Censure des chaînes de télévision : le "gouvernement se place dans l'illégalité"

Reporters sans frontières appelle le ministère afghan de l’Intérieur à revenir sur sa décision d’"interdire aux médias la couverture en direct des attaques des taliban, estimant que les informations données en temps réel par les journalistes pouvaient être utilisées par les insurgés pour coordonner leurs actions". Dans ce sens, l'organisation soutient l'initiative du ministère afghan de la Culture de réunir le 6 mars les médias et les responsables de la sécurité pour trouver une issue à cette crise. "Nous comprenons tout à fait que la protection des civils soit la priorité de l’Etat. Cependant, nous mettons en avant le droit de la population à être informée sur les opérations en cours et nous nous inquiétons d’une mesure qui ne peut que conduire à une couverture biaisée du conflit. Dans les intentions du ministère de l'Intérieur, nous ne pouvons voir qu’une manière déguisée de maquiller la réalité du conflit et de masquer les événements au désavantage du gouvernement afghan et des forces alliées", estime l’organisation. Le 2 mars dernier, le responsable du centre de presse du gouvernement, Hakim Ashir, a confirmé l’information selon laquelle le ministre de l’Intérieur a décidé d’interdire aux médias la couverture des attaques de taliban en temps réel. "Ce genre de couverture met en danger la vie des journalistes et donne un énorme avantage tactique aux forces ennemies", a affirmé Hakim Ashir. Le chef de la section de police criminelle de Kaboul, Abdolghafar Seidzadeh, a précisé que cette décision avait été prise par le Conseil de sécurité nationale, que la couverture des attaques militaires en direct relevait du secret d’Etat. La mesure concerne tous les médias, locaux et internationaux. Interrogé par Reporters sans frontières, Abdul Qadeer Merzai, directeur de l'information pour la chaîne Ariana, a déclaré : "Selon les lois afghanes, le peuple a droit à une information claire, transparente et correcte. Nous soutenons toutes les décisions utiles pour préserver la vie des citoyens et les journalistes, mais si le but est de nous censurer ou de porter atteinte à la liberté d’expression et les lois, nous sommes résolument opposés." De son côté, Mojahed Kaker, directeur de l'information de Tolo TV, a précisé que la chaîne avait "protesté contre cette décision, envoyée par le ministère de l'Intérieur et le Conseil de sécurité nationale car elle est contraire à la Constitution et à la loi sur les médias qui garantissent le libre accès aux informations. Bien entendu, notre chaîne n'accepte pas une réglementation illégale et limitant la liberté d’expression." Cette récente décision du gouvernement a été prise après l’attaque sanglante menée par les forces taliban dans le centre-ville de Kaboul, le 27 février, qui a fait 17 morts, dont un réalisateur français. L’opération suicide montrait la faiblesse du régime et la capacité des insurgés à frapper en plein cœur de la capitale. Plusieurs journalistes qui, sur place, couvraient les événements, ont été interpellés et leur matériel confisqué. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement afghan s’efforce de censurer le travail des journalistes sur le conflit. En août 2009, lors de la campagne électorale de l'élection présidentielle, le gouvernement avait demandé aux médias de ne pas mentionner la vague de violence qui s’étendait dans tout le pays, même dans les zones les plus contrôlées, "au regard du besoin de s’assurer d’une large participation du peuple afghan, et afin d’éviter toute violence liée aux élections". L’injonction du ministère de l’Intérieur interdisait formellement toute mention d’attaque terroriste et demandait aux reporters de se tenir éloignés du lieu de toute attaque terroriste. Et en juin 2006, les services secrets afghans (NSD) avaient convoqué une dizaine de médias afghans pour leur dicter la conduite à tenir, avant qu’une liste de sujets interdits ne soit envoyée aux principales rédactions. Par ailleurs, Reporters sans frontières a, à plusieurs reprises, dénoncé le harcèlement des forces de l’ordre contre les professionnels de la presse quand ils tentent de couvrir les opérations militaires et les accrochages entre groupes armés.
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Updated on 20.01.2016