En Iran, les grâces sous conditions des journalistes sont un leurre de clémence

Douze journalistes emprisonnés ou en attente de leur procès ont été graciés en Iran. Mais ces grâces ont un prix: la plupart des journalistes ont été libérés en échange d’engagements restrictifs. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle stratégie de répression qui se fait passer pour de la clémence.

Cinq mois après le début des manifestations en réaction à la mort de Mahsa Amini, au moins douze journalistes ont été graciés par le régime, dans le cadre d’une mesure d’amnistie annoncée à l’occasion du 44e anniversaire de la révolution islamique de février 1979. Neuf d'entre eux étaient en prison lorsqu'ils appris la nouvelle, tandis que trois étaient libérés sous caution, en attente du verdict de leur procès. La plupart ont dû se soumettre à un processus ambigüe. Le chef adjoint du pouvoir judiciaire iranien, Hojjat al-Islam Rahimi, a en effet conditionné la grâce des personnes incarcérées après le début des manifestations provoquées par la mort de Mahsa Amini. Ces dernières ne peuvent bénéficier d'une amnistie que si "elles sont dégoûtées de leurs actions passées et s'engagent à ne pas les répéter à l'avenir". Elles risquent aussi une sanction plus sévère en cas de violation de ces conditions. Dans plusieurs cas, les journalistes ont été contraints de signer des engagements et des "déclarations de remords" pour bénéficier de leur grâce. 

"Rien n'a changé, déplore le responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Jonathan Dagher. Ces grâces conditionnées ne sont qu’un leurre de clémence et confirment que les autorités iraniennes n’ont en rien assoupli leur politique de répression systématique. Les 12 journalistes graciés conservent une épée de damoclès au-dessus de leur tête, des centaines d’autres travaillent dans la peur et 28 de leurs collègues croupissent encore en prison. Une véritable mesure de grâce serait de libérer tous les journalistes inconditionnellement et de lever toutes les restrictions à l’exercice du journalisme."

Parmi les journalistes graciés, Milad Alavi qui travaille pour le quotidien Shargh et qui avait été arrêté le 1er janvier 2023 puis libéré sous caution 15 jours plus tard, confirme sur twitter, que l'engagement qu'on lui a fait signer est une promesse de ne pas participer aux “émeutes” et aux “rassemblements illégaux”, au risque d'être puni plus sévèrement.

Le statut judiciaire des journalistes graciés diffère d’un cas à l’autre. Les journalistes indépendants Kianoosh Sanjari et Saba Shardoost attendaient les verdicts de leur procès après avoir été libérés sous caution, quand ils ont découvert que leurs noms figuraient parmi ceux des journalistes graciés. De son côté, l’ancien rédacteur en chef du magazine sportif Bank Varzesh Ehsan Pirbornash, qui avait été condamné le 10 janvier à une peine de 18 ans de prison, a retrouvé la liberté le 8 février. Le rédacteur en chef de l'agence de presse Mukrian News, Masoud Kurdpour, a quant à lui été libéré de la prison de Bukan, le 14 février, en vertu de la même grâce, alors qu'il n'avait purgé que trois des 17 mois de sa peine. Les journalistes indépendants Mehdi Soufali, et Hossein Yazdi et la photographe de Iran Student News Agency Aria Jafari, tous arrêtés au cours de ces trois derniers mois, ont également été graciés et relâchés, sans qu’il soit précisé si tous ont dû signer des engagements ou des déclarations de remords. 

Selon une enquête du quotidien Sharg Daily, la procédure de signature des déclarations est arbitraire et varie selon la région, la prison et la personne. Dans certains cas, les déclarations comprenaient des aveux implicites des charges retenues contre les détenus. À la suite de la publication de cette enquête, les autorités ont nié que des engagements aient été signés, contredisant ainsi leurs déclarations précédentes. 

Une mesure d'amnistie influencée par le mouvement de protestation 

Seule certitude, les trois journalistes emprisonnés avant les manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, et qui ont également été graciés n’ont pas eu à signer de telles lettres d’engagement. 

Cependant, dans une lettre cosignée par d'autres prisonnières graciées, la photographe de Etemad  Noushin Jafari, détenue depuis le 16 février 2021, et la photographe de Zanan Alieh Motalebzadeh, détenue depuis le 11 octobre 2020, ont estimé que "la solidarité manifestée par le peuple et les jeunes épris de liberté en Iran était la principale raison de la libération de nombreux prisonniers politiques ces derniers jours." Les deux journalistes ont été graciées le 10 février. Deux jours plus tard, Amirabbas Azaramvand, le journaliste économique du quotidien Samt, qui purgeait une peine de quatre ans et trois mois d’emprisonnement depuis le 8 mars 2022, a été gracié également.

Au moins 60 journalistes ont été interpellés et détenus depuis le 16 septembre 2022, date du début des protestations qui ont suivi la mort de la jeune kurde iranienne Masha Amini. Sur les 28 journalistes toujours détenus, 8, dont Narges Mohammadi, lauréate du prix RSF 2022 dans la catégorie courage, étaient déjà emprisonnés avant les manifestations.

L'Iran, qui est actuellement la 5e plus grande prison au monde pour les journalistes, occupe la 178e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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