Conflit au Nord-Kivu : l’escalade des pressions sur la presse, plus de 50 attaques de rédactions et de journalistes en un an

Entre janvier 2024 et janvier 2025, les conditions de la liberté de la presse se sont dégradées à une vitesse vertigineuse dans le Nord-Kivu. Reporters sans frontières (RSF) a recensé plus de 50 attaques de rédactions et de journalistes – pillages, destructions, menaces, violences physiques – dans cette province de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). RSF appelle les autorités congolaises et le M23 à protéger les journalistes, en ne contraignant pas la profession aux logiques de guerre informationnelle. 

La récente prise de Goma par le groupe armé du M23, est le point d’orgue d’une dégradation sécuritaire qui impacte les journalistes depuis au moins un an. Dans cette province, le Nord-Kivu, à l’est de la RDC – la plus durement touchée par le conflit entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et le M23 –, RSF a recensé - avant la prise de Goma - 52 atteintes à la liberté de la presse entre janvier 2024 et janvier 2025. Plus d’un tiers des entraves visant des journalistes dans le pays ont eu lieu au Nord-Kivu.

"En l’espace d’un an, la pratique du journalisme, déjà précaire, s’est considérablement détériorée dans la province du Nord-Kivu. Les journalistes sont pris en étau dans le conflit actuel, mais aussi par les nombreuses milices qui opèrent dans la province. Les attaques contre les médias, notamment des radios communautaires, lors des combats opposant le M23 aux FARDC, est devenu une triste réalité. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités provinciales du Nord-Kivu ainsi que le M23 à cesser d’attaquer ou de mettre en danger les journalistes, et au contraire à les protéger. Nous nous adressons aussi au ministère de la Communication et au Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) pour qu’ils se positionnent concrètement en garants d’une presse libre et fiable.

Anne Bocandé
Directrice éditoriale de RSF

Au moins 26 radios communautaires ont été pillées ou contraintes de fermer dans le Nord-Kivu depuis janvier 2024. Une dizaine d’entre elles ont été directement attaquées par des membres du M23 : “Le groupe rebelle cherche régulièrement à prendre le contrôle d’une radio pour annoncer son arrivée dans une ville”, précise un journaliste de la province. Résultat : les radios ferment, de façon forcée ou préventive, au fur et à mesure de l’avancée du M23. Difficilement attribuables, les pillages des médias suivant la confusion de la prise d’une ville par le groupe rebelle sont également monnaie courante. 

Près de 90 journalistes déplacés

Au fil des mois, les combats ont entraîné des vagues de déplacés – plus de 4,6 millions dans les deux provinces du Sud et du Nord-Kivu. Selon le partenaire de RSF, l’Union nationale de la presse congolaise (UNPC), environ 90 journalistes ont dû fuir leur domicile et se déplacer au gré des attaques et conquêtes de territoires par le groupe rebelle. Les menaces par message et appel avant l’arrivée du groupe rebelle sont fréquentes. “On m’a dit qu’on allait s’occuper de moi lorsque le M23 occuperait Goma”, témoigne un journaliste de cette ville.

Dans leur fuite, certains sont également pris en chasse par le M23 : “Ils me cherchaient car j’avais pris l’émetteur de la radio avec moi. Ils voulaient que je revienne pour diffuser leurs informations via la radio”, explique un directeur de radio communautaire du territoire de Lubero, déplacé depuis juin 2024.

Une insécurité permanente

Dans le contexte de la guerre, les suspicions envers les journalistes sont grandes. Les accusations d’appartenir au camp du M23 et de son allié, le Rwanda, sont fréquentes. “Même nos sources se méfient constamment de nous”, glisse une reporter au détour d’une conversation. Les journalistes recherchés pour avoir relaté les exactions commises par le M23 ou des milices armées ne sont pas moins rares. 

Aussi, deux journalistes ont été assassinés en l’espace d’un mois, dans des circonstances qui restent floues. Le coordinateur de la radio catholique Maria, Edmond Bahati Monja, a été tué par balle à Goma alors qu’il rentrait à son domicile le 27 septembre. L’animateur de la radio communautaire Mpety, Yoshua Kambere Machozi, a lui été enlevé par des rebelles du M23 lors de la prise de la cité, le 29 octobre. Son corps sans vie a été retrouvé au bord d’une rivière, huit jours plus tard. 

Face à ce marasme, la profession tente tant bien que mal de résister, faisant preuve d’une résilience hors du commun. Déplacé depuis près d’un an, un directeur de radio, Elie Muhindo Lubuto, a récemment repris ses émissions à Kalembe, alors que son média avait été pillé à deux reprises en 2024. 

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