presse et le ton, toujours ferme et parfois brutal, que vous utilisez à son encontre contribuent à la stigmatiser et laissent croire que vous voyez dans les journalistes vos principaux ennemis. Dans une déclaration publique, le 9 mars 2012, la Présidence a mis en garde les journalistes, rédacteurs et défenseurs des droits de l'homme sur les risques qu'ils encourent s'ils continuent de "déformer l'information" et de "discréditer" votre personne, créant ainsi une "panique inutile" chez les Malawites et entraînant, selon vous, "l'anarchie dans le pays". La Présidence a aussi récemment allégué, sans fournir de preuve, que certains rédacteurs en chef et journalistes seraient soutenus et payés par l'opposition. Enfin, elle reproche la tenue d'émissions interactives dans lesquelles la population peut s'exprimer sans entrave sur la politique du pays. Le 11 mars, Frank Mwenefumbo, directeur de la jeunesse du Democratic Progressive Party (DPP, au pouvoir), a appelé les Malawites à ne plus acheter, lire et faire de la publicité pour les journaux critiques du gouvernement. En 2010 déjà, le gouvernement avait lui-même imposé un boycott publicitaire pour les journaux appartenant à la Nation Publications Limited (dont font partie The Nation, Weekend Nation, Nation on Sunday, Fuko, etc.). Depuis le 12 mars, le représentant pour le Malawi du Media Institute of Southern Africa (MISA) reçoit des menaces de personnes non identifiées. Ces menaces ont commencé deux jours après la réaction officielle de MISA à votre déclaration évoquée plus haut. Monsieur le Président, les menaces à peine voilées qui ont été proférées, ciblant particulièrement certains médias, n'ont pour conséquence que d'envenimer un climat de défiance mutuelle entre les différentes parties. Ce type de réaction va à l'encontre du comportement responsable attendu de la part des plus hautes autorités de l'Etat, dont le devoir est de protéger la liberté d'expression garantie par la Constitution à l'ensemble des citoyens, y compris les journalistes. Il met en danger le pluralisme et instaure un sentiment de peur qui favorise l'autocensure. L'invocation par les autorités de la section 3(2) de la loi sur le drapeau, emblèmes et noms protégés nous apparaît inappropriée. En effet, par nature, les journalistes posent parfois des questions dérangeantes. Ils le font pour susciter un débat, ce qui ne peut pas être confondu avec une volonté de déstabilisation du pouvoir. Or, les termes employés dans la section restent vagues et peuvent engendrer une utilisation abusive de ce texte, promulgué en 1967 et devenu incompatible avec le corps et l'esprit de la Constitution du 18 mai 1995 qui garantit la liberté d'expression (article 35) et la liberté de la presse (article 36). Certains médias ont récemment utilisé l'expression "Big Kahuna" pour parler de vous. Plusieurs journalistes ont souligné que cette expression ne présentait pas de caractère insultant ou dégradant pouvant expliquer cette avalanche de réactions. Reporters sans frontières rappelle que si des membres du pouvoir souhaitent se défendre des critiques formulées contre eux, ils possèdent un droit plein et entier de le faire à travers différents moyens, comme par exemple un recours devant les organismes professionnels, tels que le MISA ou le Conseil des Médias du Malawi. Nous dénonçons donc les incidents survenus au cours des derniers jours et nous vous appelons à respecter la liberté d'expression et la liberté de la presse dans le pays. Nous demandons que cessent les menaces subies par les journalistes, qu'elles proviennent d'officiels ou de particuliers, et qu'une politique veillant à la sécurité des journalistes et au respect de leur travail soit mise en place. En espérant que vous serez sensible à notre requête, je vous prie d'accepter, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération. Olivier Basille
Secrétaire général
Monsieur Bingu Wa Mutharika
Président de la République
Lilongwe – Malawi
Objet : Situation des journalistes et de la liberté d'information au Malawi
Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté d'information, est choquée par le climat déplorable qu'entretiennent actuellement la Présidence et le gouvernement du Malawi à l'égard des journalistes du pays. Les accusations que vous portez contre la presse et le ton, toujours ferme et parfois brutal, que vous utilisez à son encontre contribuent à la stigmatiser et laissent croire que vous voyez dans les journalistes vos principaux ennemis. Dans une déclaration publique, le 9 mars 2012, la Présidence a mis en garde les journalistes, rédacteurs et défenseurs des droits de l'homme sur les risques qu'ils encourent s'ils continuent de "déformer l'information" et de "discréditer" votre personne, créant ainsi une "panique inutile" chez les Malawites et entraînant, selon vous, "l'anarchie dans le pays". La Présidence a aussi récemment allégué, sans fournir de preuve, que certains rédacteurs en chef et journalistes seraient soutenus et payés par l'opposition. Enfin, elle reproche la tenue d'émissions interactives dans lesquelles la population peut s'exprimer sans entrave sur la politique du pays. Le 11 mars, Frank Mwenefumbo, directeur de la jeunesse du Democratic Progressive Party (DPP, au pouvoir), a appelé les Malawites à ne plus acheter, lire et faire de la publicité pour les journaux critiques du gouvernement. En 2010 déjà, le gouvernement avait lui-même imposé un boycott publicitaire pour les journaux appartenant à la Nation Publications Limited (dont font partie The Nation, Weekend Nation, Nation on Sunday, Fuko, etc.). Depuis le 12 mars, le représentant pour le Malawi du Media Institute of Southern Africa (MISA) reçoit des menaces de personnes non identifiées. Ces menaces ont commencé deux jours après la réaction officielle de MISA à votre déclaration évoquée plus haut. Monsieur le Président, les menaces à peine voilées qui ont été proférées, ciblant particulièrement certains médias, n'ont pour conséquence que d'envenimer un climat de défiance mutuelle entre les différentes parties. Ce type de réaction va à l'encontre du comportement responsable attendu de la part des plus hautes autorités de l'Etat, dont le devoir est de protéger la liberté d'expression garantie par la Constitution à l'ensemble des citoyens, y compris les journalistes. Il met en danger le pluralisme et instaure un sentiment de peur qui favorise l'autocensure. L'invocation par les autorités de la section 3(2) de la loi sur le drapeau, emblèmes et noms protégés nous apparaît inappropriée. En effet, par nature, les journalistes posent parfois des questions dérangeantes. Ils le font pour susciter un débat, ce qui ne peut pas être confondu avec une volonté de déstabilisation du pouvoir. Or, les termes employés dans la section restent vagues et peuvent engendrer une utilisation abusive de ce texte, promulgué en 1967 et devenu incompatible avec le corps et l'esprit de la Constitution du 18 mai 1995 qui garantit la liberté d'expression (article 35) et la liberté de la presse (article 36). Certains médias ont récemment utilisé l'expression "Big Kahuna" pour parler de vous. Plusieurs journalistes ont souligné que cette expression ne présentait pas de caractère insultant ou dégradant pouvant expliquer cette avalanche de réactions. Reporters sans frontières rappelle que si des membres du pouvoir souhaitent se défendre des critiques formulées contre eux, ils possèdent un droit plein et entier de le faire à travers différents moyens, comme par exemple un recours devant les organismes professionnels, tels que le MISA ou le Conseil des Médias du Malawi. Nous dénonçons donc les incidents survenus au cours des derniers jours et nous vous appelons à respecter la liberté d'expression et la liberté de la presse dans le pays. Nous demandons que cessent les menaces subies par les journalistes, qu'elles proviennent d'officiels ou de particuliers, et qu'une politique veillant à la sécurité des journalistes et au respect de leur travail soit mise en place. En espérant que vous serez sensible à notre requête, je vous prie d'accepter, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération. Olivier Basille
Secrétaire général
Publié le
Updated on
20.01.2016