Lettre commune au Parlement européen pour l’adoption d’une résolution sur la situation en Hongrie
Membre du Parlement européen,
Rue Wiertz
1047 Brussels
25 Avril 2017,
Chers membres du Parlement européen,
Au regard de la situation en Hongrie, nous sollicitons votre intervention afin de soutenir la société civile, la liberté de la presse, la liberté académique ainsi que l’Etat de droit et les droits fondamentaux en Europe.
Attaques visant les universités indépendantes et les organisations de la société civile.
Nous sommes inquiets face aux récentes initiatives du gouvernement hongrois visant à stigmatiser, à entraver le travail des organisations de la société civile et menaçant l’Université d’Europe Centrale(CEU). Ces évolutions auront sans aucun doute des répercussions négatives sur la société hongroise, ainsi que sur les droits de l’Homme et l’Etat de droit en Hongrie. Ces actions sont contraires aux principes fondamentaux de l’Union Européenne, inscrits dans l’article 2 du traité de l’Union Européenne (TUE).
Nous sommes particulièrement préoccupés par le projet de loi sur la transparence des organisations financées par l’étranger (T/14967), soumis au Parlement hongrois le 7 Avril 2017 et actuellement en débat. Cette loi est inutile puisqu’il existe déjà une législation qui assure la transparence et la responsabilité des ONG. Elle a un effet discriminatoire, puisqu’elle cible certaines organisations de la société civile, et exempte des associations sportives ou religieuses.
La loi obligerait les ONG qui reçoivent des financements de plus de 7 200 000 HUF par an de l’étranger (environ 24 000 euros), à s’enregistrer comme “organisation civique financée par l'étranger”. Cela comprend des financements en provenance de l’Union européenne mais non gérés par une institution hongroise. Les organisations qui ne se conformeraient pas à la nouvelle loi, s’exposeraient à des sanctions voire leur dissolution. Sous des allures d’initiative prétendant protéger les intérêts hongrois, cette loi, calquée sur le modèle de la loi russe sur les agents de l’étranger que l’Union européenne et les experts du droit international ont décriée comme un outil pour faire taire la société civile, aurait en réalité l’effet inverse. En effet, elle minimiserait les organisations de la société civile indépendantes qui protègent les droits de l’Homme et offrent de précieux services à la société. Cette situation est particulièrement préoccupante à un moment où les autres contre-pouvoirs ont été significativement affaiblis en Hongrie.
Les déclarations des représentants du gouvernement hongrois sur les organisations de la société civile –qui plus est dans le contexte de la consultation “Let’s Stop Brussels” (“Arrêtons Bruxelles“) – prouvent une nouvelle fois l’intention du gouvernement de stigmatiser et d’intimider des groupes indépendants ainsi que de nuire à leur réputation. La consultation accuse les ONG internationales, ayant des activités en Hongrie « d’interférer dans les affaires internes du pays […] d’une manière non transparente » ainsi que d’inciter « des personnes issues de l’immigration illégale […] à commettre des actes illégaux ». De plus, l’objectif affiché du projet de loi, crée un raccourci préjudiciable entre le blanchiment d’argent, le terrorisme et les organisations de la société civile en Hongrie recevant des financements étrangers.
Les organisations de la société civile, font partie intégrante d’une plus large société civile. Assurer un environnement favorable à l’épanouissement de la société civile, est une obligation au regard du droit international relatif aux droits de l’Homme. Une société civile vivante et indépendante qui contribue à consolider l’Etat de droit et les droits de l’homme, ainsi qu’à engager la responsabilité de l’action publique est un élément essentiel de l’Etat de droit.
Des violations répétées des droits des demandeurs d’asile et des migrants.
En ce qui concerne la question des migrants, la dernière loi adoptée le 7 mars, rend possible la rétention de presque tous les demandeurs d’asile – comme les mineurs de plus de 14 ans -en vertu de leur statut de migrants, dans des zones de transit frontalières pendant toute la durée de leur procédure d’asile et des appels. Elle autorise également à repousser –expulsion sommaire-, toute personne en situation irrégulière sur le territoire hongrois.
Ces mesures violent les droits des demandeurs d’asile et des migrants qui entrent sur le territoire hongrois. Elles violent la directive européenne sur les conditions d’accueil, les lois internationales sur les réfugiés, ainsi que la Convention européenne des droits de l’Homme, et constituent un risque de violation grave par un Etat membre des valeurs fondamentales de l’UE, consacrées par l’article 2 du TUE.
Atteintes à la liberté de la presse
Enfin, depuis l’arrivée au pouvoir fin 2010 de Viktor Orbán, le gouvernement hongrois n’a cessé d’étendre son contrôle sur les médias. Les atteintes au pluralisme des médias et à la liberté de la presse ont pris différentes formes. Il existe une loi qui limite sévèrement la liberté d’expression et a des effets néfastes sur la liberté des médias, accroît le contrôle du gouvernement sur les médias publics, les pressions économiques sur les médias privés, créant ainsi une censure économique et de l’autocensure.
