Ilham Aliev à Paris : lettre ouverte à François Hollande

Monsieur le Président de la République, Vous recevez ce lundi 27 octobre votre homologue azerbaïdjanais, M. Ilham Aliev. A cette occasion, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de l’information, attire votre attention sur la situation critique des médias et des journalistes indépendants en Azerbaïdjan. Dans ce pays, classé 160e sur 180 dans notre dernier Classement mondial de la liberté de la presse, le pouvoir exerce une répression sans précédent contre les journalistes, professionnels ou non. Le fonctionnement partial de l’autorité de régulation, l’autocensure et la manipulation du marché publicitaire assurent aux autorités une mainmise totale sur le secteur audiovisuel. Par ailleurs, l’étau se resserre autour d’une poignée de journaux indépendants qui luttent pour leur survie. Fin mai, l’un des principaux d’entre eux, Zerkalo, a été contraint de mettre un terme à sa publication papier. Azadlig croule à son tour sous le poids d’amendes astronomiques et se trouve proche de l’asphyxie économique. Avec pas moins de treize journalistes et blogueurs injustement incarcérés, l’Azerbaïdjan est aujourd’hui la plus grande prison du continent européen pour les acteurs de l’information. L’état de santé de plusieurs d’entre eux, comme le rédacteur en chef de Khural Avaz Zeynalli, est préoccupant. Les parodies de procès, ne respectant ni les procédures ni les droits de la défense, sont monnaie courante. Les journalistes, blogueurs et citoyens-journalistes critiques du pouvoir font également face à toutes sortes de manœuvres d’intimidation : menaces, agressions, chantage, campagnes de diffamation… Ces menaces ont obligé nombre de journalistes indépendants à fuir l’Azerbaïdjan. Mais la traque menée par les autorités dépasse désormais les frontières du pays. Le 18 avril, le célèbre chroniqueur Raouf Mirkadyrov a été extradé depuis la Turquie, où il était basé, vers l’Azerbaïdjan. Sitôt arrivé, il a été incarcéré et accusé d’« espionnage au profit de l’Arménie ». Depuis cet été, la répression s’abat également sur les ONG de soutien des médias et de défense de la liberté de l’information : Institute for Reporters’ Freedom and Safety (IRFS), Media Rights Institute (MRI), IREX... Leurs comptes bancaires ont été gelés, leurs locaux perquisitionnés, leurs dirigeants contraints à l’exil ou au silence. La plupart n’ont eu d’autre choix que de mettre un terme à leurs activités. Monsieur le Président, les autorités azerbaïdjanaises sont en train d’annihiler tout pluralisme médiatique. Cette tendance sape l’État de droit et la lutte contre la corruption en Azerbaïdjan, sans lesquels Bakou peut difficilement être considéré comme un partenaire fiable. Quels que soient les avantages économiques et stratégiques des échanges entre la France et l’Azerbaïdjan, un dialogue franc entre partenaires ne saurait faire l’impasse sur la liberté de l’information, liberté fondamentale garantie par la Constitution azerbaïdjanaise et les traités internationaux. Nous vous prions donc, Monsieur le Président, d’aborder clairement cette question avec votre homologue azerbaïdjanais lors de sa visite à Paris et de solliciter la libération des journalistes et blogueurs emprisonnés. Nous vous demandons respectueusement de rappeler à M. Aliev que la dérive actuelle est incompatible avec l’approfondissement des relations entre Paris et Bakou, comme elle est incompatible avec la présidence azerbaïdjanaise du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe. Confiant dans l’intérêt que vous porterez à notre requête, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération. Christophe Deloire
Secrétaire général de Reporters sans frontières (Photo: AFP / Stéphane de Sakutin)
Publié le
Updated on 20.01.2016

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