Des groupes de jeunes Ivoiriens ont saisi et détruit des exemplaires de plusieurs journaux d'opposition, quelques jours après qu'un mouvement se réclamant de la « légalité constitutionnelle » avait appelé ses militants à les « extraire du marché ».
Des groupes de jeunes Ivoiriens ont saisi et détruit des exemplaires de plusieurs journaux d'opposition, quelques jours après qu'un mouvement se réclamant de la « légalité constitutionnelle » avait appelé ses militants à les « extraire du marché ».
Reporters sans frontières s'inquiète de la campagne de censure, de destruction et d'intimidation qui s'étend en Côte d'Ivoire à l'encontre de certains journaux de l'opposition, après que plusieurs témoignages concordants ont signalé des « descentes » de jeunes Ivoiriens contre des vendeurs de rue à Abidjan.
Ces violences commencent à être recensées trois jours après l'appel lancé par la Fédération nationale des agoras et parlements de Côte d'Ivoire (Fenapci), un mouvement de défense de la « légalité constitutionnelle », demandant d'« extraire du marché » tous « les journaux qui font l'apologie de la rébellion et du G7 » - une coalition regroupant plusieurs mouvement d'opposition -, et ce « jusqu'au désarmement ».
« Nous ne pouvons que nous élever contre ces raids illégaux, a déclaré Reporters sans frontières. Tolérer une telle censure politique, c'est encourager le règne de l'arbitraire. Nous ne doutons pas que le gouvernement ivoirien va prendre des mesures pour sanctionner les agissements de ces groupes et garantir le pluralisme de la presse ivoirienne. L'article 9 du Chapitre premier de la Constitution stipule en effet que la liberté de pensée et d'expression est 'garantie à tous, sous la réserve du respect de la loi, des droits d'autrui, de la sécurité nationale et de l'ordre public'. »
« Quant aux initiateurs de ces actes de censure par vandalisme, ils devraient y mettre fin immédiatement puisqu'ils se réclament de la 'légalité constitutionnelle' », a ajouté l'organisation.
Une campagne annoncée
Ces « opérations coup de poing » étaient annoncées. Réunis en assemblée générale extraordinaire le 23 octobre à l'hôtel communal de Cocody, les militants de la Fenapci ont décidé qu'une campagne de censure par la violence serait lancée dans la matinée du 25 octobre. Interviewé par le quotidien L'Intelligent d'Abidjan, Idriss Ouattara, président de la Fenapci, avait expliqué que ses « camarades » et lui-même ne pouvaient « plus accepter que ces journaux continuent de polir l'image des rebelles et du G7 dans notre camp » et qu'ils ne voulaient « plus voir ces journaux-là ».
Or, le 26 octobre, à partir de 7 heures 30, plusieurs groupes d'individus se présentant comme des membres de la « société civile » se sont attaqués à des vendeurs de journaux des quartiers de Yopougon, Port-Bouët, Adjamé, La Riviera et Cocody. Après avoir menacé les commerçants en les enjoignant de ne plus vendre Le Patriote, Le Nouveau Réveil, Le Front, 24 Heures ou Jour plus, ils ont déchiré tous les exemplaires qu'ils trouvaient.
Interrogées par Reporters sans frontières, les rédactions du Patriote, du Front, du Nouveau Réveil et de 24 Heures ont confirmé plusieurs agressions, particulièrement nombreuses dans le quartier de Yopougon, « fief » de la Fenapci. Le quotidien Le Patriote affirme que deux revendeurs, Lamine Tierno et Apollinaire Kouassi, ont été sévèrement battus.
« Ils m'ont dit de ne pas vendre certains journaux, a raconté Diallo, un vendeur de Port-Bouët interrogé par Reporters sans frontières. J'en ai demandé la raison. Ils m'ont alors dit que je m'entêtais et ont tout déchiré. » Un groupe identique s'est présenté à 8 heures à un vendeur de Codody. « Ils sont arrivés et se sont mis à déchirer des titres proches de l'opposition ainsi que d'autres journaux indépendants, a-t-il expliqué. Ils ne m'ont pas donné de raison. C'est par la suite que j'ai compris qu'ils s'en prenaient aux titres qu'ils jugent proches des Forces Nouvelles. »
L'un de ces « civils », rencontré dans une rue d'Abidjan, a expliqué à Reporters sans frontières que l'opération était baptisée « Journaux pro-rebelles hors du circuit de la vente ». « Les journaux déchirés font l'apologie des rebelles qui refusent de déposer les armes, a-t-il affirmé. Il n'est pas normal que des journaux continuent de les soutenir à travers des articles suscités par ceux qui ont décidé de brûler la Côte d'Ivoire. Cette action n'est que le début d'autres actions plus vigoureuses, qui seront lancées dans les jours à venir », a-t-il conclu.
Face à cette menace, le 25 octobre, la société de diffusion Edipresse avait décidé de suspendre la distribution des journaux dans les villes d'Agboville (nord d'Abidjan), Gagnoa et Soubré (Sud-Ouest).