Jan Raath, correspondant de l'agence de presse allemande Deutsche Presse-Agentur (DPA) et du quotidien britannique The Times, est l'un des trois journalistes de la presse étrangère à avoir été contraints de fuir le Zimbabwe, après plusieurs jours de harcèlement policier. Voici son témoignage.
Jan Raath, correspondant de l'agence de presse allemande Deutsche Presse-Agentur (DPA) et du quotidien britannique The Times, Angus Shaw, correspondant de l'agence américaine Associated Press (AP) et Brian Latham, journaliste pour le groupe de presse américain Bloomberg News, ont pris la décision de fuir le Zimbabwe après plusieurs jours de harcèlement policier.
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« J'ai tout laissé tomber et je me suis enfui »
« La gorge serrée, je regardais le visage du douanier, cherchant à détecter la moindre réaction. Si l'alerte avait été donnée et que mon signalement avait été envoyé aux postes frontières du Zimbabwe, ma route s'arrêterait là.
Rien. Il a brièvement jeté un œil sur mon passeport, a donné un coup de tampon et me l'a tendu en souriant. Dix minutes plus tard, j'avais passé la frontière et j'étais au Botswana, hors de portée de la police secrète du président Robert Mugabe. En l'espace de 24 heures, j'avais laissé derrière moi trente années de journalisme au Zimbabwe. A 11 heures 30, jeudi 17 février, j'ai commencé une nouvelle vie, avec un pick-up et trois sacs pleins de souvenirs.
Depuis que Mugabe a décidé de faire taire toutes les voix discordantes au Zimbabwe, il y a cinq ans, notre petit groupe de journalistes indépendants élaborait des plans d'évacuation d'urgence hors du pays, pour le cas où le gouvernement déciderait de nous faire arrêter. Mais lorsque cela s'est produit, je n'étais absolument pas prêt. Même mon expulsion illégale, qui a duré deux mois en 1986, à cause du titre, dont je n'étais pas l'auteur, d'un article du Times, ne m'y avait pas préparé. J'ai réagi sous l'effet de la panique, de la peur et d'une anxiété aiguë. J'ai tout laissé tomber et je me suis enfui.
Tout a commencé à deux heures et demie du matin, le lundi 14 février, par des coups violents assénés sur la porte verrouillée de mon domicile de Harare. Les vigiles disaient que deux hommes, circulant dans une voiture portant des plaques d'immatriculation étrangères, demandaient à pouvoir entrer. D'habitude, les voleurs ne se font pas annoncer. Nous avons enclenché l'alarme et les deux hommes sont partis.
Vers dix heures du matin, deux policiers en civil se sont présentés au bureau que je partage avec Angus Shaw, de l'agence Associated Press, et Brian Latham, de la chaîne américaine Bloomberg News, dans un immeuble minable du centre-ville de Harare. Ils affirmaient enquêter sur la possibilité que nous soyons impliqués dans une affaire d'espionnage. Notre avocate, Beatrice Mtetwa, est arrivée un peu plus tard et a éclaté de rire lorsque l'un des policiers lui a annoncé la raison de leur visite. « Mon ami, a-t-elle lancé, si vous cherchez des espions, vous devriez vous rendre au quartier général du Zanu-PF », le parti au pouvoir.
Les policiers ont ricané et sont partis. Cinq hauts responsables du Zanu-PF ont été arrêtés il y a deux mois, sur la base d'accusations relevant de la loi sur les secrets d'Etat.
Une heure plus tard, trois officiers de la brigade de l'ordre public de la police judiciaire sont arrivés. Ils ont refusé de faire connaître leur identité et nous ont accusés de travailler dans l'illégalité. En janvier, de nouvelles lois ont rendu passible de prison l'exercice du métier de journaliste sans l'approbation de la Commission des médias étroitement contrôlée par le pouvoir. Les peines prévues vont jusqu'à deux ans de prison.
Beatrice Mtetwa a expliqué que, depuis trois ans, nous avions demandé notre accréditation à la Commission, mais que celle-ci ne nous avait jamais répondu. La loi prévoit que les journalistes en attente d'accréditation pouvaient travailler librement, jusqu'à ce que la commission ait statué définitivement.
