Fermeture de la chaîne de télévision A1 et de trois quotidiens, un été dévastateur pour les médias

Reporters exprime sa vive inquiétude en raison de la détérioration constante de la liberté de la presse en Macédoine depuis le début de l’année 2011. Avec la fermeture de trois quotidiens nationaux, la modification du fonctionnement du Conseil de l'audiovisuel qui facilite la mainmise de l’exécutif et la fermeture de la première télévision privée du pays A1, le pays fait face à un véritable séisme médiatique qui n’augure rien de bon pour la liberté de la presse. Fermeture des trois principaux quotidiens et de la chaîne de télévision A1 Reporters sans frontières regrette vivement la fermeture, le 3 juillet 2011, des trois quotidiens du groupe de presse macédonien Plus Produkcija et l’arrêt des programmes de la principale chaîne de télévision privée A1 appartenant au même groupe. Vreme, le titre le plus lu par les Macédoniens, Koha e Re, quotidien publié en langue albanaise, et le tabloïd Špic étaient tous placés en redressement judiciaire à la suite de l’inspection fiscale ouverte en décembre 2010 contre Velija Ramkovski, propriétaire de Plus Produkcija. Baron des médias et homme d'affaires influent Velija Ramkovski était le partenaire inconditionnel du gouvernement de Nikola Gruevski de 2006 à 2008. Prenant ses distances avec le pouvoir en 2009, le groupe Plus Produkcija est devenu la bête noire d’un gouvernement qui supportait mal l’indépendance de ton et les critiques vigoureuses d’A1. En novembre 2010, les forces spéciales de la police avaient forcé l'entrée des locaux d’A1 dans le cadre d’une enquête ouverte contre Velija Ramkovski pour fraude fiscale, blanchiment d’argent sale et crime organisé. Le 25 décembre 2010, il était arrêté et placé en détention préventive, avec dix de ses collaborateurs. Repoussé à plusieurs reprises le procès, surnommé "Toile d'araignée", a débuté fin juin 2011. Après l’arrestation et l’ouverture de l’instruction à l’encontre de Velija Ramkovski, les comptes bancaires de Plus Produkcija et d’A1 ont été gelés. Malgré les difficultés financières, la mobilisation acharnée des journalistes des trois quotidiens et de la rédaction d’A1 s’était avérée payante. Les activités avaient pu reprendre leur cours ordinaire après le remboursement des dettes (70 000 euros pour Plus Produkcija, et 2,4 millions d'euros pour A1). Mais à la fin du mois de juin, les quatre médias ont dû faire face à un nouveau gel de leurs comptes, le Trésor public de Macédoine réclamant des impayés (dettes fiscales et taxes sociales) à hauteur de 1 million d'euros pour Plus Produkcija et de 9,5 millions d'euros pour A1. Malgré une procédure d'appel engagée auprès du tribunal administratif, les médias étaient dans l’obligation de payer cette dette pour le 8 août 2011. Le gouvernement macédonien avait à l’époque déclaré que l’inspection ne menacerait pas la chaîne de télévision A1. Ce n'est manifestement plus le cas. Dans un communiqué de presse daté du 8 juillet 2011 le gouvernement martèle que "la situation traversée par la chaîne de télévision A1 trouve une explication simple dans le procès de son responsable, contre qui une procédure judiciaire a été engagée. Toute tentative de polémique sur les irrégularités du système institutionnel serait de la désinformation vis-à-vis du public, une pratique pour laquelle A1 est déjà reconnue." Reporters sans frontières est surprises par les récents bouleversements survenus dans le paysage médiatique. Si la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale sont bien évidemment légitimes, le lancement de deux procédures de redressement fiscal contre le même groupe et l’empressement mis à fermer les titres avant même les résultats des appels nous inquiètent. Les journalistes ne peuvent être tenus responsables des éventuelles exactions commises par le propriétaire des titres. Un plan d’apurement aurait pu et dû être négocié pour échelonner les remboursements et maintenir l’existence de ces médias indépendants. Le gouvernement a manifestement saisi l’opportunité de faire taire les rares voix critiques de sa politique. Reporters sans frontières exige par ailleurs que le gouvernement fasse preuve de cohérence dans le dossier visant A1 et qu’il respecte la loi. La fréquence sur laquelle émettait la chaîne jusqu’au 30 juillet a été arbitrairement retirée par l'Agence des communications électroniques (AEC) sans que la décision soit validée par le Conseil de l'audiovisuel, en violation complète de l’article 55 de la loi sur la radiodiffusion et au mépris complet des membres du Conseil. L’organisation met en garde le gouvernement contre toute tentative visant à cautionner le retrait arbitraire de licences d'émission et insiste pour que les prérogatives du Conseil soient respectées à la lettre. Réforme douteuse du Conseil de l’audiovisuel Il semble que le gouvernement porte un certain intérêt au Conseil de l'audiovisuel qu’il a souhaité réformer en augmentant le nombre de ses membres de 9 à 15 membres, s’assurant au passage son contrôle. Les six nouveaux membres seront en effet nommés par le Président de la République, la commission anti-corruption désignée par le Parlement, ainsi que l'Agence pour la communication électronique, tous aux mains des membres du parti au pouvoir, le VMRO-DPMNE. Curieusement