Censure : les géants du Net entre soumission et collaboration active

En novembre 2016, le New York Times révélait le développement par Facebook, en toute confidentialité et avec l’appui de son fondateur Mark Zuckerberg, d’un logiciel permettant de censurer des messages du fil d’information des utilisateurs, en fonction de leur localisation géographique. Selon les témoignages d’employés de la compagnie américaine, Facebook souhaite pouvoir répondre aux exigences du régime chinois en matière de censure. Avec cet outil, la compagnie viserait son retour sur le marché chinois dont elle avait été expulsée sept ans plus tôt, durant les révoltes de la minorité ouïghoure au Xinjiang, qui utilisait Facebook pour diffuser des informations sur la répression des émeutes.

La firme californienne suscite des inquiétudes à cause de sa collaboration active avec certains États, de la suppression de contenus journalistiques et pour sa politique opaque de « modération » des contenus. À titre d’exemple, la fan page du site d’informations ARA News a été bloquée en décembre dernier par Facebook, et ce pendant plusieurs jours et sans aucune explication. Ce média publie généralement des informations sur la Syrie, l’Irak, la Turquie et le Moyen-Orient et dit attirer des milliers de visiteurs par jour sur sa page Facebook.


En Thaïlande, le caricaturiste Stephff, réputé pour ses dessins incisifs, a constaté la suppression de son compte juste après y avoir publié une caricature des réseaux sociaux, dont Facebook. En juin de la même année, le compte de David Thomson, journaliste de RFI spécialiste du djihadisme, a connu le même sort, pour une photo laissant entrevoir le drapeau du groupe État islamique. Le journalisteKevin Sessums et la photo de la petite fille vietnamienne blessée par le napalm figurent parmi les nombreux cas de censure arbitraire soldés à chaque fois par le rétablissement du contenu ou du compte, la levée de l’interdiction de publier et le même message d’excuses : « Nous sommes désolés de cette erreur. Le message a été enlevé par erreur et restauré dès que nous avons pu enquêter. Notre équipe traite des millions de rapports chaque semaine, et parfois nous commettons des erreurs ».

“Parfois, nous commettons des erreurs ”


Les autres géants du Net ne sont pas en reste. Twitter a été accusé de censure de journalistes à plusieurs reprises en 2016. C’est aussi en Turquie que Twitter a décidé d’utiliser, en 2014, son outil de gestion locale des contenus interdisant l’accès à un compte ou à un tweet depuis une connexion turque.
En Turquie, le réseau social, qui affirme sur son site ne prendre en compte que les requêtes « valides et correctement définies » a tôt fait d’appliquer des ordonnances rendues quelques jours seulement après la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier, en censurant pas moins d’une vingtaine de comptes de journalistes et de médias. La majorité des comptes censurés sont ceux des anciens reporters et éditeurs du quotidien Zaman Amerika. La liste comprend également un journaliste kurde, @AmedDicleT, suivi par 186 000 followers, le quotidien kurde Özgür Gündem (@ozgurgundemweb1), et même le compte officiel de l’agence de presse kurde DIHA (@DicleHaberAjans).




Plus récemment, en janvier 2017, la firme Apple a elle aussi fait l’objet d’une controverse quand leNew York Times a annoncé que les versions anglaise et chinoise de son application avaient été retirées de l’iTunes store à la demande de l’Administration du cyberespace en Chine (CAC), l’organe officiel de contrôle de l’Internet du Parti communiste chinois. L’autocensure de l’iTunes store avait déjà été constatée peu de temps après l’implantation de sa première boutique en Chine en 2008.


Depuis, de nombreuses applications comme celles sur le Dalaï Lama et les sujets tabous dans le pays ont été bloqués par Apple. Fin 2015, un entrepreneur américain a, lui, constaté le blocage de l’application « News » alors qu’il se rendait en Chine continentale depuis Hong Kong.


La politique d’Apple ne concerne pas exclusivement la Chine.
En septembre 2015, la firme a bloqué l’application de Josh Begley, journaliste pour The Intercept, qui recensait toutes les attaques de drones lancées par les États-Unis, ainsi qu’une autre concernant la tuerie survenue à Ferguson, dans l’État du Missouri.

>> II - LE COMMERCE DOUTEUX MAIS LUCRATIF DE LA SURVEILLANCE


Publié le
Updated on 12.03.2017