Inquiète de la banalisation de la violence visant les médias grecs, RSF appelle les autorités à ne pas laisser ces agressions impunies

Les explosions dans les locaux du groupe Real revendiquées par des militants anarchistes s’ajoutent à des attaques similaires perpétrées depuis plusieurs années en Grèce. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités d'accélérer les enquêtes sur les crimes contre les journalistes et les médias, ainsi que la mise en place de nouvelles mesures de protection.

 

Le 20 juillet, le groupe anarchiste Thousands of Night Suns a revendiqué l’attaque contre les locaux du groupe Real perpétrée dans la nuit du 12 au 13 juillet. Accusant Real de “soutenir la propagande [des] hommes politiques [grecs]”, le groupe a dédié son action à deux militants anarchistes dont l’un est en grève de la faim et l’autre est décédé il y a deux ans. Le groupe anarchiste a fait exploser trois bonbonnes de gaz, causant d'importants dégâts dans un immeuble de la banlieue nord d’Athènes qui abrite notamment les rédactions de la radio d’information en continue Real FM et l’hebdomadaire RealNews. Si personne n’a été blessé, une ingénieure du son souffrant de problèmes respiratoires a été conduite à l’hôpital. 

L’attaque contre Real vient s’ajouter à une dizaine d’exactions perpétrées au cours de ces trois dernières années contre les médias et les journalistes grecs accusés, par leurs  auteurs, de diffuser la propagande d’État.

Nous exprimons notre solidarité avec les journalistes de Real qui porte le pluralisme d’opinions dans un paysage médiatique grec extrêmement polarisé, déclare le responsable du bureau Union européenne-Balkans de RSF, Pavol Szalai. Inquiets de la banalisation de la violence contre les médias en Grèce, nous appelons les autorités à faire le nécessaire pour que les enquêtes sur ces attaques aboutissent, et à renforcer les mesures de protection des journalistes.

Le gouvernement doit notamment accélérer la mise en œuvre du mémorandum interministériel sur la sécurité des journalistes signé le 7 juin, comme le demande par ailleurs la Commission européenne dans son rapport sur l’état de droit en Grèce du 13 juillet. De même, les autorités grecques doivent appliquer les recommandations de l'exécutif européen adoptées en septembre 2021.

À ce jour, la grande majorité des attaques contre la liberté de la presse restent impunies. En réaction aux explosions dans les locaux de Real, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis a déclaré que “l’État ferait tout pour retrouver les auteurs et les traduire en justice” et que toute tentative de cibler des journalistes “doit être condamnée”. Interrogé par RSF au sujet des exactions commises contre les journalistes depuis juillet 2019, le chef de la police hellénique, Konstantinos Skoumas, affirme que “les enquêtes seront poursuivies sans interruption jusqu'à ce que toutes les affaires soient résolues, quel que soit le temps nécessaire.” Il s’engage en outre à assurer “la protection permanente des journalistes et des installations des médias", affirmant avoir déployé 345 policiers dédiés à la protection des médias et journalistes. 

Or, le chef de la police n’a ni détaillé les missions effectuées par la police, ni répondu à la question de RSF sur l’avancée des différentes enquêtes. 

Onze exactions en trois ans

Si la Grèce a une histoire d’attaques des groupes extrémistes depuis 1974, depuis juillet 2019, RSF a recensé au total 11 attaques visant essentiellement des locaux de médias et suivant un modus operandi similaire (locaux attaqués la nuit, pas de victime), avec la multiplication d’attaques, en 2021, contre les domiciles de journalistes :

  • 13 juillet 2022 : dernière attaque en date, explosion dans les locaux de RealNews et RealFM revendiquée par le groupe anarchiste Thousands of Night Suns.
  • 14 juin 2022 : un objet explosif improvisé cause d’importants dégâts à l’entrée de l’immeuble du journaliste de SKAI TV, Artis Portosalte.
  • 1er février 2022 : une explosion devant le domicile du journaliste de SKAI TV,  Yannis Kampourakis, endommage la porte d’entrée.
  • 30 juin 2021 : un objet explosif est déclenché devant le domicile du journaliste de To Vima, Yannis Pretenteris.
  • 22 février 2021 : les locaux de la chaîne de sport Action 24 sont saccagés. Une personne est arrêtée par la police.
  • 10 février 2021 : une bombe improvisée explose à l’entrée du siège des journaux Dimokratia, Espresso et Estia.
  • 4 octobre 2020 : les locaux du journal Proto Thema sont vandalisés. L’attaque est revendiquée par le groupe anarchiste Solidarity Initiative et intervient à la suite de l’arrestation du militant anarchiste Polykarpos Georgiadis.
  • 18 avril 2020 : les locaux de la chaîne SKAI TV font l’objet d’une attaque aux cocktails Molotov par trois individus.
  • 10 mars 2020 : un groupe non identifié saccage les locaux de la radio publique ERT3.
  • 16 janvier 2020 : une trentaine d’hommes du groupe anarchiste Rouvikonas jettent de la peinture rouge et endommagent les bureaux des journaux Dimokratia et Espresso.
  • 4 juillet 2019 : 15 membres du groupe anarchiste Rouvikonas saccagent les locaux du journal Athens Voice en réponse à un commentaire publié sur le site Internet du journal jugé moqueur à propos de la mort de Gayane Kassardjian, une migrante arménienne décédée en cherchant à fuir la police.

Ce type d’attaques ne constitue pas la seule forme de violence à laquelle sont exposés les journalistes en Grèce. Les journalistes des médias de différentes lignes éditoriales pour le moins disparates ont été ciblés par le crime organisé. En avril 2021, le spécialiste des affaires criminelles de Star TV, Giorgos Karaivaz, est abattu devant son domicile, un crime pour lequel personne n’a encore été arrêté malgré les appels incessants de RSF à l'accélération de l’enquête. Au même moment, l’éditeur du journal Documento, Kostas Vaxevanis, a fait l’objet d’un projet d’assassinat, alors que le rédacteur en chef du journal tabloïd Makelio, Stefanos Chios, a été blessé par des tirs visant sa voiture en 2020. Ce noir tableau est complété par les agressions de la part des manifestants et des violences policières visant les journalistes couvrant les événements d’ordre public. 

Dernière dans l’Union européenne, la Grèce occupe la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022. 

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