Ils s’appellent
Uthayan au Sri Lanka,
Express TV au Pakistan,
Radio Shabelle en Somalie,
Dosh en Russie, ou encore
Radio Progreso au Honduras. Ces médias, comme de nombreux autres à travers le monde, subissent les menaces et les attaques à répétition des ennemis de la presse. A leur lutte quotidienne pour informer leurs concitoyens sur la situation de leur pays, les affaires de corruption ou les violations des droits de l'homme, les journalistes et reporters de ces rédactions doivent ajouter le combat pour leur sécurité physique et la liberté d’exercer leur activité de manière indépendante.
Les prédateurs de la liberté de la presse qui les assaillent n’ont en commun que leur intolérance à la critique et à la violence qu’ils déchaînent contre eux.
Nigeria, Pakistan, Somalie : entre faillite des autorités et terreur des milices armées
Au Pakistan ou au Nigeria, les groupes armés qui terrorisent la population toute entière font des professionnels des médias une cible récurrente de leur propagande et de leurs actions meurtrières. En Turquie, le journal Agos continue de payer le prix de son engagement pour les droits de l’homme.
Six journalistes et collaborateurs des médias assassinés et une dizaine d’attaques physiques, certaines menées avec des armes de guerre, tel est le bilan de l’année 2014 pour le groupe Express Media. Ses journalistes sont la cible régulière d’attaques revendiquées par le groupe Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) qui cherche à éradiquer toute couverture qui porterait préjudice à son image. Si les journalistes de la chaîne de télévision
Express News,
Raza Rumi, et
Jamshed Baghwan ont échappé aux tentatives d’assassinats dont ils ont fait l’objet au début de l’année 2014, ça n’a pas été le cas de
Yaqoob Shehzad,
Khalid Khan,
Ashraf Yusuf et
Waqas Aziz, tués par balles en plein jour par des individus non-identifiés, et jamais appréhendés.
Soumis à la terreur du groupe islamiste Boko Haram, les médias nigérians doivent faire face aux attentats suicides et aux représailles ciblées contre leurs journalistes, dont ils jugent la couverture néfaste ou qu’ils suspectent de travailler pour les forces de sécurité. En janvier 2012, le correspondant de
Channels TV à Kano (Nord) a été tué alors qu’il tentait d’interviewer des victimes de la série d’attentats que venait de commettre Boko Haram dans la ville. Un an auparavant, c’est
Zakariya Isa, reporter de la chaîne nationale
Nigeria Television Authority (NTA) qui était abattu. Le double attentat qui a frappé les bureaux de plusieurs journaux comme
ThisDay,
The Moment et
The Daily Sun, à Abuja et Kaduna, en avril 2012, porte également la marque du groupe.
Menaces et campagnes de dénigrement sont le lot quotidien des journaliste d’
Agos, en Turquie. Cible de divers groupes ultranationalistes ou fondamentalistes, le journal continue de défendre les droits des Arméniens et des autres minorités de Turquie, malgré l’assassinat en 2007 de son fondateur,
Hrant Dink. Peu avant sa mort, ce militant infatigable de la démocratie et de la réconciliation nationale avait été condamné en justice pour “insulte à l’identité turque”. Le site web de l’hebdomadaire bilingue fait également l’objet d’attaques.
Agos peut difficilement compter sur la police, qui n’avait rien fait pour protéger Hrant Dink malgré les informations qu’elle détenait sur le projet d’assassinat à son encontre.
Etats prédateurs : intolérance à la critique et représailles constantes
Pour de nombreux médias, les autorités étatiques constituent la principale menace, n’hésitant pas à recourir à des intermédiaires “en civil” pour mener leurs exactions.
