Israël : RSF dénonce l’offensive du gouvernement de Benyamin Netanyahou contre l’indépendance des médias

En pleine guerre menée par Israël à Gaza et au Liban, le très conservateur ministre des Communications entend modifier durablement le paysage médiatique israélien. Entre une mesure sur l’interdiction des médias étrangers jugés dangereux, un projet de loi pour la mainmise du gouvernement sur le budget des chaînes publiques et l’ajout sans frais de licence d’une chaîne privée pro-Netanyahou au réseau terrestre, Shlomo Karhi promeut un traitement patriotique de l’information. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de ces attaques sans précédent contre l’indépendance et le pluralisme des médias, piliers de toute démocratie, et appelle le gouvernement à renoncer à ces réformes.

 

Mise à jour du 25 novembre 2024 : le 24 novembre, deux nouvelles propositions de mesures contre des médias critiques de l’exécutif et de la guerre menée à Gaza et au Liban ont été approuvées par le gouvernement Netanyahou. Le comité interministériel législatif a validé une proposition de loi prévoyant la privatisation du diffuseur public Kan – qui doit encore faire l’objet de quatre votes au Parlement. Le même jour, le conseil des ministres a accepté à l’unanimité un projet de résolution du ministre des Communications Shlomo Kahri, de novembre 2023 qui vise à couper les aides publiques et les revenus publicitaires financés par l’agence de publicité gouvernementale au journal Haaretz. RSF dénonce ces nouvelles atteintes à l’indépendance des rédactions.

 

Depuis plusieurs semaines, l’agenda des réformes législatives sur les médias promues par le ministre des Communications Shlomo Karhi s’accélère, sur fond de guerre intensive menée à Gaza et au Liban.

Dans la soirée du 20 novembre, les députés israéliens ont renouvelé une version musclée de la loi “Al-Jazeera”, ainsi surnommée par la presse israélienne. Cette mesure d’exception adoptée en avril 2024 pour quatre mois a déjà été renouvelée en juillet. L’amendement adopté hier étend désormais la durée de la loi à 6 mois et celle des interdictions d’émettre en Israël qu’elle permet de 45 à 60 jours pour tout média étranger jugé, par les services de sécurité, portant “atteinte à la sécurité nationale”.

Au début du mois déjà, le 3 novembre, le comité interministériel législatif, chargé de valider les propositions de lois soumises par des membres de la Knesset – le Parlement israélien –, a approuvé un projet de loi amplifiant les moyens de contrôle du ministre des Communications sur les médias : il s’agit alors de placer dans le giron de son administration le budget du diffuseur public Kan. À l’heure actuelle, l'exécutif doit passer par la loi pour modifier le budget du groupe, financé par différentes sources d’argent public et des revenus publicitaires.

Le 28 octobre, ce même comité a donné son feu vert à la modification du système de calcul des audiences télé. Selon ce texte, le ministère des Communications récupérerait cette mission des mains de l’organisme indépendant agréé en la matière, à l’instar de Médiamétrie en France, Nielsen aux États-Unis ou GfK en Allemagne.

“Le gouvernement de Benyamin Netanyahou s’attaque ouvertement à l’indépendance des rédactions et au pluralisme des médias en Israël. Le ministre des Communications, Shlomo Karhi, qui incarne la branche dure du Likoud, s’appuie sur le contexte de la guerre en cours, la plus longue de l’histoire du pays, pour faire taire les voix critiques de l’alliance droite-extrême droite au pouvoir. Ces lois sur les médias sont déposées par des parlementaires du Likoud puis validées dans la foulée par le comité interministériel législatif, dominé par la même formation politique. Ces assauts, notamment contre le diffuseur public Kan, auront des répercussions néfastes durables sur le paysage médiatique israélien, dont, en premier lieu, celle d’entacher l’un des étendards – la presse libre – d’un système auto-proclamé ‘seule démocratie du Moyen-Orient’. RSF appelle les responsables politiques israéliens, à commencer par le ministre Shlomo Karhi et le Premier ministre Benyamin Netanyahou, à faire preuve de responsabilité et à abandonner ces projets de réformes.

Anne Bocandé
Directrice éditoriale de RSF

Les médias critiques qualifiés d’outils de propagande

Le ministre Shlomo Karhi n’a jamais dissimulé sa haine des médias de service public. Celui qui n’hésite pas à qualifier ses détracteurs au sein de la Knesset de “terroristes” ni à accuser la rédaction du journal libéral Haaretz de faire de la propagande anti-israélienne avait, près de trois mois après sa nomination au sein du cabinet de Benyamin Netanyahou en décembre 2022, présenté un vaste plan de restructuration de l’écosystème médiatique, en mars 2023. La série de lois actuellement débattues émane de ce plan, en cours d’adoption en pièces détachées.

Figurent au cœur de cette stratégie l’affaiblissement du diffuseur public Kan et le renforcement de certaines chaînes privées, comme Channel 14, très en faveur de l’actuelle coalition au pouvoir. En août 2024, Channel 14 a rejoint le bouquet de canaux diffusés sur le réseau terrestre (l’équivalent de la TNT en France), sous l’impulsion du Likoud et du ministre Shlomo Karhi. Ses frais de licence sont couverts non pas par cette chaîne privée mais par le diffuseur public Kan.

Selon une autre proposition de loi approuvée par le comité interministériel législatif le 30 juin 2024, les fréquences radios pourraient à l’avenir être attribuées par le ministre des Communications qui prévoit, à terme, de démanteler l’organe indépendant, appelé Second Authority, chargé de ces attributions.

Avant l’adoption de loi dite “Al-Jazeera” en avril 2024, le ministre avait dès novembre 2023 interdit à la chaîne libanaise Al-Mayadeen, à la ligne éditoriale pro-Hezbollah et pro-Iran, d’émettre en Israël.

À l’intérieur du territoire israélien, les journalistes critiques du gouvernement et de la guerre font face depuis plus d’un an à de multiples pressions et intimidations. À Gaza, en Cisjordanie occupée et au Liban, les journalistes continuent d’être la cible de l’armée israélienne. Depuis le 7 octobre 2023, les militaires israéliens ont tué plus de 145 professionnels de l’information dans l’enclave palestinienne assiégée. selon le décompte réalisé par RSF, dont au moins 35 dans le cadre de leur travail.

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