Emirats Arabes Unis
Internet et les nouveaux médias ont fait la part belle en 2010 aux sujets sensibles (corruption, critiques du pouvoir, etc.), provoquant en retour une répression et une censure accrues en ligne. Les efforts engagés par les autorités pour accéder aux données des BlackBerry contredisent l’image de modernité que les Emirats arabes unis cherchent à cultiver.
Les Emirats arabes unis sont en position de leader technologique dans le monde arabe, notamment grâce à l’existence de Dubai Media City et Dubai Internet City, deux zones libres où se sont installées de grandes sociétés du secteur des médias et de l’informatique. Les autorités ont décidé, en mars 2009, de faire figurer le nom de domaine du pays en arabe afin de développer l’usage de la langue sur Internet. Elles ont prévu d’investir plusieurs milliards de dollars pour développer les infrastructures et l’accès à Internet dans les administrations et les écoles en particulier. La population est très connectée : 75 % a accès à Internet. Un filtrage ciblé et actualisé
Un filtrage très strict cible tout contenu à caractère pornographique. Des sites qui évoquent les positions politiques alternatives, une vision non orthodoxe de l’islam, ou ceux qui critiquent la société, et notamment la famille royale, ou encore la religion ou la situation des droits de l’homme, sont également rendus inaccessibles. Les sites localnewsuae.com, arabtimes.com, uaeprison.com,uaetorture.com ou uaehewar.net, ainsi que la page Facebook et le groupe Twitter du site, sont régulièrement censurés. L’économie reste un sujet délicat : le blog de Mujarad Ensan a été bloqué après avoir évoqué les répercussions de la crise économique sur le royaume. Enfin, les sites qui fournissent des contenus jugés “obscènes” ou des outils de contournement de la censure ne sont pas non plus accessibles. Le site Uaehewar, désormais bloqué, était quant à lui le seul forum permettant aux Emiratis de parler librement des sujets tabous dans le pays, autorisant notamment les commentaires critiques à l’égard du pouvoir. Il publiait également des interviews de membres éminents et critiques, craints par le pouvoir, comme le Dr. Christopher Davidson, auteur de plusieurs livres sur Dubaï, le militant Mohammed al-Mansoori, et le professeur de sciences politiques Dr. Ebtisam Al Ketib. Les autorités ont estimé qu’il avait outrepassé les limites. Si les sites Flickr, myspace.com et ahewar.org sont toujours accessibles, Twitter, Facebook et YouTube sont partiellement censurés par le pouvoir. Facebook compte plus de 1,2 million d’utilisateurs aux Emirats. Les forums sont filtrés en fonction de l’actualité et des thèmes abordés par les internautes. Cinq cents mots-clés seraient bloqués par les autorités. Les blocages de sites sont décidés par l’Autorité de régulation des télécommunications TRA – en coordination avec le ministère la Communication – et appliqués par les deux fournisseurs d’accès du pays, Etisalat et Du. Ils utilisent le logiciel SmartFilter, un produit de la société Secure Computing, rachetée en 2008 par l’entreprise américaine McAfee. Extension de la surveillance à la téléphonie mobile
Les téléphones portables sont aussi soumis au filtrage. Dernière victime en date : le BlackBerry, utilisé par 500 000 personnes dans le pays et dont la popularité ne cessait de croître. Son accès à Internet est filtré depuis décembre 2009. Inquiètes du pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux, et notamment de BlackBerry Messenger, les autorités ont tenté d’installer des logiciels espions sur ces smartphones en juillet 2009, en vain. Elles sont revenues à la charge en 2010 en prenant un certain nombre de mesures dissuasives pour rappeler les utilisateurs de BlackBerry à l'ordre. Badr Ali Saiwad Al Dhohori, un jeune homme de 18 ans, a servi d’exemple. Ce résident de l’émirat de Ras Al-Khaimah, a été arrêté le 15 juillet 2010, accusé d’avoir voulu organiser, via son BlackBerry, une manifestation pour protester contre la hausse du prix du pétrole. Libéré le 26 août 2010, il a néanmoins perdu son emploi. Les pressions sur les utilisateurs ont été couplées par celles exercées à l’encontre du fabricant canadien de BlackBerry, Research In Motion (RIM). Les Emirats avaient fixé au 11 octobre 2010 un ultimatum à RIM, menaçant de couper certains services BlackBerry, comme la messagerie instantanée, considérés “non conformes aux normes officielles et sociales”, en invoquant le prétexte de la sécurité nationale. De