C’est le cas du quotidien sri lankais
Uthayan, seul journal tamoul à avoir continué d’exister au cours de la guerre civile opposant l’armée régulière à la rébellion du LTTE, entre 1983 et 2009. Basé à Jaffna, au nord du pays,
Uthayan n’hésite pas à traiter de sujets polémiques en dépit des violentes attaques perpétrés sous l’oeil complice de la police et des militaires. Enlèvement de journalistes, menaces de mort, fermeture forcée, destruction de matériel, campagnes de dénigrement : rien n’a été épargné au quotidien, qui paye au prix fort son analyse sans concessions de la situation au Sri Lanka et ses révélations régulières sur les activités illégales du gouvernement et des militaires.
En retirant la station
Radio Shabelle des ondes le 15 août 2014 et en emprisonnant dans le même temps l’un de ses journalistes les plus reconnus,
Mohamed Bashir Hashi, les autorités somaliennes auront réussi là où la milice islamiste des Shebab avaient échoué, faire taire une voix critique et indépendante. Aujourd’hui, le harcèlement des journalistes de la station ne faiblit pas. Récemment remis en liberté, le propriétaire de Shabelle Media Network,
Abdiimalik Yusuf Mohamud, et le rédacteur en chef de
Radio Shabelle,
Ahmed Abdi Hassan, demeurent accusés d’« incitation au crime » et d’« incitation à désobéir à la loi » et pourraient retourner en prison pour y être torturés par des officiers de l’agence nationale de sécurité (ANS).
Au Honduras,
Radio Progreso paie cher ses positions contre le coup d'Etat de 2009. Selon le directeur de la radio, le prêtre jésuite
Ismael Moreno, une quinzaine de ses employés ont reçu des menaces de mort et la radio doit à présent respecter plusieurs protocoles de sécurité. Le 18 février 2013,
Isaac Leonardo Guevara Amaya, correspondant de
Radio Progreso à Tela (Nord) a été la cible de menaces policières. Malgré les demandes répétées de la Cour Interaméricaine des droits de l’homme, le gouvernement a toujours refusé de prendre des mesures de protection pour les employés de la station. Le 11 avril 2014,
Carlos Mejía Orellana, un collaborateur de la radio, était tué à son domicile après avoir reçu plusieurs menaces de mort. Loin de répondre à l’urgence de la situation, les autorités continuent de museler les journalistes de
Radio Progreso. Depuis le mois de juin 2014, la journaliste et correspondante de la station
Albertina Manueles Pérez fait l’objet d’une accusation de sédition à l’encontre de la sécurité intérieure.
Dosh est le seul magazine indépendant traitant de la vie politique et sociale dans l’ensemble du Caucase russe. Un travail hasardeux dans une région en proie aux exactions des forces de l’ordre, à une insurrection islamiste armée et à une corruption omniprésente. Depuis qu’ils l’ont créé, en 2003, les journalistes tchétchènes
Israpil Shovkhalov et
Abdulkhazhi Duduev vivent au rythme des menaces anonymes, des intimidations et agressions physiques de leurs proches, et d’une surveillance constante. Les correspondants locaux de
Dosh ne sont pas en reste : le 1er août 2014,
Timour Kouachev est retrouvé mort à Naltchik, capitale de la Kabardino-Balkarie. Nombreuses sont les personnes interrogées par les courageux correspondants de
Dosh, qui refusent de donner leur nom par peur de représailles.
L’urgence de sécurité
En novembre 2014, Reporters sans frontières a
demandé à la communauté internationale de nommer un Conseiller spécial auprès du secrétaire général des Nations unies afin d’assurer la mise en oeuvre effective de la nouvelle résolution sur la sécurité des journalistes adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies. Dans le sillage de la résolution adoptée le 18 décembre 2013, le texte inclut les “particuliers” et les “organisations” effecutant un travail d’information, réaffirme que la protection vaut en temps de guerre comme en temps de paix, dénonce l’augmentation des attaques à l’encontre des professsionnels des médias dans le monde et appel au renforcement de la lutte contre l’impunité par les Etats.
L’organisation rappelle que
66 journalistes ont été assassinés en 2014, portant à 720 le nombre total de journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions en dix ans.