Géorgie : la choquante impunité des auteurs de violences contre les reporters couvrant les manifestations
Plus de 70 reporters ont été attaqués en Géorgie, certains à plusieurs reprises, en couvrant les manifestations débutées il y a trois semaines. Choquée, Reporters sans frontières (RSF) dénonce des violences policières systématiques, organisées, et exhorte l’Union européenne (UE) à agir face à l’impunité dont jouissent les forces de l’ordre et qui menace la démocratie géorgienne.
Plus de 70 journalistes ont subi diverses attaques, certains à plusieurs reprises : coups, jets de canons à eau, gaz lacrymogènes, interpellations, insultes, obstructions, dommages matériels… La moitié d’entre eux ont été blessés. La police géorgienne cible les reporters couvrant les manifestations qui ont débuté le 28 novembre, à la suite de la décision du Premier ministre de suspendre les négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE). Les deux premières nuits de mobilisation ont été marquées par une brutalité particulière, avec près de la moitié des 87 cas recensés par RSF, s’appuyant sur la documentation d’organisations locales. Et depuis une semaine, les députés pro-russes du parti Rêve géorgien, élus le 26 octobre grâce à des fraudes, adoptent de manière expéditive des amendements législatifs renforçant encore la répression.
“Rêve géorgien est un cauchemar pour la démocratie et les médias qui exposent les actes liberticides du parti. L'impunité totale des forces de l'ordre et les nouvelles lois menacent gravement le droit à une information fiable. Au-delà de la question de l’intégration européenne, ces événements incarnent une lutte cruciale pour l'indépendance géorgienne face à l'influence russe. RSF demande en urgence une action forte de l’UE, ainsi qu'une enquête internationale sur les violences commises sur les journalistes pour traduire leurs auteurs en justice.
Des violences systématiques et coordonnées
Les forces de l’ordre ont eu recours à une répression brutale, incluant l’utilisation de gaz lacrymogène, de sprays au poivre et de canons à eau additionnée de produits chimiques. Plusieurs journalistes ont subi des brûlures chimiques et des blessures graves. Certaines nécessitent des semaines de convalescence avant un retour sur le terrain. Le service d’enquête spécial, l’organe public de défense des droits créé en coopération avec l’UE, a annoncé l’ouverture d’investigations sur les violences contre les journalistes, mais son inefficacité chronique laisse peu d’espoir quant à l’issue.
L’un des cas les plus graves d’exactions concerne le reporter Guram Rogava, qui a échappé de justesse à la paralysie. Alors qu’il diffusait en direct sur la chaîne Formula TV, il a été repéré par un groupe de policiers qui l’ont violemment frappé, le blessant à la colonne vertébrale. Autre exemple : dix officiers de la police antiémeute ont encerclé le rédacteur en chef de Realpolitik Aka Zarkua, le 29 novembre, avant de le frapper à plusieurs reprises en l’insultant et en tentant de lui enfoncer sa carte de presse dans la bouche. Sciemment ciblée par un canon à eau, la première nuit des manifestations, la fondatrice d’OC Media Mariam Nikuradze a été blessée à la jambe et son matériel a été endommagé. Dans la nuit du 1er au 2 décembre, pendant qu’elle filme, un officier la jette contre le mur, cassant sa seconde caméra. Convoquée par la police, la journaliste a même été entendue, le 10 décembre, dans une affaire ouverte pour “organisation de violences de groupe”.
La violence semble coordonnée entre les forces de l’ordre et des groupes d’hommes encagoulés, dépourvus d’identification. Le 7 décembre, la journaliste de TV Pirveli Maka Chikhladze est violemment frappée à la tête par un homme lors d’un direct sur la chaîne et son caméraman, Giorgi Shetsiruli, est sauvagement jeté au sol et battu sans que la police, postée à proximité, ne réagisse. Lors de cet incident, les journalistes ont été dépouillés de leur matériel permettant de diffuser en direct.
C’est le cas également du média spécialisé dans les politiques publiques Publika : “Impossible de récupérer notre équipement professionnel, confisqué par la police en dehors de toute procédure officielle, “il a été ‘perdu’ selon eux”, précise Aleksandre Keshelashvili, hospitalisé avec un nez fracturé après avoir été arrêté et violemment frappé par la police.
Des lois pour renforcer la répression
Depuis le 11 décembre, le gouvernement adopte également des amendements législatifs renforçant les restrictions pour les rassemblements pacifiques. Ces mesures incluent l’interdiction du port de masques, une pratique essentielle pour les journalistes exposés à des substances chimiques, ainsi qu’une hausse significative du montant des amendes pour dégradations mineures ou perturbations du trafic, susceptibles d’être utilisées contre les reporters couvrant les manifestations. Un amendement accroît par ailleurs les pouvoirs de la police, en élargissant la liste des motifs justifiant l’arrestation administrative d’une personne, la fouille personnelle, ainsi que la perquisition et la confiscation de ses biens.
Ces événements s’inscrivent dans un contexte de dégradation continue de la démocratie géorgienne, en particulier de la liberté de la presse, comme souligné dans un rapport alarmant de RSF et neuf partenaires publié la veille des législatives. Accompagnée d’une campagne de haine visant les journalistes, la loi sur la “transparence de l’influence étrangère” adoptée en août, notamment, menace l’existence des médias financés par des fonds internationaux.