Deuxième tour des législatives : sombre dimanche pour la liberté de la presse

Comme lors du premier tour des élections législatives le 28 novembre 2010, nombreux sont les cas recensés par Reporters sans frontières d’entraves au travail des médias lors du scrutin du second tour, le 5 décembre. Certes, le raz de marée du parti au pouvoir, le Parti national démocratique (PND), ne faisait plus de doute du fait de la fraude massive au premier tour, dénoncée par l’ensemble des observateurs présents en Egypte. Aussi la tension avait-elle quelque peu diminué. Toutefois, de nombreux journalistes ont été pris à partie par des militants du PND et les forces de l’ordre au cours de cette journée. On ne peut que redouter un regain de tensions et des pratiques de censure au cours des mois à venir, avec l’approche de l’élection présidentielle qui devrait se tenir à la fin de l’année 2011. Des chaînes satellitaires dans le collimateur du ministère de l’Information Nilesat a suspendu, le 3 décembre 2010, pour deux semaines, la chaîne Al-Fraen TV pour « violation du code des médias, de l'éthique et des règles de couverture des élections », suite à une décision de l'administration de Media Free Zone, dans la cité du 6 Octobre. De la même manière, le directeur de la Haute Commission électorale, Sayed Abdul Aziz Omar, a transmis au Procureur général une plainte du ministre de l'Information, Anas Al-Fekki, contre la chaîne pour violations des principes de couverture des élections. Le ministre de l'Information a également transféré à la Haute Commission électorale une plainte à l'encontre de la chaîne panarabe Al-Hurra, sur la base des mêmes allégations. La plainte a été déférée au Procureur général, mais aucune peine de suspension n'a été prononcée. Journalistes inculpés pour diffamation Le 5 décembre 2010, le procureur général, Abdel-Meguid Mahmoud, a déféré deux journalistes du quotidien indépendant Al-Shorouq devant la Cour criminelle, sur la base d'accusation d’"insulte et diffamation envers un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions". Ceci fait suite à la publication, la veille, d’une interview de Momena Kamel, une candidate du PND récemment élue députée dans la circonscription d’Al-Badrashin, dans le gouvernorat de Guizeh. Au cours de cette interview, le journaliste Hisham El-Mayany l’a interrogée sur les déclarations du ministre de la Justice à la Haute Commission électorale relatives aux incidents de fraude survenus dans la circonscription dont elle a remporté le siège. La députée a répondu que ceci était absurde, avant de taxer le journaliste de "fou, menteur, instable psychologiquement et imprudent", et qu'"intellectuellement il appartenait aux Frères musulmans". Le jour même la députée a porté plainte contre le journaliste et son rédacteur en chef, Amr Khafagy. Le lendemain, les deux journalistes et la députée ont été entendus par le procureur général. Momena Kamel a été entendue très brièvement alors que les deux journalistes ont été interrogés pendant près de six heures. Inculpés, ils ont été libérés après le paiement d'une caution de 20 000 livres égyptiennes (2 600 euros) chacun. La première audience a été fixée au 18 décembre 2010. Ils risquent la prison ferme (peine allant de six mois à trois ans), et une amende de 10 000 livres égyptiennes (1300 euros). Professionnels des médias pris à partie par des militants du PND et les forces de l’ordre Ayman Ibrahim, journaliste pour le magazine gouvernemental Al-Idhaa wa Al-Tilfaza a été battu par des "baltaguis", hommes de main recrutés par le candidat indépendant Mahmoud Mosleh, alors qu’il couvrait les élections dans le bureau de vote situé dans le collège pour garçons de la ville de Zefta dans le gouvernorat d’Al-Gharbiyah (région du Delta, au nord du Caire). Ayman Ibrahim les avait pris en photo en flagrant délit de fraude. Dès qu'ils l'ont aperçu, ils se sont jetés sur lui, le rouant de coups, lui déchirant ses vêtements. Le journaliste rapporte que ses effets personnels et son matériel ont été volés. Il a ensuite déposé plainte dans le commissariat de Zefta. Ses affaires lui ont été restituées, hormis son argent. Les photos qu'il avait prises avaient été effacées de son appareil. Journaliste pour le même magazine, Omar Aammar, couvrait les élections au bureau de vote à l'école d'Al-Rashad, dans le district d'Al-Matareya (à l'est du Caire), quand un officier lui a demandé de quitter les lieux. Le journaliste refusant d'obtempérer, le