Iran : le triomphe de l'impunité des crimes commis contre les journalistes
Vingt ans après une vague d’assassinat qui avait visé des journalistes et des intellectuels iraniens, Reporters sans frontières (RSF) demande que justice soit faite, et que les assassins et commanditaires de ces crimes - qui occupent aujourd'hui de hautes fonctions publiques en Iran- soient poursuivis.
A l'occasion du 20e anniversaire des assassinats en série de journalistes et d'intellectuels en Iran, Reporters sans frontières a organisé ce mercredi 5 décembre 2018 à Paris une soirée commémorative qui réunissait plusieurs grandes figures iraniennes de défense des droits humains. En présence de Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003 et avocate des familles des victimes, Abdoul Karime Lahiji, président de la Ligue iranienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LDDHI) et président honoraire de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FDIH) et de l’écrivaine Parastou Forouhar, fille des célèbres intellectuels et opposants Parvaneh et Darioush Forouhar, retrouvés assassinés à coup de couteau à leur domicile à Téhéran, RSF a demandé aux autorités iraniennes de briser la logique d'impunité qui perdure pour les crimes commis contre les journalistes.
“Nous n’abandonnerons pas ce combat pour la justice, mené depuis maintenant vingt ans par RSF, a déclaré Sophie Busson, responsable du plaidoyer à Reporters sans frontières, à l’ouverture de cette cérémonie. Il ne s’agit pas seulement de lutter contre l’oubli. Juger et condamner les responsables de ces crimes, traquer jusqu’aux commanditaires, c’est aussi donner les moyens aux journalistes de poursuivre, aujourd’hui, leur courageuse mission d’information.”
Le responsable du bureau Iran-Afghanistan, Reza Moini a également lancé un appel à la communauté internationale et notamment à Javaid Rehman, le nouveau Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran pour agir en faveur des familles des victimes qui ont porté plainte devant les instances internationales il y a plus de 16 ans maintenant.
En novembre et décembre 1998, plusieurs intellectuels et opposants ont été assassinés en Iran, dont Darioush et Parvaneh Forouhar, figures emblématiques de l'opposition libérale, Majid Charif, éditorialiste pour le mensuel Iran-é-Farda, les écrivains-journalistes Mohamad Mokhtari et Mohamad Jafar Pouyandeh. Quelques mois auparavant, Pirouz Davani, rédacteur en chef du journal Pirouz, disparaissait. Son corps n'a jamais été retrouvé.
Cette vague d'assassinats et de disparition avait provoqué la mobilisation d'une grande partie de la presse réformatrice et poussé les autorités à mettre sur pied une commission d’enquête.
En janvier 1999, le ministère des Renseignements avait reconnu officiellement l'implication de certains de ses agents et annoncé l'arrestation de dizaines de suspects. En janvier 2001, dans le cadre de l'enquête sur le meurtre des époux Forouhar, quinze agents du ministère des Renseignements ont été condamnés : trois à la peine de mort et douze à des peines de prison.. En ce qui concerne l'affaire Davani, les autorités n'ont jamais démontré leur volonté de voir un jour cette affaire élucidée. Dans un cas comme dans l’autre, les commanditaires n’ont jamais été mis en cause.
Si l'implication de personnalités de haut rang a été prouvée, il n'y a eu aucune volonté politique de les poursuivre en justice. Trois des suspects, l’ancien ministre de la Justice Mostafa Pourmohamadi, le porte-parole du ministère de la Justice, Gholam-Hossein Mohseni Ejei, et l'ancien procureur de la République Ghorbanali Dorri-Najafabadi, qui était ministre des Renseignements au moment des assassinats, n'ont jamais été inquiétés. Seuls une quinzaine d'agents du ministère des Renseignements ont été reconnus coupables et condamnés à des peines allant de trois à douze ans de prison. Aujourd’hui tous ont été libérés.
L’impunité en Iran est une des causes essentielles de la violence à l’encontre des journalistes. En plus des journalistes et intellectuels assassinés en 1998, d’autres meurtres de journalistes restent non élucidés à ce jour : le corps du journaliste Ebrahim Zalzadeh a été retrouvé en avril 1996 lardé de 15 coups de couteaux, Zahra Kazemi est morte en détention en 2003 mais les responsables de leur mort n’ont jamais été condamnés. Les meurtriers de la journaliste kurde de l'Agence de presse Euphrate, Ayfer Serçe, tuée en 2006, du jeune blogueur Omidreza Mirsayafi, et de l’ancien journaliste de Abrar Economie Alireza Eftekhari, assassinés en 2009, et plus récemment de la journaliste et activiste des droits des femmes Haleh Sahabi et de Hoda Saber, journaliste d’Iran-e-Farda, (tués en 2011) et de Sattar Beheshti, (2012) n’ont pas été davantage poursuivis.
L’Iran se situe à la 164e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2018 de Reporters sans frontières.