Internet : une arme de révolution massive ?
Organisation :
Depuis le 6 avril 2008, de nombreux internautes égyptiens n'ont de cesse de communiquer pour appeler au changement dans la société. Ayant grandi sous une loi d'état d'urgence qui les empêche de s'exprimer librement, ils ont également les premières victimes du harcèlement des autorités. En 2008, plus de 500 d'entre eux ont été arrêtés en raison du contenu de leurs publications en ligne.
Internet est un bruit de fond qui accompagne la vie politique égyptienne depuis les élections législatives de 2005. C'est un bourdonnement qui gronde et intéresse de plus en plus les Egyptiens. La réputation de la blogosphère locale grandit au même rythme que le nombre de ses adeptes. Aujourd'hui, le pays compte le plus fort taux de pénétration d'Internet sur le continent africain (20% de la population surfe sur le Net).
L'utilisation d'Internet étant de plus en plus répandue parmi les jeunes citadins égyptiens, les autorités surveillent cet espace de près. Dans le quartier de la Bourse de la capitale (Borsa street), la présence d'agents tendant l‘oreille vers les blogueurs qui parlent de “révolution”, de “changement”, de “colère”, et du 6 avril 2009, est notable.
En 2009, un appel a été lancé pour que le 6 avril devienne un jour de “colère”. Et tous les moyens de communication sont bons pour toucher toute la société. Depuis des slogans écrits sur les billets de banque à des milliers de SMS envoyés à des numéros inconnus. Ces jeunes utilisateurs de Facebook n'ont aucune expérience politique et l'on ignore leur nombre réel. Mais c'est là leur force. Toute forme de réunion étant interdite en vertu de la loi sur l'état d'urgence à laquelle est soumis le pays depuis 28 ans, Internet permet de se rassembler via un ordinateur.
Intimider les internautes à défaut de pouvoir contrôler Internet
“Nous avons une presse indépendante, mais elle ne brise aucune règle. Nous publions des photos et des vidéos sur nos blogs pour les briser. C'est un peu comme faire apparaître le génie de la lampe, qui n'y retournerait plus jamais”, explique Wael Abbas, considéré comme l'un des blogueurs les plus emblématiques en Egypte. Il est à l'origine de l'un des scandales les plus importants de cette décennie. La publication de vidéos sur son blog en janvier 2007, montrant des actes de torture commis par deux officiers de police dans un commissariat du Caire, a très probablement mené à la condamnation de ces officiers de police à une peine de prison, chose qui n'était pas survenue dans le pays depuis plus de vingt ans. Beaucoup de jeunes ont commencé à bloguer pour l'imiter.
Devant cet engouement pour la Toile, l'étau se resserre sur les télécommunications. Depuis 2008, il n'est plus possible pour les Egyptiens de se procurer une ligne téléphonique non enregistrée. Mais le contrôle est loin d'être total. Une nouvelle régulation est en vigueur. Elle modifie les conditions d'utilisation du réseau Internet sans fil (WiFi). Tout d'abord, la connexion est devenue payante. Pour se connecter, il est nécessaire de fournir une adresse e-mail sur laquelle est envoyé le mot de passe et le nom d'utilisateur nécessaires.
Par ailleurs, un projet de loi est en discussion au Parlement concernant la régulation du Net. Il prévoit notamment des peines d'emprisonnement pour “abus de l'utilisation d'Internet” et pour “publication de contenu multimédia sans autorisation du gouvernement”.
Face à ces pressions, les internautes résistent. Le blogueur Mohammed Adel, qui a été détenu durant quatre mois pour avoir publié des articles sur Internet et avoir pris position sur le conflit Israélo-palestinien, persiste. A l'heure actuelle, il ne sait toujours pas où il était détenu. Il s'agit de sa quatrième arrestation en deux ans, mais il continue le combat.
Petite histoire d'une grève virale contestée
Le 6 avril 2008, une grève a eu lieu au nord du Caire, à Mahalla, siège de l'usine de textile la plus importante du pays. En soutien à cette grève du Nord, les blogueurs cairotes ont répercuté le message, formant eux-mêmes un “groupe du 6 avril” sur la plateforme Facebook. “6-avril” est devenu un mouvement regroupant des partisans de toutes les sensibilités politiques. 1254 grèves auraient organisées dans le pays, entre le 6 avril et le 31 décembre 2008, malgré leur caractère illégal. Pour Mona Salem, correspondante de l'Agence France-Presse au Caire, le 6 avril est un moment “rare” dans l'histoire contemporaine égyptienne. L'ayant couvert pour l'agence, elle affirme que l'intérêt de ce mouvement “ne réside pas dans ses conséquences, car rien n'a changé. Il montre simplement que des jeunes, sans affiliation politique précise, s'intéressent à ce qui se passe dans leur société”. Cet élan nationaliste intrigue le gouvernement, qui a été pris au dépourvu.
Les réseaux sociaux servent de relais aux messages de protestation. Internet représente un espace incontournable de la nouvelle génération égyptienne car il remplace petit à petit les syndicats et la mobilisation politique dans les universités. “Le gouvernement est semblable à une pieuvre, qui déploie des moyens tentaculaires pour trouver un coupable à chacune des critiques émise contre lui. Internet aide à rendre notre protestation populaire. Peu importe qu'une manifestation n'ait pas lieu dans telle ville. Grâce à ce mode de communication, elle aura lieu dans une autre”, confie l'un des blogueurs du “6-Avril” à Reporters sans frontières.
Mais le “6-Avril”, aussi révolutionnaire fût-il, est contesté. Certains lui reprochent de profiter des revendications des ouvriers de Mahalla pour se faire connaître. Car ce mouvement est également une affaire médiatique. La “sexy story” des médias : ces jeunes blogueurs qui sortent de nulle part, dont on ignore le nombre, mais qui feraient bouger l'Egypte. Certes, en un an, “rien n'a réellement changé”, disent les habitants du Caire. Mais Internet a permis de faire passer un message. Le succès médiatique des blogueurs les plus connus aurait fait du tort à la crédibilité du mouvement de protestation médiatisé sur Internet. D'autres clament que le mouvement marque le pas et que l'enthousiasme a disparu.
Contrairement aux pays considérés comme répressifs tels que la Chine, le Viet-nam ou, plus proches, la Tunisie, la Libye ou l'Arabie saoudite, le régime égyptien ne considère pas ces jeunes comme des dissidents. Les activistes qui utilisent ce réseau ne se cachent pas et leurs moyens de communication reposent sur des techniques virales totalement transparentes. Mais cette histoire est un exemple de défi lancé aux autorités : “Si vous êtes là, montrez-vous. Si vous pensez que nous vivons dans un Etat de droit, prouvez-le.”
|
Publié le
Updated on
20.01.2016