Grèce : au cours d’une réunion avec RSF, le gouvernement s’engage à interdire les logiciels espions

Si elles souhaitent regagner la confiance des journalistes, les autorités grecques doivent assurer leur protection contre la surveillance arbitraire et rendre justice pour l’assassinat du journaliste Giorgos Karaivaz en 2021. Lors d’une réunion avec le ministre adjoint du Premier ministre à Athènes, Reporters sans frontières (RSF) a émis des recommandations spécifiques pour la réforme juridique et l’enquête sur ce crime.

‘“Le fossé de méfiance entre les journalistes grecs et les autorités s’est encore creusé avec les récentes révélations de surveillances de journalistes par un logiciel espion et par les services de renseignement. Si les autorités veulent empêcher la démocratie grecque d’être au bord du gouffre, les responsables des écoutes arbitraires de journalistes doivent être traduits en justice. En outre, le nouveau cadre juridique promis par le gouvernement doit être à la fois ambitieux et élaboré en consultation avec les principaux intéressés : les journalistes.

Pavol Szalai
Responsable du Bureau UE-Balkans de RSF

Lors de leur rencontre, le 10 octobre à Athènes, le représentant de RSF a demandé au ministre adjoint du Premier ministre, également porte-parole du gouvernement grec, Ioannis Oikonomou, d’amorcer un dialogue sur une réforme globale des garde-fous juridiques contre la surveillance arbitraire des journalistes. Il a appelé le ministre à discuter avec la communauté journalistique des recommandations détaillées de RSF visant à pallier l’absence de contrôle judiciaire dans les cas de surveillance pour des raisons de sécurité nationale, l’absence de garanties contre l’abus de surveillance, et notamment contre les écoutes de journalistes, et l’absence de définition claire du terme “sécurité nationale”.

L’espionnage arbitraire de Thanasis Koukakis, couvrant des affaires financières, et de Stavros Malichudis, spécialisé sur les questions d’immigration, par le Service de renseignement national (EYP), a été rendu possible par le cadre juridique actuel. Les insuffisances de celui-ci sont encore aggravées par l’absence de garde-fous spécifiques contre l’utilisation illégitime de logiciels espions.

En réponse à la demande de Pavol Szalai de légiférer sur l’usage des logiciels espions, Ioannis Oikonomou s’est engagé, lors de la réunion, à ce que le gouvernement “propose bientôt une loi pour rendre l’utilisation de logiciels espions illégale”, tout en répétant que les autorités grecques n’avaient ni acheté ni utilisé Predator. Predator est le logiciel espion qui a infecté le téléphone et a iviolé la vie privée de Thanasis Koukakis de manière illégale, alors que celui-ci était sous la surveillance de l’EYP. Selon les révélations des médias grecs, une société appartenant au secrétaire général du Premier ministre, qui, depuis, a démissionné, faisait affaire avec l’entreprise qui commercialise Predator. Jusqu’à présent, l’enquête pénale en cours et l’investigation parlementaire sur la surveillance n’ont pourtant pas permis de faire la lumière sur la tentative d’atteinte à la liberté de la presse.

Le ministre adjoint du Premier ministre a promis à RSF que le gouvernement poursuivrait ses “initiatives actuelles” pour mettre en place des contrôles supplémentaires sur les opérations des services secrets. Pour RSF, la mesure essentielle dans ce domaine est d’abroger, avec un effet rétroactif, l’amendement empêchant des individus d’être informés, sous certaines conditions, sur leur surveillance passée. Une telle modification de la législation permettrait aux journalistes d’exercer leur droit à un recours effectif.

L’amendement avec effet rétroactif dont RSF demande l’abrogation a été adopté en mars 2021. Il interdisait à l’Autorité hellénistique pour la sécurité des communications et la protection de la vie privée (ADAE) d’informer Thanasis Koukakis qu’il avait été placé sous surveillance par l’État. Bien que le gouvernement conteste que la demande du journaliste à l’ADAE ait suscité l’amendement, celui-ci a été voté peu de temps après que Thanasis Koukakis a saisi l’Autorité. Des informations fiables sur les écoutes des deux journalistes ont ensuite fuité dans la presse.

Lors de sa mission en Grèce, Pavol Szalai a également discuté des recommandations de RSF avec le président de l’ADAE et ex-juge du Conseil d’État Christos Rammos. “Comme je l’ai déjà écrit avec mes collègues dans un article1, l’amendement2 – selon lequel l’ADAE a l’interdiction stricte d’informer les personnes visées par le passé de l’interception légale de leurs communications pour des raisons de sécurité nationale – est en contradiction avec la jurisprudence correspondante de la Cour européenne des droits de l’homme”, a déclaré le président de l’Autorité lors de la réunion avec RSF, le 11 octobre. Il a ajouté qu’il est “en faveur d’une amélioration du cadre juridique régulant l’interception légale des communications en Grèce, afin de garantir de meilleurs contrôles dans l’ensemble de la procédure, et de parvenir à une meilleure protection du droit à la vie privée des citoyens inscrit dans la constitution”.

Le fossé entre la garantie constitutionnelle et la perception de son efficacité par les journalistes en Grèce peut difficilement être plus important dans une démocratie. La crainte de la surveillance de masse et la méfiance des journalistes à l’égard des autorités chargées de leur protection ont été démontrées par une lettre ouverte datant de septembre, dans laquelle ils demandent aux membres du Parlement européen de vérifier si leurs téléphones sont la cible de logiciels espions.

Si les autorités grecques veulent regagner la confiance des journalistes, elles doivent non seulement protéger les professionnels des médias contre la surveillance arbitraire et enquêter sur son utilisation, mais aussi rendre justice pour l’assassinat, le 9 avril 2021, de Giorgos Karaivaz, journaliste spécialisé dans la criminalité. Prenant la parole lors de la conférence “A Matter of Trust” (“Une question de confiance”) organisée à Athènes par l'iMEdD (incubateur pour le développement et l’éducation des médias), Pavol Szalai a exprimé la consternation de RSF devant le fait que, 18 mois après son assassinat, personne n’ait été arrêté et que l’enquête semble au point mort. Après avoir rencontré l’épouse et le fils du journaliste, le représentant de RSF a demandé au vice-Premier ministre d’inviter Europol à aider la police grecque dans son enquête. L’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs  s’est révélée efficace pour clore l’enquête sur l’assassinat du journaliste Ján Kuciak en Slovaquie. Dans ce pays, à Malte et aux Pays-Bas, des suspects ont déjà été détenus ou jugés un an après le meurtre, ce qui rend l’absence de progrès en Grèce sans équivalent dans l’UE ces dernières années.

La Grèce, seul pays européen à cumuler, dans un court laps de temps, l’assassinat d’un journaliste, la surveillance arbitraire de professionnels des médias, et d’autres menaces à leur sécurité physique et à leur indépendance, se situe en dernière position dans l’UE et à la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

 

 


 

  1. Article scientifique publié sur le site constitutionalism.gr par Christos Rammos, Aikaterina Papanicolaou et Stefanos Gritzalis.
  2. Article 87 de la loi 4790/2021.
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