Des eurodéputés écrivent au journaliste turc emprisonné Ahmet Şık

Les parlementaires européens poursuivent leur campagne de soutien aux journalistes turcs emprisonnés, lancée à l’initiative de Reporters sans frontières (RSF). Ce 14 avril 2017, des eurodéputés de la gauche radicale (GUE/NGL) écrivent à Ahmet Şık, incarcéré depuis plus de trois mois.

RSF publie ci-dessous le courrier que des députés GUE/NGL adressent ce 14 avril au célèbre journaliste d’investigation Ahmet Şık, arrêté le 29 décembre 2016. La lettre est signée par la présidente du groupe, Gabriele Zimmer, ainsi que par Marie-Christine Vergiat et cinq autres députés qui suivent de près la situation en Turquie.


“Votre crime est d’avoir voulu poursuivre votre travail envers et contre tout, écrivent-ils. Nous voulons, à travers vous, manifester notre solidarité vis-à-vis de toutes celles et tous ceux qui défendent la liberté de la presse en Turquie et [...] la démocratie en le payant, y compris dans leur chair, par leur liberté.”


Avec une centaine de journalistes derrière les barreaux, la Turquie est aujourd’hui la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias. La plupart, arrêtés dans le cadre de l’état d’urgence consécutif à la tentative de putsch du 15 juillet 2016, n’ont pas encore été jugés. Des dizaines de journalistes, dont Ahmet Şık, sont soumis à un isolement sévère dans la section 9 de la prison de haute sécurité de Silivri, en banlieue d’Istanbul.


RSF a sollicité cinq groupes parlementaires européens pour écrire à cinq journalistes turcs emprisonnés. Les eurodéputés écologistes ont lancé le mouvement, le 5 avril, en écrivant au caricaturiste Musa Kart.



Lettre des eurodéputés GUE/NGL à Ahmet Şık :


Cher Ahmet,


Nous voulons par cette lettre vous apporter notre solidarité, à vous personnellement, comme à vos 18 collègues, journalistes et collaborateurs du journal Cumhuriyet, et à toutes celles et tous ceux qui défendent la liberté de la presse et plus largement l’ensemble des droits et libertés en Turquie.


La liberté de la presse a toujours été un combat en Turquie, comme en témoignent les nombreux journalistes poursuivis et emprisonnés en tout temps. Mais depuis la tentative de coup d’État raté de juillet 2016, la répression a pris une nouvelle dimension et la Turquie semble s’enfoncer dans une spirale de répression sans précédent contre les médias.


A ce jour, plus de 130 journalistes, dont ceux de Cumhuriyet, ont été arrêtés et près de 150 médias ont été fermés. Le pluralisme de la presse n’existe plus.


Nous venons de prendre connaissance, ce 4 avril, de l’acte d’accusation vous concernant et sa lecture est pour nous surprenante et révélatrice.


Le parquet vous accuse, vous et vos collègues, d’appartenance et de soutien d’organisations pour le moins diverses et variées, allant du mouvement de Fethullah Gülen, pointé comme responsable de la tentative de coup d’État, en passant par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le mouvement d’extrême gauche DHKP/C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple).


Il semble que votre journal soit surtout mis en cause en raison d’un soi-disant changement de ligne éditoriale depuis février 2015, date de l’arrivée à sa tête, comme rédacteur en chef, de votre collègue Can Dündar.


Nous nous demandons quel est le rapport avec le terrorisme et nous y voyons le symbole de la volonté des autorités turques de s’attaquer à un journal d’investigation, indépendant du pouvoir comme se doit de l’être tout journal ou journaliste qui se respecte et qui respecte les valeurs de la démocratie.


En outre, nous savons combien la notion de « terrorisme » en Turquie est pour le moins mal définie, comme l’ont régulièrement dénoncé tant le Conseil de l’Europe que les institutions de l’Union européenne.


Cher Ahmet,


Vous avez osé faire votre travail, vous avez osé critiquer le gouvernement dans sa gestion de la question kurde, de la menace terroriste, vous avez osé dénoncer la livraison d’armes turques à des groupes islamistes en Syrie. Comme vous avez osé dénoncer l’emprise de la confrérie Gülen sur l’appareil d’État en 2011.


Vous soutiendriez aujourd’hui ceux que vous avez dénoncés hier ?


Votre crime est d’avoir voulu poursuivre votre travail envers et contre tout.


Vous avez été arrêté pour cela, vous êtes emprisonné depuis décembre ; les accusations portées contre vous pourraient être presque risibles si elles n’étaient pas aussi graves, si l’État de droit fonctionnait en Turquie et si nous pouvions espérer que la justice turque était apte à faire valoir vos droits. Mais malheureusement, les magistrats sont eux aussi parmi les premières victimes de la répression.


Nous voulons donc vous dire que nous souhaitons nous tenir à vos côtés, vous dire que vous n’êtes pas seul dans votre combat. Nous voulons, à travers vous, manifester notre solidarité vis-à-vis de toutes celles et tous ceux qui défendent la liberté de la presse en Turquie et, à travers elle, la démocratie en le payant, y compris dans leur chair, par leur liberté.


Alors tenez bon, soyez fort et soyez sûr que nous nous battrons à vos côtés jusqu’à ce que vous retrouviez votre liberté.


Marie-Christine VERGIAT

Dimitrios PAPADIMOULIS

Miguel URBAN CRESPO

Josu JUARISTI ABAUNZ

Barbara SPINELLI

Martina MICHELS

Gabriele ZIMMER

Publié le
Updated on 04.05.2017