Le projet de directive de l’UE sur le secret des affaires actuellement en discussion représente un terrible danger pour le journalisme d’investigation. Cinq organisations, Reporters sans frontières (RSF), la Fédération européenne des journalistes (FEJ), l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA), l’Association européenne des médias magazines (EMMA) et l’Union européenne des radios-télévisions (UER) exhortent les institutions européennes à modifier le projet, afin qu’il ne porte pas un coup fatal à la possibilité d’enquêter sur le monde du business et de l’entreprise. Si des garanties dignes de ce nom ne sont pas adoptées, les institutions européennes doivent rejeter le texte.
Proposé en 2013 par la Commission européenne, le projet de directive actuellement en cours de négociations en "trilogue" entre la Commission, le Conseil et le Parlement, devrait être adopté prochainement. Son objectif est d'harmoniser la protection contre l'espionnage industriel et la concurrence déloyale au sein de l'UE. Son impact pourrait être désastreux, voire destructeur pour le journalisme d’investigation. Même dans le cadre de leur mission d’information du public, les journalistes pourraient en effet être poursuivis s’ils détiennent ou utilisent une information définie comme un « secret d’affaires ».
Les signataires de cet appel demandent fermement aux institutions européennes de corriger les aspects suivants du projet, afin d’introduire une exception pour les journalistes qui détiennent ou utilisent un secret d’affaires à raison de leur activité journalistique.
- Ne pas se satisfaire de garanties vagues
Le Parlement, la Commission, et le Conseil discutent en ce moment sur la base de trois versions distinctes du projet. Pour sauvegarder la liberté d’expression et d’information, le Parlement a introduit des garanties générales, absentes des autres versions. Sa version dispose que « les États membres respectent la liberté de la presse et des médias (...) afin de garantir que la directive ne fait pas obstacle au travail des journalistes, notamment en matière d'enquêtes, de protection des sources et en ce qui concerne le droit du public à être informé. » Le texte du Parlement précise également que la directive “n’affecte pas la liberté et le pluralisme des médias tels qu’inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».
Ces mentions, minimales, qui ne font même pas l’objet d’un consensus entre les trois institutions, sont insuffisantes : aucune des versions ne prévoit de mécanisme concret à même de garantir aux journalistes la possibilité d’exercer pleinement leur liberté d’expression et d’information et de préserver le droit du public à être informé. Seule une véritable exception pour les journalistes à raison de leur activité est à même de garantir le droit du public à être informé.
- Introduire une exception pour l’exercice du journalisme
Selon les différentes versions du projet, l’acquisition, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d’affaires est prohibée, sauf si cette acquisition, utilisation ou divulgation est effectuée dans le cadre d’un « usage légitime du droit à la liberté d'expression et d’information ». Cette notion d’ « usage légitime » d’un droit fondamental est troublante : en principe l’exercice d’une liberté est légitime, sauf exceptions définies strictement. La formulation du projet crée dès lors une incertitude juridique pour les journalistes. Le texte prévoyant des dommages et intérêts correspondants « au préjudice réel subi » en cas de non respect de la directive, les sommes en jeu sont potentiellement astronomiques. Au final, cette incertitude aura un effet dissuasif sur l’exercice par les journalistes de ces libertés et peut les conduire à pratiquer l’autocensure.
Nous demandons que l’exception à l’application de la directive porte sur « l’exercice par les journalistes du droit à la liberté d’expression et d’information à raison de leur activité journalistique ».
- Autoriser l’acquisition de documents pour l’information
Le projet de directive interdit l'utilisation et de la divulgation d’une information définie comme un « secret d’affaires », mais aussi sa simple “acquisition”. De même, l’accès non autorisé et la copie d’une telle information est prohibé, indépendamment de son utilisation ou de sa divulgation. Cela fait peser une grave menace sur l'activité des journalistes, qui consiste précisément à accéder à l'information dans l’intérêt du public, sans nécessairement recevoir le consentement du détenteur de l’information.
La simple acquisition d’un secret d’affaires, afin de sauvegarder la possibilité pour un journaliste de mener des enquêtes ou des investigations, ne devrait pas être prohibée, dès lors qu’elle entre dans le cadre d’une activité journalistique et jusqu’à preuve du contraire.