Harcèlement judiciaire d'un journaliste local : "Il n'est plus possible de travailler à Gerger"

Reporters sans frontières est profondément indignée par la nouvelle condamnation du journaliste indépendant Haci Bogatekin. Dans l'une des nombreuses affaires ouvertes contre lui, le propriétaire du bimensuel local Gerger Firat et rédacteur en chef du site Internet gergerfirat.net, a été condamné à cinq ans, un mois et sept jours de prison le 2 mars dernier. Cette condamnation, prononcée par un tribunal de la province d'Adiyaman, dans le Sud-Est du pays, n'est que la dernière étape du harcèlement judiciaire dont le journaliste est la cible, a déclaré l'organisation de défense de la liberté de la presse. Il s'agit de la quatrième condamnation du journaliste, qui est encore poursuivi par les autorités locales dans d'autres affaires séparées. Le total des peines prononcées à son encontre s'élève déjà à 10 ans, 8 mois et 14 jours de prison. La disproportion des peines prévues par le Code pénal pour "insulte", "entrave à la justice" ou "atteinte aux autorités" est un problème récurrent en Turquie. Le cas de Haci Bogatekin montre à quel point, entre les mains de procureurs qui sont à la fois juges et parties, elle constitue un obstacle majeur à l'application pleine et entière de la liberté d'expression. Critique à la fois des structures d'Etat (armée, justice) gardiennes des dogmes kémalistes, et du conservatisme religieux du parti au pouvoir AKP, la position originale de Haci Bogatekin lui vaut d'être pris entre deux feux. Dans un article intitulé "Feto et Apo", publié le 4 janvier 2008, le journaliste suggérait que la guerre contre les séparatistes kurdes du PKK emmenés par Abdullah Öcalan ("Apo") occultait une autre menace, l'influence croissante de communautés religieuses telles que Fethullah Gülen ("Feto") dans la région. Convoqué par le procureur de Gerger pour répondre d'"apologie du PKK", Haci Bogatekin se serait vu déclarer : "Tu peux dire ce que tu veux de ce terroriste (Apo). Mais comment oses-tu appeler 'Feto' notre Maître Fethullah Gülen, le bien-aimé de millions de gens ? Ou tu t’excuses dans le prochain numéro, ou cela se passera mal pour toi !" Après que le journaliste ait rapporté ces propos et fait état de la sympathie du procureur Sadullah Ovacikli pour Fethullah Gülen dans son journal, il s'est vu accusé d'"insulte" envers le procureur (article 125 du Code pénal turc) et de "tentative d'influencer le bon déroulement d'un procès" (article 288). Lauréat du Prix de la Liberté de la Presse 2008 de l'Association des journalistes turcs (TGC) et récompensé en 2009 par l'Association contemporaine des journalistes (ÇGD), le journaliste est devenu un symbole des dysfonctionnements de la justice turque. Il estime désormais que "les conditions pour exercer le journalisme à Gerger ont disparu". Le rédacteur en chef du site gergerim.com, Cumali Badur, condamné à six mois de prison en vertu de l'article 288 pour avoir mentionné cette affaire, a finalement vu sa peine commuée en une amende de 1500 euros. En revanche, le jour même du verdict contre Haci Bogatekin, le même tribunal a condamné son fils, Özgür Bogatekin, à un an, deux mois et dix-sept jours de prison pour être intervenu contre des violences policières dont il était témoin. Lire les précédents communiqués à ce sujet : Lire le rapport de RSF sur la détention de Haci Bogatekin (juin 2008)
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Updated on 20.01.2016