Fermeture brutale de Radio Shabelle : le gouvernement somalien durcit le ton contre les médias indépendants
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Reporters sans frontières a appris avec stupéfaction le violent raid mené par la police somalienne contre le bâtiment de Shabelle Media Network, samedi 26 octobre 2013 au matin à Mogadiscio.
"Nous dénonçons vivement l’incroyable violence de l’attaque de la police contre les locaux de Shabelle Media Network ainsi que les mauvais traitements dont ont été victimes les journalistes de Radio Shabelle et Sky FM, battus en direct par les policiers, avant que ces derniers ne coupent le signal et n'occupent la radio."
"Dans un pays réputé pour sa violence envers les acteurs de l'information, le bâtiment qui abrite Shabelle Media Network servait non seulement de station de radio mais également de maison d’accueil sécurisée pour les journalistes de Radio Shabelle et Sky FM. Ceux-ci se retrouvent à présent sans refuge et exposés aux violences des milices Al-Shabaab, déjà responsables de plusieurs dizaines d'assassinats de journalistes", a déclaré Reporters sans frontières.
"Cette action, ainsi que l'ordonnance du 27 octobre 2013 du ministère de l'Information sommant toutes les organisations médiatiques de s'enregistrer à nouveau, constitue une tentative inquiétante de mise au pas des médias indépendants".
"Alors que le Président somalien prononce des discours de façade vantant l'héroïsme des journalistes, le gouvernement somalien durcit le ton de façon préoccupante, et envoie un message menaçant à tous les médias qui tenteraient de faire leur travail de façon indépendante. Il est indispensable que le gouvernement somalien cesse ses persécutions contre les médias indépendants et prenne ses responsabilités pour défendre les journalistes et la liberté d'information dans le pays."
"La communauté diplomatique a bien été informée des menaces pesant sur Radio Shabelle au cours des derniers jours. Quels que soient les intérêts stratégiques en cause qui incitent les chancelleries à entretenir de bonnes relations avec le gouvernement somalien, le respect des principes démocratiques ne peut être mis de côté. Nous demandons à la communauté internationale de prendre clairement position pour condamner ces actions répressives inacceptables et de faire pression sur le gouvernement somalien pour qu'il mette un terme cette offensive contre les médias indépendants", a conclu l'organisation.
Le gouvernement lance un raid contre Radio Shabelle
Le 26 octobre au matin, des véhicules de police ont bouclé la zone autour des locaux de Shabelle Media Network qui abritent Radio Shabelle, lauréate 2010 du Prix RSF pour la liberté de la presse et Sky FM, une autre radio indépendante du même groupe. La police, entrée par effraction avec des véhicules anti-terroristes dans la parcelle, a battu les journalistes et le personnel de la station avec leurs armes. Les auditeurs de Radio Shabelle ont pu suivre en direct l’irruption des forces de l’ordre dans le studio avant que ces dernières ne coupent la transmission de la radio.
Après avoir confisqué les téléphones portables des trente-six journalistes présents, les policiers les ont arrêtés et menés dans les locaux du département d’enquêtes criminelles (CID - Criminal Investigation Department) où ils ont été retenus pendant plusieurs heures et menacés.
Les journalistes ont pu être relâchés grâce à la mobilisation de certains parlementaires, mais ont initialement refusés de quitter le poste de police par peur d'être pris pour cibles par Al-Shabaab à leur sortie. Ils ont finalement trouvé refuges dans les maisons de certains parlementaires ainsi que des hôtels de Mogadiscio.
Selon des sources au sein du CID, neuf producteurs et rédacteurs ainsi que le président du groupe Shabelle Media pourraient faire l'objet de poursuites judiciaires. Ils ont été fichés par les services de police qui a pris leur photo, leurs empreintes digitales et relevé un scan de leurs iris.
Plus tard dans la nuit, les policiers ont saisi toutes les archives et le matériel des deux radios et les ont transportés par camion vers une destination inconnue.
Le 25 octobre, Reporters sans frontières avait envoyé une lettre ouverte au Premier Ministre somalien (télécharger la lettre de Reporters sans frontières au Premier ministre somalien: ) , signée par une trentaine d’organisations de défense de la liberté d’expression, dénonçant l’ordre illégal d’expulsion envoyé le 20 octobre 2013 par le Ministre de l’Intérieur à Shabelle Media Network, donnant au média cinq jours pour quitter leurs locaux, sous prétexte de récupérer le bâtiment public qui abritait auparavant la compagnie somalienne d'aviation.
Il faut noter que Radio Shabelle avait été autorisée en 2010, à utiliser ce bâtiment par le ministère des transports de l'autorité de transition pour une durée de cinq ans, en échange de sa réhabilitation par la radio. L'actuel ministère de l'Information, des Postes, de la Télécommunication et des Transport est donc l'actuel titulaire du bail.
Cette attaque violente a eu lieu après que les deux radios aient diffusé plusieurs reportages faisant état de la dégradation sécuritaire dans Mogadiscio ainsi que de soupçons de corruption au sein du gouvernement.
Durcissement des autorités face aux médias indépendants
Depuis plusieurs mois, le ministère de l'Information, des Postes, des Télécommunications et des Transports Abdullahi Ilmooge Hersi mène des actions à l'encontre de Radio Shabelle et d'autres médias indépendants, convoquant les journalistes et directeurs d'antenne.
La dernière mesure d'intimidation date du 27 octobre 2013. Le ministère a envoyé un courrier à tous les médias somaliens exigeant qu'ils s'enregistrent auprès du ministère de l'Information avant le 10 novembre 2013. Ceux déjà enregistrés devront soumettre leurs documents à nouveau. Cette mesure octroie au gouvernement un outil de pression constante contre les médias qui pourraient être critiques.
Selon l'article 4 de la loi sur la presse de 2007, encore en vigueur, seul le Conseil national des médias (National Media Council) est habilité à recevoir ces accréditations. Seulement ce Conseil n'existe pas et le ministère de l'Information centralise actuellement tout le pouvoir.
Les journalistes somaliens continuent de mourir
Ces évènements surviennent alors qu'une autre nouvelle dramatique entachait le paysage médiatique somalien; la mort à 18h00 le 26 octobre 2013 au Madina Hospital de Mohamed Mohamud Tima'ade, journaliste pour Universal TV, qui a succombé à ses blessures après avoir été touché par six balles lors d'une attaque le 22 octobre. Ce journaliste, reconnu par la communauté des médias somaliens pour ses reportages d'investigation, était notamment très engagé dans la lutte des médias indépendants contre les dispositions de la nouvelle loi sur la presse, jugée liberticide par les défenseurs de la liberté d'information.
Sa mort porte à sept le nombre de journalistes somaliens tués depuis 2013 dans le pays. Dix-huit reporters ont perdu la vie en 2012.
La Somalie occupe la 175ème place sur 179 pays du Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2013.
Photo : le ministre de l'Information, des Postes, des Télécommunications et des Transports Abdullahi Ilmooge Hersi : AFP/Mohamed Abdiwahab
Publié le
Updated on
20.01.2016