Conclusions du monitoring de la couverture médiatique du scrutin présidentiel : les médias publics n'ont pas correctement informé les électeurs

Reporters sans frontières a rendu publics les résultats de son monitoring de la couverture par les médias publics de la campagne présidentielle, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue à Bakou le 14 octobre 2008. Cette étude s'inscrit dans le projet « Protection du pluralisme médiatique en période électorale », soutenu financièrement par l'Union européenne. Les médias publics étudiés par Reporters sans frontières durant ces quatre semaines de monitoring n'ont ni analysé les programmes des candidats ni permis que se tiennent des débats approfondis et constructifs. Le président sortant et candidat à sa propre succession, Ilham Aliev, a bénéficié d'une très large couverture et donc d'une publicité massive. C'est la presse écrite qui a suscité le plus d'inquiétudes. Elle ne cite, parmi les acteurs politiques, que le Président, la Commission électorale centrale, l'ancien président Heydar Aliev, père de l'actuel président et la Fondation du même nom. Lors de cette campagne, les médias ont privilégié la couverture du fonctionnement et des préparatifs de l'élection, occultant ainsi les candidats et le débat contradictoire. “Nous regrettons que la campagne ait été la grande absente des médias publics. La surreprésentation du pouvoir exécutif n'a pu que peser sur le choix des électeurs. Nous regrettons que ces derniers n'aient eu accès ni à de véritables débats contradictoires entre les candidats ni à une information complète, seuls à même de les aider à faire leur choix en toute conscience”, a déclaré Reporters sans frontières. Couverture de la campagne par les télevisions La télévision d'Etat AzTV n'a pas eu le droit de proposer un accès gratuit à ses programmes et sa couverture de l'élection a été minime. Les candidats ont totalisé entre 0,01 et 0,08 % de la couverture dans les bulletins d'informations. La Commission électorale centrale (CEC) a obtenu 4,46 % du temps d'antenne. Le président actuel a été l'acteur politique le plus cité, avec 44,14 % du temps alloué. En comparaison, le Parlement a bénéficié de 3,30 % et la Fondation Heydar Aliev de 13,28 % de la couverture de la campagne dans les bulletins d'informations. Le développement des infrastructures (26,09 %) et la culture (18,84 %) figurent parmi les sujets proposés. Le processus électoral et les activités diplomatiques (9,42 %) ont également bénéficié d'une couverture importante. La chaîne publique ITV a l'obligation de fournir un temps d'accès gratuit aux candidats et de se conformer au règlement. Son traitement de la campagne a été équitable bien que marginal (entre 0,10 et 0,42 %). Près de la moitié (49,32 %) des reportages ne concernaient pas les acteurs politiques. Les autres acteurs politiques cités sont plus ou moins les mêmes que sur les autres chaînes : les autres Etats (12,73 %), la CEC (6,88 %) et les autres ministres (5,18 %). Couverture de la campagne par les radios La radio publique IR et la radio d'Etat AzR ont toutes deux offert une couverture médiatique aux candidats dans leurs bulletins d'informations, mais de façon minime. Les deux radios ont proposé divers sujets, tels que les droits de l'homme, les relations interethniques, les mesures anticorruption, les réformes économiques, les questions de sécurité. Dans leur couverture des acteurs politiques, les deux radios ont privilégié les ministres (15,97 et 19,44 % respectivement), les autres Etats (12,25 %) et la Commission électorale centrale (11,27 %). Couverture de la campagne par la presse écrite C'est la presse écrite d'Etat qui a éveillé le plus d'inquiétude lors du monitoring. La couverture de la campagne y est infime et reléguée à l'espace gratuit. Le Président est omniprésent, tant dans les articles que dans les photographies : 62,49 % de Bakinskii Rabochii, 56,89 % de Respublika, 57,12 % d'Azerbaijan et 55 % de Halq. Les autres acteurs majoritairement cités sont l'ancien président Heydar Aliev, la CEC, le Parlement et les ministres. Conclusions L'équipe a noté un changement dans les bulletins d'informations et la couverture de l'actualité lors des deux dernières semaines de la campagne, avec davantage de reportages sur les préparatifs de l'élection, et dans une moindre mesure, sur les activités des candidats. Mais les médias n'ont pas rempli leur rôle d'analyse, ils n'ont ni posé de questions probantes ni comparé les plateformes électorales des candidats. La couverture des partis d'opposition boycottant l'élection a été marginale. Les chaînes publiques ITV et IR ont rempli leur obligation de fournir un temps d'antenne gratuit aux candidats. En accord avec le règlement de la Commission électorale centrale (CEC) et avec le Code électoral, seules la télévision publique ITV et la radio IR étaient autorisées à offrir aux candidats un accès gratuit à leurs programmes appelés “Tables rondes”, commençant à 21h à la radio et à 18h50 à la télévision. L'équipe a noté avec étonnement le peu d'usage des créneaux de temps d'antenne payant mis à disponibilité des candidats, selon les règles de la CEC. Cette remarque coïncide avec la plainte d'un candidat qui demande un règlement plus clair et transparent de l'accès payant, ainsi que davantage de directives internes spécifiques pour les médias. Les médias audiovisuels et écrits ont couvert les candidats enregistrés, mais en ce qui concerne AzTV et l'ensemble de la presse écrite étudiée, le temps et l'espace qui leur sont