Daniel Leblanc : “En me donnant raison, la Cour suprême a réaffirmé que le secret des sources restait la règle”
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Daniel Leblanc a obtenu gain de cause, le 22 octobre 2010, sur le droit de protéger ses sources devant de la Cour suprême. En l’occurrence, une source surnommée “MaChouette”, qui lui a permis de mettre au jour le scandale des “commandites”, au début de la décennie 2000. Victoire en demi-teinte tout de même, car en mai dernier, la plus haute juridiction canadienne a pris une décision en sens contraire.
Pouvez-vous revenir sur le scandale des commandites qui est à l’origine de la jurisprudence de la Cour suprême en votre faveur ?
L’affaire commence par le dernier référendum sur la souveraineté du Québec. Le “Non” était alors passé de toute justesse et de là avait débuté la “guerre des drapeaux” entre les gouvernements fédéral et provincial. Côté fédéral, une vaste campagne de promotion de l’image du Canada s’est traduite par le déblocage d’une somme de 50 millions de dollars par année au Québec à destination des agences de communication et publicitaires. A quel moment éclate le scandale ?
En 2000-2001, la presse commence à révéler des pratiques de surfacturations de la part des agences de communication. Ces surfacturations aboutissaient à des injections d’argent dans les caisses de certains partis politiques, au premier desquels le Parti libéral du Canada. Des cas d’emplois fictifs sont également apparus. Confirmation a été donnée de tout cela en 2005 avec l’ouverture d’une enquête fédérale. Comment avez-vous connu “MaChouette” ?
C’est en juin 2000 que j’ai reçu l’appel anonyme d’une femme – qui m’a plus tard donné son nom – visiblement au fait de ces dossiers. Elle m’a fourni des noms, des données, des traces de contrat. Je ne la citais jamais dans mes articles. Elle m’indiquait une piste et moi je confirmais. Un an après la commission d’enquête, en 2006, j’ai publié un livre intitulé “Nom de code : MaChouette” qui révélait, avec son accord, l’existence de la source. Mais il faut rappeler qu’au moment de l’installation de la commission d’enquête fédérale, en 2005, le gouvernement du Canada avait engagé, pour se protéger, deux types de poursuites. Certaines au civil et une autre, de nature criminelle, sous la conduite de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). C’est de là que le groupe publicitaire Polygone a décidé de vous attaquer ?
Le groupe Polygone est celui qui s’est défendu le plus parce qu’il risquait gros dans ce dossier. Pourquoi a-t-il voulu obtenir le nom de ma source ? Tout simplement parce que selon le code civil du Québec, un délai de trois ans maximum pour engager des poursuites court à compter de la connaissance des faits. Au-delà, les poursuites deviennent impossibles. Le gouvernement fédéral a considéré que le scandale des commandites était connu depuis 2002. Or, “MaChouette” m’a contacté en 2000. Polygone avait intérêt à démontrer que les faits étaient connus depuis cette date et que, de fait, le délai d’engagement des poursuites à son encontre avait expiré. Maintenant que la Cour suprême du Canada s’est prononcée, le contentieux qui vous oppose à Polygone doit revenir devant la Cour supérieure du Québec, qui vous avait ordonné d’identifier “MaChouette”. Quel intérêt puisque personne ne peut plus exiger que vous identifiiez votre source ?
En effet, et toute la question est de savoir si Polygone voudra remettre le couvert. La Cour suprême a réaffirmé que la protection des sources restait la règle. C’est une victoire pour moi mais aussi pour la presse canadienne en général. Pourtant, en mai dernier, la Cour suprême a émis une décision en sens contraire…
C’est exact, mais le cas n’est pas tout à fait similaire. Le 7 mai dernier, la Cour suprême a effectivement enjoint le quotidien National Post de remettre des documents à la GRC, qui permettrait d’identifier la source du journaliste Andrew McIntosh. L’affaire remonte à 2001, quand le collègue avait révélé que Jean Chrétien, alors Premier ministre en exercice, avait favorisé un ami pour l’obtention d’un prêt auprès de la Banque de développement du Canada dans son comté de Shawinigan. Or, la banque avait juré que les documents bancaires, servant de base à l’enquête, étaient des faux. Il s’agissait donc d’établir la preuve d’une falsification en essayant au besoin d’obtenir le nom d’une source. Le Canada est un pays bien noté en matière de liberté de presse. Partagez-vous ce constat ?