nombreuses informations contradictoires ont circulé sur le contenu des négociations, en l’absence de transparence des parties concernées, mais, selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, les autorités émiraties et RIM seraient parvenus à un accord concernant l’accès aux données cryptées des smartphones. Le gouvernement émirati a déclaré que les BlackBerry étaient aujourd’hui en conformité avec la loi, sans préciser l’ampleur des concessions acceptées par RIM. L’entreprise américaine Apple a également dû se plier à la volonté du gouvernement, et a notamment été contrainte de vendre aux Emirats l’iPhone 4 sans son application phare "FaceTime", permettant des conversations vidéo en direct. Cybersurveillance
Depuis décembre 2008, une cyberpolice se charge de surveiller le Web et de garder un œil sur ses utilisateurs. Elle a traité plus de 200 cas en 2009, principalement liés au cybercrime et au hacking si l’on en croit les autorités. Plusieurs centaines de cybercafés existent dans le pays. Ils ne constituent pourtant pas le point d’accès principal de la population, qui consulte le Web depuis son domicile ou son lieu de travail. Des nouvelles règles imposent aux utilisateurs de montrer une pièce d’identité et d’enregistrer leurs données personnelles, mais elles ne seraient pas appliquées. A la surveillance croissante viennent s’ajouter des dispositions légales liberticides. En vertu de l’article de la loi sur la cybercriminalité de 2006, un internaute peut être emprisonné pour “opposition à l’islam”, “insulte à toute religion reconnue par l’Etat” ou “transgression des valeurs et des principes familiaux”. Alors que, d’après un sondage publié par le journal Khaleej Times, 95,5 % des personnes interrogées sont contre le système actuel de filtrage, ce dernier s’est encore renforcé. Dubai Internet City et Dubai Media City, jusqu’ici épargnées par la censure, sont désormais touchées par le filtrage, malgré les promesses faites aux investisseurs. Des net-citoyens de plus en plus actifs
Une communauté très active de net-citoyens a vu le jour. Les blogueurs abordent des problématiques d’intérêt général mais sont souvent poussés à l’autocensure. De plus en plus nombreux à savoir comment contourner la censure, ils ne se laissent pourtant pas tous décourager. Certains traitent de sujets sensibles, quitte à en subir les conséquences. La cour d’appel d’Abou Dhabi a confirmé, le 13 janvier 2010, la condamnation du rédacteur en chef du site d’informations Hetta.com, Ahmed Bin Gharib, à une amende de 20 000 dirhams (3 755 euros) et 10 000 dirhams (1 877 euros) de dommages et intérêts à Abu Dhabi Media Company, en raison de commentaires postés par les internautes suite à un article du site concernant la compagnie. Cette dernière les considérait comme étant diffamants et injurieux. La cour a également ordonné la fermeture du site pendant un mois. Le site ne se considère pas à l’abri d’autres poursuites, notamment au civil. Les forums, les réseaux sociaux ou encore les BlackBerry – et leur populaire BlackBerry Messenger – ont permis aux net-citoyens d’échanger sur de nombreux sujets sensibles absents des médias traditionnels, comme les droits de l’homme, la liberté d’expression, les réformes politiques, la corruption ou encore WikiLeaks. Certaines campagnes en ligne, comme celles lancées par Uazhewar.net et l’avocat Abdul Hameed Al Kumaiti, ont suscité une mobilisation de grande ampleur, sur des sujets comme la torture, les BlackBerry ou la corruption. Abdul Hameed Al Kumaiti défend notamment le journaliste freelance Mark Townsend, basé à Dubaï. Celui-ci a été inculpé de diffamation sur la base d'une vague association de son nom avec le pseudonyme présumé de l'auteur des propos. Malgré ses fermes dénégations, il a comparu devant le tribunal correctionnel à huit reprises depuis septembre 2010, et risque de lourdes peines. Malgré la censure, le site uaetorture.com avait réussi à publier une vidéo de près d’une heure du Cheikh Issa Ben Zayed Al-Nahyan, frère du cheikh Khalifa Ben Zayed, souverain d'Abou Dhabi et président des Émirats Arabes Unis, se livrant à une séance de torture sur un jeune Afghan, Mohammed Shah Poor. Une vidéo qui a largement circulé en ligne, suscitant de vives critiques au sein de l’opinion publique. En 2010, les nouveaux médias ont su susciter et animer des débats de fond au sein de la société émiratie. Malgré la réponse répressive des autorités, ils ont su trouver leur place en ligne, mais aussi hors ligne.