Condamnation du JDD pour atteinte à l'honneur du mouvement "Nachi" : Agit Prop versus Information ?
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Le 21 avril 2010, le tribunal Saviolovksi de Moscou a donné raison au mouvement de jeunesse poutinien Nachi, contre le JDD (Le Monde et The Independent sont également poursuivis), reconnu coupable d'avoir porté atteinte à l'honneur à ses membres et condamné à verser 250 000 roubles (environ 6 000 euros) de dommages.
La stratégie du mouvement de jeunesse consistant à poursuivre en justice des médias russes et étrangers pour "atteinte à (son) honneur" ne laisse pas d'étonner, et nourrit bien des interrogations sur les objectifs de ceux qui la dirigent.
S'il s'agit d'intimider les relais d'opinion et d'informations en multipliant les procédures à leur encontre, l'initiative est peu concluante. Et il faut s'en réjouir.
D'une part, les Nachi sont parfois éconduits pas les juges. Ce fut le cas dans un récent dossier les opposant à la radio Echo de Moscou. D'autre part, après avoir porté plainte, les jeunes activistes proches du Kremlin finissent souvent par accepter des arrangements à l'amiable.
Dans le cas de l'affaire opposant le mouvement de jeunesse à des médias français, Le Monde, lors d' une audience préliminaire, le 13 janvier, dans ce même tribunal avait demandé à ce que le dossier soit jugé en France, une requête rejetée par la juge Adamova.
Cette décision, en apparence défavorable au journal, fragilise en réalité la portée du verdict qui pourrait être prononcé. Le Monde ne dispose pas de représentation juridique sur le sol russe susceptible d'être concernée par le verdict, tout comme le JDD.
Dès lors, on peut légitimement s'interroger sur la fonction remplie par le mouvement et se demander si ce que ce dernier entend protéger est bien son honneur et non, plutôt, sa notoriété et sa popularité auprès d'une partie de la population russe abreuvée de propagande.
Les Nachi occupent le terrain. Ils prospèrent en confisquant les rares espaces de débat qu'offre encore la société russe. Ils prennent, notamment, fait et cause contre ceux qui s'inquiètent de la persistance du "soviétisme" dans la société russe, et se posent en défenseurs de l'héritage national, y compris soviétique, entretenant une confusion répandue et vivace. Ils désignent comme ennemis ceux qui remettent en cause la pertinence de ce cadre pour analyser la Russie d'aujourd'hui. Le mouvement tente de s'opposer à toute clarification du passé et regard critique sur le présent. Et sans doute n'a-t-il pas, ni ceux qui le soutiennent, intérêt à ce que la société se saisisse de ces questions sereinement.
Revenons aux textes incriminés, ceux par publiés par le JDD, Le Monde et d'autres médias. Ils faisaient référence à la polémique autour d'un article du journaliste, écrivain et ex-dissident Alexandr Podrabinek, intitulé "Soviétiques contre l'Anti-soviétique", paru en septembre 2009. Il y répondait à des vétérans de la seconde guerre mondiale indignés par l'ouverture, à Moscou, d'un restaurant baptisé l'"Antisoviétique". Les anciens soldats réclamaient qu'il change de nom. Le journaliste a été contraint de choisir la clandestinité en raison des menaces dirigées contre lui, après la parution de son article.
Un débat auquel les Nachis s'étaient joints en organisant, entre autres réjouissances, plusieurs journées de manifestations devant le domicile du journaliste. Manifestations autorisées par le pouvoir local, quand nombre de celles proposées par de organisations non gouvernementales critiques des autorités se heurtent à des refus quasi systématiques.
Le contenu des articles qui ont offensé les Nachi relève du journalisme d'opinion et rendait compte du développement d'une polémique, reflet d'un débat de société. Et oui, le débat sur l'héritage soviétique en Russie grandit et c'est une bonne chose. En témoignent les polémiques autour de l'initiative du très puissant maire de Moscou, Iouri Loujkov, d'installer des panneaux à la gloire de Staline à l'occasion des festivités du 9 mai prochain (jour de la victoire sur l'Allemagne nazie). Une décision qui a entraîné les très vives réactions, de la Chambre civile, de l'ONG Mémorial et même d'un comité du Kremlin.
Quant au débat historique, une initiative de trois médias russes devrait d'ailleurs y contribuer. Elle s'intitule "Attention, Histoire !" (regarder la vidéo d'un débat ) et reviendra sur les périodes controversées de l'histoire du pays.
Comment les Nachi entendent-ils participer à ce débat ? En exerçant des pressions sur plusieurs de ses contributeurs, journalistes et médias. C'est en tout cas la décision qu'a prise un autre mouvement de jeunesse "Molodaïa Rossia", qui le 22 avril a annoncé qu'il organisera des manifestations quotidiennes devant les locaux d'Ekho Moskvy afin d'obtenir que celle-ci, n' émette pas le 9 mai. La ligne éditoriale de la radio est jugée offensante pour le vétérans de la "grande guerre patriotique" par le mouvement de jeunesse.
Reste à espérer que si la Russie se saisit de son histoire, des mouvements comme les Nachis, incarnant tant la volonté d'immobilisme que le recours à des méthodes d'intimidation, ne pourront que perdre en influence. Ainsi les amalgames sur lesquels le mouvement prospère trouveront de moins en moins d'oreilles indulgentes, et le débat se substituera à la propagande. Malheureusement, la justice russe, par ses récentes décisions en la matière ne semble pas compter parmi les forces de progrès.
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Updated on
20.01.2016