Un nouveau projet de loi visant à renforcer la censure d’Internet a été introduit au Parlement turc, le 20 janvier 2014. Ces dispositions sont très proches de celles qui avaient déjà été votées en septembre dernier et annulées par la Cour constitutionnelle un mois plus tard.
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Le gouvernement turc persiste et signe : il tient à renforcer la censure d’Internet, même au mépris de
la Cour constitutionnelle. En octobre 2014, la juridiction suprême avait reconnu inconstitutionnel
un amendement adopté par le Parlement un mois plus tôt, qui permettait aux autorités de bloquer plus facilement des sites internet sans décision de justice. Des députés du parti au pouvoir AKP viennent pourtant de
soumettre au Parlement un texte presque identique.
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Cette insistance à faire voter un amendement qui ressemble à s’y méprendre à un texte déclaré inconstitutionnel il y a quelques mois est choquante, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières.
Nous appelons les députés à faire preuve de respect envers les institutions si ce n’est envers la liberté de l’information, et à rejeter ce texte. Nous réitérons notre appel à abolir complètement toute possibilité de blocage administratif, conformément aux recommandations du rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.”
Depuis février 2014, la Haute instance des télécommunications (TIB) peut déjà ordonner le “blocage préventif” de sites Internet en cas d’”atteinte à la vie privée” ou de contenus “discriminatoires ou insultants”. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ont quatre heures pour mettre en œuvre cette mesure. Un juge, saisi dans les 24 heures par la TIB, est censé valider le blocage dans les 48 heures. Aucun dépôt de plainte n’est nécessaire.
Le nouveau texte reprend dans sa quasi-totalité l’amendement annulé par la Cour constitutionnelle en octobre : il autorise les “blocages préventifs” par la TIB en cas d’”atteinte à la sécurité nationale”, pour “protéger l’ordre public” ou pour “prévenir la commission d’un crime”. Il élargit encore cette liste en y ajoutant la nécessité de protéger la “santé publique”.
La principale nouveauté de ce projet de loi est qu’il autorise tous les ministres, y compris le chef du gouvernement, à prendre l’initiative de tels blocages préventifs en cas “d’urgence”. La version de septembre, conformément au dispositif déjà en place, n’octroyait ce pouvoir qu’au directeur de la TIB ou au ministre des Transports, des Affaires maritimes et de la Communication. Cette subordination renforcée de la TIB à l’exécutif est cohérente avec la reprise en main actuelle de l’institution dans le cadre de la lutte contre les partisans de Fethullah Gülen, nouvel ennemi numéro un du président Recep Tayyip Erdogan.
Une large opération de police a d’ailleurs été lancée contre la TIB, le jour même de l’introduction de ce projet de loi. L’institution administrative, réputée très infiltrée par la confrérie Gülen, est accusée d’avoir mis sur écoute plusieurs hommes politiques et hauts fonctionnaires, dont le président lui-même et le Premier ministre Ahmet Davutoglu.
Après le blocage de YouTube et Twitter en mars 2014, plusieurs décisions de justice successives ordonnant à la TIB de restaurer l’accès aux deux plateformes avaient d’abord été ignorées. La Cour constitutionnelle avait fini par ordonner elle aussi le déblocage de Twitter et YouTube au nom de la liberté d’expression. Mais même sa décision avait été appliquée avec retard.
La Turquie occupe la 154e place sur 180 dans le
Classement mondial 2014 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.