Débat dérangeant sur le génocide arménien

Reporters sans frontières dénonce la décision prise le 16 juin 2010 par le Haut Conseil de l’audiovisuel turc (RTÜK), de sanctionner la chaîne de télévision privée Habertürk. Au moment où le Comité des Affaires Extérieures de la Chambre des Représentants des Etats-Unis adoptait une résolution reconnaissant le terme de « génocide » pour qualifier les massacres d’Arméniens de 1915, la chaîne menait un débat autour de la question. L’émission « Tête à tête » du 9 mars dernier a opposé Yusuf Halaçoglu, l’ancien président de l’Institut turc d’Histoire (TTK), et Sevan Nisanyan, journaliste d’origine arménienne. Ce sont les propos tenus par ce dernier qui ont déplu au Haut Conseil de l’audiovisuel. Afin de sanctionner la chaîne de télévision, le RTÜK a décidé que celle-ci ne pourrait diffuser l’émission incriminée qu’après le 13 juillet. Cette décision, prise le 16 juin, n’a été rendue publique que le 24. En lieu et place de l’émission interdite, la chaîne devra, en attendant, diffuser une émission choisie par le RTÜK. Reporters sans frontières déplore vivement une décision qui s’apparente à de la censure pure et simple. L’organisation appelle le Haut Conseil de l’audiovisuel turc à lever la sanction démesurée à l’encontre de la chaîne. La liberté d’expression doit prévaloir, même lorsqu’il s’agit de sujets sensibles qui divisent l’opinion. Il s’agit du travail des journalistes de provoquer le débat de manière contradictoire. Pour l’organisation de défense de la liberté de la presse, le RTÜK censure, à travers cette décision, toute une émission, pour un débat unique ne correspondant pas aux critères du RTÜK. Reporters sans frontières ne peut que regretter qu’une institution s‘arroge le droit de décider en quels termes débattre d’un fait historique. Linguiste, écrivain et chroniqueur pour le quotidien Taraf (Camps), Sevan Nisanyan critiquait « la politique de l’Etat qui cherche sans cesse à trouver une excuse pour expliquer le massacre de centaines de milliers d’Arméniens et leur déportation ». Selon le RTÜK, Sevan Nisanyan, en défendant la thèse du génocide, allait au-delà de la critique et violait l’alinéa (i) de l’article 4 de la Loi 3984 relative aux émissions de radio et de télévision. Selon cet alinéa, il est interdit, pour un média, de « franchir la limite de la critique et de porter atteinte à une « personne morale ». Il reproche ainsi au journaliste d’avoir accusé la République turque d’être « effrontée », « éhontée » et « immorale ». Pour Reporters sans frontières, la formulation de cet alinéa est des plus floues, laissant une trop grande part de subjectivité et d’interprétation aux autorités, la plupart du temps dans un sens unltraconservateur, empêchant la société de se saisir de questions essentielles.
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Updated on 20.01.2016