Dix ans d’occupation russe en Crimée : une décennie de répression du journalisme indépendant local

Perquisitions et fermetures de médias, arrestations de journalistes… Le dixième anniversaire du référendum illégal d’annexion de la Crimée, organisé par la Russie le 16 mars 2014, marque une décennie noire pour les médias indépendants locaux, réduits au silence. Reporters sans frontières (RSF) déplore le cadenassage méthodique de l’information dans la péninsule et demande la libération de tous les journalistes arbitrairement détenus par la Russie.

Dans les zones occupées d'Ukraine, l’irruption à l’aube de voitures sans plaques d’immatriculation est mauvais signe. Lorsque le 22 février 2024, les forces d'occupation russes débarquent chez Lutfiye Zudiyeva, correspondante indépendante pour le média local Crimean Solidarity et le média ukrainien spécialisé dans les affaires judiciaires Graty, ses proches lancent immédiatement l’alerte. La journaliste est emmenée quelques heures au "Centre de lutte contre l'extrémisme" de Djankoï, ville du nord de la Crimée et son matériel est saisi lors de la perquisition de son domicile. Cette interpellation survient seulement deux jours après la publication de sa colonne dans le média américain Newsweek sur la vie sous occupation russe en Crimée, et n'est pas sa première.

Cette interpellation est symptomatique du climat de pression instauré par les autorités russes à l’encontre des journalistes indépendants de Crimée. La répression contre les médias indépendants en Crimée a commencé dès l’invasion de la péninsule par le Kremlin, entérinée par un référendum illégal organisé le 16 mars 2014. Elle s’est accélérée après l’invasion à large échelle de l’Ukraine du 24 février 2022 avec de nouvelles arrestations et plus de répression judiciaire.

Pas moins de 162 cas de persécution par les autorités russes relevés en 2022 et 2023, selon l’ONG ukrainienne de défense des droits humains ZMINA. RSF compte actuellement 12 journalistes de Crimée détenus par la Russie, la plupart arrêtés avant l’invasion russe à grande échelle en 2022. Rares sont ceux qui continuent de travailler sans subir des intimidations. La péninsule est devenue un désert médiatique depuis dix ans rendant presque inaccessible l’accès à l’information. Dès 2015, 88 % des médias actifs avant 2014 avaient cessé leurs activités, toujours selon l’ONG.

Arrestations, intimidations, fermetures de médias... Depuis dix ans, la presse indépendante de Crimée vit un véritable cauchemar. Les journalistes sont devenus des cibles privilégiées pour les forces d'occupation russes qui réduisent au silence toutes les voix alternatives. Dès 2014, le Kremlin a utilisé la Crimée comme laboratoire pour sa stratégie de répression des médias indépendants en Ukraine, ensuite étendue à tous les territoires occupés. RSF dénonce une décennie noire pour les journalistes indépendants en Crimée et appelle la communauté internationale à se mobiliser pour libérer tous ceux qui sont injustement détenus.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF

La machine judiciaire russe tourne à plein régime

Juste après l’invasion russe du 24 février 2022, Remzi Bekirov, journaliste indépendant local pour le média Grani.ru et en prison depuis mars 2019, est condamné en mars 2022 à 19 ans de prison pour “terrorisme”. Quelques semaines plus tard, en avril, c’est au tour d’Iryna Danilovytch d’être arrêtée puis condamnée à la fin de l’année à sept ans de prison pour “fabrication, transport ou possession illégale d'explosifs”. La correspondante du site d’information locale InZhir-media, du média spécialisé dans la justice Crimean Process, et de Krym.Realii, antenne locale de Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE/RL) croupit dans les geôles russes sans accès aux soins, malgré un état de santé fragile. Après une longue période de détention provisoire de plus de trois ans, le journaliste du média local Crimean Solidarity Osman Arifmemetov a lui été condamné à 14 ans de prison pour “terrorisme” à l’automne 2022.

 

Arrestations arbitraires et mauvais traitements

Arrêtés sur la base d’accusations fallacieuses de “terrorisme”, “d’espionnage” ou de “sabotage”, les journalistes locaux ont souvent été victimes de torture et de mauvais traitements. C’est le cas de Vladislav Yesipenko, correspondant pour Krym.Realii l’antenne locale de RFE/RL, arrêté en 2021 et condamné l’année suivante à six ans de prison pour “possession et transport d’explosifs”. Ou encore de Timur Ibragimov, journaliste de Crimean Solidarity condamné en 2020 à 17 ans de prison pour “activités terroristes”, qui souffre de problèmes de santé en prison, sans accompagnement médical.

Afin d’accélérer la libération des 12 journalistes de Crimée et des quatre autres professionnels des médias originaires d’Ukraine détenus par la Russie, plusieurs députés ukrainiens ont déposé en février une résolution au Parlement ukrainien appelant à une mobilisation internationale à ce sujet. 

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