policier l'a frappé. Omar Aammar a essayé de déposer plainte auprès du commissariat du district, en vain. À Qabreet village, dans la ville de Fowa (dans le gouvernorat de Kafr-el-Sheikh, au nord du Caire), le journaliste vidéo du quotidien Al-Masry Al-Youm, Ahmed Abdul-Fattah, a été violemment battu par des militants du PND et des "baltaguis" à leur solde. Tout son matériel a été volé. Ils l'ont laissé gisant sur le sol, le corps couvert d'ecchymoses. Son collègue, Omar Al-Sheikh, correspondant d’Al-Masry Al-Youm à Beni Swaif (gouvernorat au sud du Caire), couvrait les élections au bureau de vote situé dans l’école primaire de Baroot, quand il a été pris à partie par des militants du candidat du PND, Abdul-Khair Abdul-Alem. Les journalistes et représentants d'organisations de la société civile, se sont vu refuser l'accès à l'école élémentaire Abou Leila, de la ville d'Atmida (dans le gouvernorat de Deqahleya, dans la région du Delta, au nord du Caire). La police n'a pas reconnu la validité de leurs accréditations de la Haute Commission électorale. Il leur a été signifié que seules celles du commissariat de la circonscription étaient valables. Le photographe du quotidien Al-Masry Al-Youm, Hossam Al-Hawary, a essayé de passer outre et de pénétrer dans la zone. Il a aussitôt été attaqué par les partisans du PND et des « baltaguis », qui ont menacé de le tuer à coups de couteau. Au même endroit, une équipe de l'hebdomadaire indépendant Al-Youm As-Sabe a été attaquée par des « baltaguis » et des partisans du PND. Le journaliste Mohamed Haggag a été emmené de force à l'intérieur du bureau de vote, sous la menace d'armes blanches. Après l'avoir détenu et malmené pendant une demi-heure, il a été relâché. Dans le même temps, Ahmed Ismail, photojournaliste pour le même média, a été battu à l'extérieur du bâtiment par les mêmes individus. Sherif Al-Deeb, reporter également pour Al-Youm As-Sabe a été violemment menacé par des partisans du PND, des « baltaguis » et le personnel de sécurité. Ils ont finalement été expulsés de la ville manu militari. Dans la ville de Kafr Saqr, dans le gouvernorat d'Al-Sharqiyah (85 km à l'est du Caire), les journalistes ont été empêchés de couvrir les affrontements qui ont éclaté entre les partisans de Essam Abdul Razeq et de Mohamed Al-Halawany, tous deux candidats du PND pour la circonscription. Une correspondante du quotidien Al-Youm As-Sabe, Iman Mechanna, a été agressée alors qu'elle prenait des photos de l’incident. À Shoubra El-Kheima (gouvernorat de Al-Qalyubiya, dans la banlieue nord du Caire), la police a formellement empêché les journalistes de pénétrer dans les bureaux de vote malgré leurs accréditations, arguant que, pour des raisons de sécurité, seuls les électeurs avaient le droit d'y entrer. A Armant (gouvernorat de Luxor, sud du Caire), Gamal Abu Eliou, reporter pour l’hebdomadaire indépendant Al-Karama, a été empêché, toute la journée du 5 décembre, de suivre les élections dans les bureaux de vote de la ville. Le 5 décembre dans l’après-midi, les forces de l’ordre ont interdit la manifestation organisée par le Mouvement du 6 Avril sur la place Tahrir au Caire afin de dénoncer la fraude électorale massive, et demander aux citoyens de boycotter le second tour des élections. De crainte que les manifestants ne s’organisent, tout rassemblement de personnes était interdit, notamment aux arrêts de bus et à l’entrée des magasins. A noter que le site Internet des Frères musulmans (Ikhwan Online) était inaccessible depuis l’Egypte de 8 heures à 19 heures (heure locale), et ensuite jusqu’à minuit, le 5 décembre 2010. Même censure du forum en ligne Al-Moltaqa des Frères musulmans (htt://www.ikhwan.net/forum/). Sept autres sites Internet ont également fait l’objet de censure pendant 24 heures : http://www.shahid2010.com/ (inaccessible) http://shababelikhwan.net/ib/index.php (accessible dans quelques endroits du pays) http://www.sharkiaonline.com/ (accessible dans quelques endroits du pays) http://www.amlalommah.net/ (inaccessible) http://www.nowabikhwan.com/ (accessible dans quelques endroits du pays) http://www.egyptwindow.net/ (inaccessible) http://www.ikhwanweb.com/ (inaccessible) Les autorités, notamment l'IDSC (Information and Decision Support Center) qui dépend du Conseil des ministres, sont derrière le blocage de ces sites, en coordination avec les fournisseurs d'accès à Internet dans le pays (TEDATA, ETISALAT et LINK DSL).
Publié le
Updated on 20.01.2016