l’amendement qui a scellé le sort du Conseil de l’audiovisuel a bénéficié d’une procédure d'urgence et a été voté par le Parlement le lundi 18 juillet 2011. Reporters sans frontières dénonce la réforme du Conseil de l’audiovisuel et plus particulièrement le recours à la procédure d’urgence. Les modifications apportées à la composition du Conseil sont loin d’être marginales et auraient certainement mérité un débat avec les organisations professionnelles et la société civile. Rien ne justifiait une telle précipitation et une procédure d’urgence, sinon peut être la nécessité de contrôler le Conseil de l’audiovisuel qui doit, en théorie du moins, valider la suspension de la fréquence de A1. Les coïncidences se succèdent un peu trop vite dans ce dossier pour ne pas s’interroger sur les véritables objectifs du gouvernement qui a manifestement décidé d’accroître son emprise sur l’univers médiatique. Tentative de putsch au sein de la télévision publique Reporters sans frontières dénonce par ailleurs la suspension survenue la semaine dernière, sur décision du comité exécutif de la télévision, des mandats des sept membres du conseil d'administration de la télévision publique. D'après la loi sur la radiodiffusion, les membres du conseil disposent d’un mandat de cinq ans, non reconductible, qui ne peut être écourté que dans des cas exceptionnels, tels qu’une démission volontaire, une peine de prison ou si une affectation politique ne permet plus au membre bénéficiaire d'exercer ses fonctions. D'après les informations recueillies par Reporters sans frontières, aucun de ces cas particuliers n'a été mentionné par le Comité exécutif. Sur les sept membres, seuls deux arrivaient à la fin de leur mandat alors que ceux des cinq autres s’étendent encore sur plusieurs mois et que le plus jeune membre n’a intégré l'équipe que depuis 7 mois. La procédure pour constituer un nouveau conseil d’administration n'a pas encore été engagée, ce qui bloque toute action de l’organe de gestion. A l’image de ce qu’il a entrepris pour le Conseil de l’audiovisuel, et au mépris de toutes bases légales, le gouvernement se donne peu à peu les moyens de contrôler très directement non seulement les organes de régulation mais aussi les organes décisionnels des médias publics. Dans une chronique publiée dans Utrinski Vesnik le 9 août 2011, Ace Dukovski, l'un des membres du Conseil d'administration dénonce une tentative de putsch au sein de la télévision publique. Il met en cause Slobodan Čašule, le directeur du comité exécutif récemment élu, d'avoir demandé expressément la résiliation du mandat de tous les membres du Conseil. Ce dernier affirme avoir respecté les termes de la loi sur la radiodiffusion. Pourtant, dans l'article 137 de cette loi, toute modification, exceptionnelle, de la durée du mandat est une décision du comité exécutif, sur proposition du conseil d'administration lui-même. Les organisations syndicales dans le collimateur Reporters sans frontières proteste également contre les licenciements abusifs qui visent les journalistes actifs dans les organisations syndicales. Tamara Čausidis, présidente du syndicat des journalistes de Macédoine a été licenciée le 9 juillet de Alsat-M, la télévision privée dans laquelle elle travaillait. Dans un entretien avec Reporters sans frontières, la journaliste affirme avoir refusé diverses propositions de la part de sa hiérarchie pour quitter son poste volontairement, tout en subissant des menaces et des pressions destinées à lui faire arrêter son activité au sein du syndicat des journalistes. La direction d’Alsat-M qui a retiré Tamara Čausidis de la liste des employés de la chaîne déclare que ce licenciement a été effectué par consentement mutuel, confirmé par un contrat dit "d'annulation volontaire" daté et signé du 9 août 2011. "Je n'ai jamais signé, ni d'ailleurs vu, pareil document, a expliqué T. Čausidis. C'est la justice qui se chargera de découvrir comment ma signature y a été apposée." La journaliste confirme que le licenciement des journalistes sur la base de contrats signés sous pression ou par ignorance devient une pratique grandissante en Macédoine. Très répandus dans le secteur privé ces "usages" sont tolérés par les autorités macédoniennes qui en usent également. "C'est la raison pour laquelle je ne souhaite pas renoncer au procès. Il est désormais crucial de remporter ce procès, pas uniquement pour moi mais aussi pour les autres médias et employés. Je ne sais combien de temps cela peut durer, mais je n'ai pas l'intention d'abandonner", a conclu la journaliste. Journaliste au quotidien Utrinski Vesnik, Tamara Grnčaroska est également membre du conseil d'administration du syndicat des journalistes de Macédoine. Utrinski Vesnik qui rencontre des difficultés financières est en cours de restructuration. Des manifestations ont suivi, et celles-ci ont provoqué le licenciement de cinq journalistes pour fautes graves. "Après la manifestation, j'ai été licenciée pour désobéissance à mon rédacteur en chef et indiscipline. La procédure de licenciement, la commission arbitrale, rien de tout cela n'a été respecté", explique Tamara Grnčaroska. Travaillant à la rubrique politique extérieure, la journaliste assure n'avoir jusqu’alors jamais subi de pression dans son travail.
Publié le
Updated on 20.01.2016