La dernière attaque majeure contre les médias remonte au mois d’octobre 2016 avec la fermeture brutale du principal quotidien d’opposition Népszabadság et de son site Web. Bien que le propriétaire du titre ait justifié cette fermeture par de mauvaises ventes, cette décision de réduire au silence le principal journal d’opposition est clairement apparue dans les semaines suivantes comme une stratégie politique.
Une résolution du parlement européen nécessaire
En vue du débat au Parlement européen sur la situation de la Hongrie, le mercredi 26 Avril, nous appelons à une réponse forte et efficace, critiquant les attaques répétées du gouvernement hongrois envers les institutions indépendantes telles que les institutions universitaires, les organisations de la société civile et les médias. Ces attaques violent clairement les standards européens et internationaux en matière d’Etat de droit et de droits de l’Homme et doivent être sévèrement condamnées.
La gravité de la situation actuelle et l’ampleur des mesures récemment introduites justifient l’adoption d’une résolution par le Parlement Européen sur la situation en Hongrie. Elles complètent un tableau déjà sombre en Hongrie, où les contre-pouvoirs démocratiques ont été sévèrement minés et où l’Etat de droit est sérieusement menacé.
Alors que les problèmes qui ont conduit à l’adoption par le Parlement européen entre 2011 et 2015 de plusieurs résolutions visant la Hongrie n’ont pas été totalement résolus ; de nouvelles violations comme celles précédemment citées ont lieu. Les récents événements ne doivent pas être traités de manière isolée, mais à la lumière d’un recul persistant de l’Etat de droit et des droits de l'Homme depuis plusieurs années. En Hongrie, le gouvernement s’attaque aujourd’hui de manière ciblée à différents groupes de la société, ce qui a des conséquences sur des personnes déjà marginalisées et défavorisées. Les protections constitutionnelles ont été affaiblies et les institutions indépendantes risquent de tomber sous le contrôle du gouvernement. Cela conduit à une situation de menace persistante de l’Etat de droit en Hongrie, et dans laquelle les garde-fous de l’Etat de droit, supposés garantir son respect à un niveau national, ne semblent plus capables de répondre aux menaces.
Une nouvelle résolution du Parlement européen devrait appeler les autorités hongroises à abroger l’amendement réformant l’éducation supérieure, promulgué le 10 Avril et aussi connu sous le nom de Loi CEU. De plus, le Parlement européen devrait condamner fermement le projet de loi sur les ONG et encourager le Parlement hongrois à rejeter cette loi, qui représente une menace pour la société civile en Hongrie.
Le Parlement doit reconnaître que les récents événements ont été précédés d’autres atteintes à l’équilibre des pouvoirs et mesures de restriction des droits de l’Homme en Hongrie. Ils constituent une menace systémique envers l’Etat de droit . le Parlement doit exhorter la Commission à faire de même.
La Commission doit tenir ses engagements et persévérer dans l’étude des potentielles violations du droit communautaire perpétrées en Hongrie ainsi qu’à engager une procédure pour infraction, prévue à l’article 258 du TUE, et tout particulièrement lorsqu’il existe une violation manifeste du droit européen ou du droit d’asile. Le Parlement européen, doit de manière urgente demander la réalisation d’une étude par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, sur la conformité des lois hongroises avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Mais comme le souligne la Commission, s’assurer de cette conformité ne suffira pas à mettre fin à ces abus, surtout lorsque l’Etat de droit est en danger. Le Parlement doit donc avant toute chose, exhorter la Commission à jouer pleinement son rôle de gardienne des traités et au moins placer la Hongrie sous la surveillance des dispositifs européens afin de renforcer l’Etat de droit.
Nous demandons aussi au Parlement européen de montrer le chemin et de s’engager à déposer une proposition raisonnée auprès du Conseil Européen, demandant l’activation des mécanismes préventifs prévus par l’article 7 du TUE, afin de protéger les valeurs fondamentales de l’Union Européenne garanties par l’article 2 du TUE.
Enfin, nous appelons le Parlement européen à encourager une nouvelle fois le Conseil de l’Union Européenne, à mettre la situation de la Hongrie à son agenda et à en tirer les conclusions nécessaires à la lumière du droit communautaire et de l’article 2 du TUE. En accord avec les principes fondamentaux de l’UE, nous vous encourageons à vous assurer que tous les membres de l’UE soutiennent la société civile, à travers la promotion de sociétés ouvertes, respectant les droits de l’Homme et l’Etat de droit. Les institutions européennes devraient toutes jouer leur rôle en soutenant la société civile en Europe.
Respectueusement,
Julie Majerczak
Directrice du bureau de Bruxelles
Reporters Sans Frontières
Dan Van Raemdonck
Secrétaire Général
FIDH
Fédération internationale des droits de l'Homme
Dominique Guibert
Président
AEDH
Association Européenne pour la Défense des droits de l'Homme
Iverna McGowan
Directrice du Bureau auprès des institutions Européenne et du plaidoyer.
Amnesty International
Natacha Kazatchkine
Analyste politique senior
Open Society European Policy Institute
Philippe Dam
Directeur du plaidoyer pour l'Europe et l'Asie centrale
Human Rights Watch