Une experte en informatique de la police est alors arrivée. Elle a examiné scrupuleusement notre standard téléphonique rudimentaire (lequel avait été soupçonné par les trois policiers d'être un équipement d'écoutes secret), ainsi que nos ordinateurs. Elle a affirmé que la grande parabole installée à l'extérieur, qui nous servait à recevoir le fil d'informations d'AP, était probablement illégale.
Aucun d'entre nous n'était présent au bureau, ce jour-là, lorsque dix officiers se sont présentés sans mandat de perquisition et ont commencé à examiner minutieusement le contenu de nos ordinateurs, de nos bureaux et de nos dossiers. Beatrice Mtetwa était présente lorsque la jeune et grande experte en informatique s'est mise à fouiller le contenu de nos disques durs et s'est écriée : « Nous le tenons ! » en trouvant des copies de transferts de devises étrangères. « Rien de tout cela ne tient debout devant un tribunal », a expliqué plus tard l'avocate. Tous les trois, nous avions souvent travaillé à l'étranger et nous avions toutes les justifications nécessaires pour continuer à entretenir un compte en banque hors des frontières du Zimbabwe.
Mais ce que dit la loi a peu de poids dans ce pays. Après les fouilles menées par 15 policiers et neuf heures d'interrogatoires cumulées, les autorités n'avaient contre nous, au mieux, qu'un léger indice de possibilité d'un litige administratif. Néanmoins, il était clair qu'ils cherchaient quelque chose pour nous mettre en accusation. L'opération était suffisamment importante pour que le chef de la section « Loi et ordre public » de la police judiciaire la supervise personnellement.
Des élections législatives sont prévues le 31 mars et, ces dernières trois semaines, le gouvernement mène une campagne de répression à l'encontre du Mouvement pour le changement démocratique (MDC, opposition), des défenseurs des droits de l'homme et des journalistes. Nous nous attendions quelque peu à un épisode de cette nature.
Le mercredi 16 février, Beatrice Mtetwa nous a téléphoné. « On m'a dit qu'ils avaient l'intention de vous arrêter », nous a-t-elle annoncé. Ses sources lui avaient affirmé que la police avait l'intention de faire usage d'une loi leur permettant de détenir un suspect pendant 28 jours, sans avoir à le faire comparaître devant un tribunal. La période de détention préventive pouvait être prolongée à l'infini.
Interrogé sur la raison pour laquelle le gouvernement n'avait pas utilisé la loi sur les médias en refusant de nous accréditer, pour nous empêcher de travailler, un haut responsable d'une organisation de défense des droits de l'homme a répondu : « Vous ne comprenez pas. Vous les avez défiés pendant trop longtemps. Ils veulent vous punir d'abord et vous expulser ensuite. »
L'appel de notre avocate m'a poussé à prendre une décision. J'ai garé ma voiture chez un ami et je lui ai emprunté la sienne. Les policiers qui s'étaient présentés à nos bureaux connaissaient parfaitement mon numéro d'immatriculation.
Pendant trois jours, je me suis mis à parler de manière codée et j'ai utilisé des téléphones d'autres personnes pour éviter d'être repéré. Je n'ai plus dormi chez moi. J'ai récupéré précipitamment un visa à l'ambassade d'Afrique du Sud, je me suis rendu dans la petite maison de campagne que je loue et j'ai fait mes valises en 15 minutes.
Je ne trouvais plus Samson, mon chat, pour lui dire au revoir. Je n'ai rien dit à personne, sauf à deux amis très proches. En pleine nuit, j'ai franchi les 550 kilomètres qui séparent Harare de Plumtree, à la frontière du Zimbabwe et du Botswana.
Plus tard, à Francistown, la ville du Botswana qui se trouve à 80 kilomètres de la frontière, j'ai téléphoné à ma petite amie, Sarah, pour lui dire où je me trouvais. Elle s'est effondrée en sanglots de soulagement. »