Comores : une journaliste menacée de poursuites par le ministre de l’Intérieur
La journaliste d’un quotidien public comorien a été publiquement menacée de poursuites judiciaires par un ministre pour sa couverture du référendum constitutionnel. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une multiplication inédite des atteintes à la liberté de la presse ces dernières semaines aux Comores.
Les médias de plusieurs îles de l’océan Indien parlent désormais d’une “affaire Faïza” du nom d’une journaliste d’Al-watwan, le quotidien public de référence aux Comores, ouvertement menacée par le ministre de l’Intérieur et de l’Information. Dans une interview, Mohamed Daoudou a reproché à la reporter Faïza Soulé Youssouf d’avoir montré une “très mauvaise image du pays” et menacé de la poursuivre en justice pour sa couverture du référendum constitutionnel controversé adopté le 30 juillet dernier aux Comores.
Trois jours plus tôt, la journaliste avait publié un article dans le quotidien français Le Monde, relayant les principales critiques exprimées au cours de la campagne référendaire, comme la possibilité pour Azali Assoumani, le président sortant, de se présenter à sa propre succession ou encore l’inscription dans la constitution de l’Islam sunnite de rite chafiite comme seule religion constitutive de l’identité nationale.
Lors du référendum du 30 juillet, le ministre a également reproché à la journaliste d’avoir témoigné en direct sur les réseaux sociaux de l’agression d’un gendarme dans un bureau de vote de la capitale Moroni. Son accréditation pour la couverture du scrutin lui a été retirée quelques heures plus tard.
“Nous demandons au ministre de mettre fin à cette cabale contre une journaliste qui n’a fait que son travail et de tout faire pour stopper la dégradation inédite de la liberté de la presse aux Comores, déclare Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Il en va de l’image et de la liberté d’information d’un pays, qui faisait jusque-là plutôt figure de bon élève dans la région et sur le continent africain.”
"Le contexte du référendum ne me permettait pas de saisir l'organe de régulation des médias à temps", s'est justifié le ministre de l'Intérieur et de l'Information joint par RSF. "Mon devoir est de préserver la paix et la sécurité, pas de défendre une une journaliste qui mélange son métier et ses partis pris politiques".
Une vingtaine de reporters se sont réunis sur la place de l'Indépendance à Moroni lundi 6 août pour témoigner de leur solidarité avec leur consœur et un comité de défense de la liberté de la presse rassemblant plusieurs dizaines de journalistes des îles de l’océan indien a été créé. Dans un communiqué, l’Union internationale de la presse francophone (UPF) s’est également inquiétée des “menaces” et “pressions” exercées sur les journalistes comoriens.
Mardi, alors que les auteurs présumés de l’agression du gendarme en marge du référendum constitutionnel étaient auditionnés au palais de justice de Moroni, Abderemane Ahmed Ibrahim, journaliste à HaYba FM, a été giflé par un gendarme pour les avoir pris en photo lors de leur arrivée au tribunal.
Jeudi 12 juillet, Ahmed Ali Amir, le directeur général d’Al-watwan, avait été démis de ses fonctions par décret présidentiel. Un limogeage intervenu à moins de trois semaines de la tenue du référendum et peu de temps après la publication d’un édito dans lequel le journaliste estimait qu’il était essentiel que “son média de service public” permette un “un débat fécond” sur le projet de révision constitutionnel. “Plus on s’est rapproché de l’échéance, moins les voix critiques étaient tolérées par le pouvoir”, raconte le journaliste joint par RSF.
Les Comores occupent la 49e place dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.