Oui, globalement. Il est vrai que l’accès à certaines informations est devenu plus difficile depuis que Stephen Harper a accédé au poste de Premier ministre. La presse a davantage de mal à s’emparer d’affaires touchant à la sécurité nationale. Mais concernant le secret des sources, je crois que la décision en ma faveur confirme une tendance positive. Tout comme la décision de la Cour suprême de décembre 2009 relative à la “communication responsable” dans des affaires de diffamation. Le journaliste attaqué peut désormais se prévaloir d’avoir tout tenté pour donner la parole à la partie adverse. Et donc garantir sa bonne foi professionnelle.
L’affaire commence par le dernier référendum sur la souveraineté du Québec. Le “Non” était alors passé de toute justesse et de là avait débuté la “guerre des drapeaux” entre les gouvernements fédéral et provincial. Côté fédéral, une vaste campagne de promotion de l’image du Canada s’est traduite par le déblocage d’une somme de 50 millions de dollars par année au Québec à destination des agences de communication et publicitaires. A quel moment éclate le scandale ?
En 2000-2001, la presse commence à révéler des pratiques de surfacturations de la part des agences de communication. Ces surfacturations aboutissaient à des injections d’argent dans les caisses de certains partis politiques, au premier desquels le Parti libéral du Canada. Des cas d’emplois fictifs sont également apparus. Confirmation a été donnée de tout cela en 2005 avec l’ouverture d’une enquête fédérale. Comment avez-vous connu “MaChouette” ?
C’est en juin 2000 que j’ai reçu l’appel anonyme d’une femme – qui m’a plus tard donné son nom – visiblement au fait de ces dossiers. Elle m’a fourni des noms, des données, des traces de contrat. Je ne la citais jamais dans mes articles. Elle m’indiquait une piste et moi je confirmais. Un an après la commission d’enquête, en 2006, j’ai publié un livre intitulé “Nom de code : MaChouette” qui révélait, avec son accord, l’existence de la source. Mais il faut rappeler qu’au moment de l’installation de la commission d’enquête fédérale, en 2005, le gouvernement du Canada avait engagé, pour se protéger, deux types de poursuites. Certaines au civil et une autre, de nature criminelle, sous la conduite de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). C’est de là que le groupe publicitaire Polygone a décidé de vous attaquer ?
Le groupe Polygone est celui qui s’est défendu le plus parce qu’il risquait gros dans ce dossier. Pourquoi a-t-il voulu obtenir le nom de ma source ? Tout simplement parce que selon le code civil du Québec, un délai de trois ans maximum pour engager des poursuites court à compter de la connaissance des faits. Au-delà, les poursuites deviennent impossibles. Le gouvernement fédéral a considéré que le scandale des commandites était connu depuis 2002. Or, “MaChouette” m’a contacté en 2000. Polygone avait intérêt à démontrer que les faits étaient connus depuis cette date et que, de fait, le délai d’engagement des poursuites à son encontre avait expiré. Maintenant que la Cour suprême du Canada s’est prononcée, le contentieux qui vous oppose à Polygone doit revenir devant la Cour supérieure du Québec, qui vous avait ordonné d’identifier “MaChouette”. Quel intérêt puisque personne ne peut plus exiger que vous identifiiez votre source ?
En effet, et toute la question est de savoir si Polygone voudra remettre le couvert. La Cour suprême a réaffirmé que la protection des sources restait la règle. C’est une victoire pour moi mais aussi pour la presse canadienne en général. Pourtant, en mai dernier, la Cour suprême a émis une décision en sens contraire…
C’est exact, mais le cas n’est pas tout à fait similaire. Le 7 mai dernier, la Cour suprême a effectivement enjoint le quotidien National Post de remettre des documents à la GRC, qui permettrait d’identifier la source du journaliste Andrew McIntosh. L’affaire remonte à 2001, quand le collègue avait révélé que Jean Chrétien, alors Premier ministre en exercice, avait favorisé un ami pour l’obtention d’un prêt auprès de la Banque de développement du Canada dans son comté de Shawinigan. Or, la banque avait juré que les documents bancaires, servant de base à l’enquête, étaient des faux. Il s’agissait donc d’établir la preuve d’une falsification en essayant au besoin d’obtenir le nom d’une source. Le Canada est un pays bien noté en matière de liberté de presse. Partagez-vous ce constat ?
Oui, globalement. Il est vrai que l’accès à certaines informations est devenu plus difficile depuis que Stephen Harper a accédé au poste de Premier ministre. La presse a davantage de mal à s’emparer d’affaires touchant à la sécurité nationale. Mais concernant le secret des sources, je crois que la décision en ma faveur confirme une tendance positive. Tout comme la décision de la Cour suprême de décembre 2009 relative à la “communication responsable” dans des affaires de diffamation. Le journaliste attaqué peut désormais se prévaloir d’avoir tout tenté pour donner la parole à la partie adverse. Et donc garantir sa bonne foi professionnelle.
Publié le
Updated on
20.01.2016