consacrés sont minimes (entre 0,02 et 1,5 %). Mais cette équité a été compensée par une publicité massive en faveur du président actuel. Par exemple, AzTV a consacré au chef de l'Etat 44,14 % de son temps d'antenne et 68,84 % de son temps de parole. L'organisation a conclu que la presse écrite n'a pas informé de manière adéquate ses lecteurs sur la campagne électorale et plus généralement sur l'actualité dans le pays. Les seuls acteurs politiques cités dans les quotidiens sont le président actuel, la CEC, l'ancien président Heydar Aliev, la Fondation Heydar Aliev et les autres Etats. Les chaînes publiques ITV et IR et la radio AzR ont proposé une plus large variété d'acteurs politiques et de sujets dans leurs bulletins d'informations et leurs programmes d'actualité. Mais elles n'ont pas offert de temps de parole aux candidats à la différence de la chaîne privée ANS retenue dans ce monitoring à titre comparatif. ITV est le média ayant proposé le plus de sujets dans lesquels aucun acteur politique n'est mentionné (49,32 %). Par ailleurs, les bulletins d'informations de toutes les chaînes proposent principalement des reportages sur l'exécutif en place, les affaires extérieures et les activités diplomatiques du pays. Les médias n'ont pas profité de cette période importante pour discuter des problèmes sociaux et politiques urgents de la société. Recommandations Par conséquent, l'équipe recommande que : - le droit à un accès juste et équitable aux médias publics pour tous les candidats soit inscrit dans le Code électoral ; - les droits des candidats vis-à-vis des médias, et particulièrement la procédure de plainte, soient indiqués plus clairement dans le Code électoral ; - les médias publics fassent preuve d'une meilleure politique éditoriale pour que les reportages sur l'exécutif, et plus particulièrement sur le Président, ne dominent pas la couverture de la campagne électorale ; - les reportages sur les aspects organisationnels de l'élection, bien que très importants, ne se substituent pas aux reportages sur les activités des candidats pendant la période de campagne ; - les reportages sur les activités des candidats soient inclus dans les programmes éditoriaux ; - un format plus animé et poussé d'accès gratuit aux programmes soit envisagé par les médias publics. Il permettrait une participation plus active des journalistes et un véritable débat entre les politiques ; - les médias publics ménagent une place plus importante à des reportages critiques et complets sur les affaires sociales et politiques du pays. Rappels Le monitoring qualitatif et quantitatif de trois chaînes de télévision, des deux radios et de quatre quotidiens publics a commencé le 17 septembre 2008, jour de l'ouverture par les médias publics de l'accès libre à l'antenne des candidats enregistrés pour l'élection présidentielle. Le monitoring s'est achevé le 13 octobre. L'équipe de Reporters sans frontières a surveillé les bulletins d'informations et les programmes d'actualité, y compris les talk-shows sur les questions sociales et/ou politiques à la radio et à la télévision entre 15h et 22h chaque jour. Dans la presse écrite, l'organisation a étudié tous les articles sur les nouvelles et l'actualité en Azerbaïdjan. L'activité des médias publics, et particulièrement l'allocation de temps d'antenne ou d'espaces gratuits, est encadrée par le Code électoral et les instructions de la CEC, qui se fondent sur la Constitution (art.47) ainsi que sur les lois “sur les médias” et “sur la publicité”. La directive de la CEC du 18 juillet 2008 spécifie que la campagne commencera 28 jours avant l'élection et que les médias audiovisuels à financement public devront allouer au moins 3 heures par semaine de programmes gratuits à la campagne. Leurs homologues de la presse écrite doivent offrir au moins 10 % de leur volume hebdomadaire à l'ensemble des candidats à l'élection avant le début de la campagne (paragraphe 3.6). Les candidats doivent également avoir la possibilité d'acheter des espaces ou du temps d'antenne aux différents médias. Les médias privés, eux, ne peuvent allouer qu'une couverture payante aux différents candidats. Liste des médias observés Médias audiovisuels : AzTV (télévision publique), ITV (télévision publique), AzR (radio publique), IR (radio publique), ANS (chaîne privée). Presse écrite : Halq (quotidien en langue azerbaïdjanaise, paraît du mardi au samedi), Respublika (quotidien en langue azerbaïdjanaise, paraissant du mardi au dimanche), Azerbaijan (quotidien en langue azerbaïdjanaise, paraissant du mardi au dimanche) et Bakinskii Rabochii (quotidien russophone, paraissant du mardi au vendredi). Candidats Les principales formations de l'opposition ont décidé de boycotter le scrutin : Isa Gambar du Parti Musavat, Ali Kerimli du Parti du Front populaire d'Azerbaïdjan et Sardar Jalaloglou du Parti démocrate. De ce fait, la coalition d'opposition Azadlig boycottera le scrutin. Sept candidats ont été autorisés par la CEC à se présenter à l'élection présidentielle, après avoir recueilli au moins 40 000 signatures. En plus de l'actuel président, Ilham Aliev, du Parti Yeni Azerbaijan Partiyasi, il s'agit de Goudrat Hasangouliev, du Parti du Front populaire uni, de Fazil Gazanfaroglou du Parti de la grande formation, de Fouad Aliev du Parti libéral-démocrate d'Azerbaïdjan, d'Igbal Agazade du parti de l'espoir, d'Hafiz Hadjiev du Parti moderne Musavat et de Goulamhussein Alibeyli, candidat libre.
Publié le
Updated on 20.01.2016

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