France : ne laissons pas la loi sur la liberté de la presse être fragilisée par une exception procédurale au bénéfice des personnalités politiques

L’Assemblée nationale française a adopté le 7 février 2024 un amendement à la loi sur la presse qui allonge les délais de prescription en matière d’injure et de diffamation quand la personne visée est une personne élue ou un candidat. Une remise en cause dangereuse des fragiles équilibres d’une législation de 1881 protégeant prioritairement la liberté de la presse et la liberté d’expression.


Mise à jour du 27/02 : Nos positions ont été entendues : la commission mixte paritaire sur la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires a supprimé l’article 2bis, qui allongeait le délai de prescription pour les injures publiques et les faits de diffamation “lorsque la victime est titulaire d’un mandat électif public ou candidat à un tel mandat au moment des faits”. 




Deux amendements à la loi sur la presse adoptés au Sénat et à l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen de la proposition de loirenforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires”, créeraient s’ils étaient définitivement adoptés un déséquilibre entre simples citoyens et élus. Les premiers n'auraient toujours que trois mois pour porter plainte s’ils s’estiment diffamés ou injuriés, là où les seconds auraient désormais un an pour le faire. 

La loi de 1881 sur la liberté de la presse pose plus largement le cadre de la liberté d’expression en France. Par ces amendements, les parlementaires français entendent renforcer la protection des personnalités politiques face aux injures et à la diffamation, alors même que selon la Cour européenne des droits de l’homme, “les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier”. 

Les modifications envisagées pour la loi de 1881 bouleverseraient les fragiles équilibres de la loi sur la presse. Cette loi enserre la poursuite des abus de ces libertés dans un cadre procédural extrêmement strict, qui prévoit notamment qu’une personne qui s’estime victime d’injure ou de diffamation a trois mois pour déposer plainte. Au-delà de ce délai, la plainte est considérée comme prescrite, donc irrecevable. Ce court délai vise à protéger l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression. Si une personne s’estime lésée par une publication de presse, elle doit être particulièrement réactive. À défaut, la liberté de la presse et d’expression l’emporte. 

“Pourquoi les élus et les candidats ne seraient-ils pas logés à la même enseigne que les autres citoyens face aux injures et à la diffamation ? Trois mois pour déposer plainte, c’est largement suffisant. Nous n’ignorons pas la violence des propos envers les élus, mais une telle fragilisation du cadre procédural, au seul bénéfice d’une catégorie de la population, est difficilement justifiable. Tout cela à l’issue d’un débat de dix minutes en catimini à l’Assemblée nationale. C’est inadmissible. Nous appelons les parlementaires à revenir sur ces amendements qui ne protègeront pas les élus, mais font courir le risque de procédures contre les journalistes longtemps après que des contenus auront été publiés. Voilà le type même de la fausse bonne idée, et même d’une idée dangereuse pour rien.

Christophe Deloire
Secrétaire général de RSF

Un de ces amendements a été introduit à l’Assemblée nationale par la députée du parti politique Renaissance, Violette Spillebout, rapporteure de la proposition de loi. Adopté le 7 février, il allonge de trois mois à un an le délai de prescription en matière d’injure et de diffamation “lorsque la victime est titulaire d’un mandat électif public ou candidat à un tel mandat au moment des faits”.

Il vient compléter un premier amendement adopté au Sénat le 4 octobre 2023 sur proposition de la sénatrice Les Républicains Catherine Di Folco, rapporteure du texte au Sénat, et qui prévoyait déjà cet allongement quand est visé “le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'État, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition”.

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