Brutalités policières, décrets arbitraires et prisons insalubres : le Puntland, une zone à haut risque pour les journalistes
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Reporters sans frontières et son organisation partenaire en Somalie, l'Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ), expriment leur grave préoccupation face au « comportement scandaleux et à la férocité zélée » dont fait preuve la police de la région autonome du Puntland (Nord-Est) envers la presse indépendante. Les deux organisations sont particulièrement révoltées par les conditions de détention déplorables à la prison de Bossasso, dont la dénonciation par un journaliste de la radio privée Somalia TV Network (STN) lui a valu une nouvelle incarcération arbitraire et de graves violences physiques, à la fin du mois de septembre 2005.
« En dépit de nos appels répétés, l'actuel président du gouvernement fédéral de transition, Abdullahi Yusuf Ahmed, n'a pas réussi à faire régner le droit dans la région où il conserve pourtant une influence majeure. Pourtant, il y a urgence. Les deux principales villes du pays, Garowe et Bossasso, sont devenues des zones à haut risque pour les journalistes. Les autorités n'ont aucun scrupule à museler la presse qui leur déplaît. S'il ne veut pas que ses engagements démocratiques perdent tout crédit sur la scène internationale, le président Abdullahi Yusuf Ahmed ne peut plus ignorer la dégradation de la situation de la liberté de la presse dans son fief », ont déclaré Reporters sans frontières et la NUSOJ.
Pour la deuxième fois cette année, Awale Jama Salad, rédacteur en chef de STN, a été arrêté le 26 septembre 2005 à Bossasso, maltraité et détenu pendant 48 heures dans des conditions dégradantes. Interpellé après avoir rendu compte de sa précédente incarcération, au mois de juillet, sur les ondes de la STN, le journaliste a été battu à coups de poing par des policiers, avant d'être transféré, le lendemain, au siège des services de renseignements, le Puntland Intelligence Service (PIS). Auparavant, le directeur de la radio, Abdisarak Shek Adun, avait tenté de lui rendre visite au commissariat, mais avait été menacé d'arrestation s'il s'avisait de revenir.
Awale Jama Salad et Abdisarak Shek Adun avaient tous deux été arrêtés le 30 juin et maintenus en détention pendant près de deux semaines, suite à la diffusion par STN d'une interview de l'un des candidats à la mairie de Bossasso. Selon des sources locales, plusieurs membres du conseil municipal avaient été arrêtés après avoir fait diffuser des communiqués sur les ondes de STN. Les deux journalistes avaient été relâchés le 12 juillet, suite à une grâce présidentielle.
Au cours de sa deuxième détention au siège du PIS, Awale Jama Salad était détenu dans une pièce étroite et étouffante, en compagnie de 70 détenus de droit commun, dont des suspects de meurtre, vol et trafic de drogue. Dans cette cellule, où les toilettes ne sont pas isolées du reste de la pièce, les rations alimentaires sont distribuées en nombre insuffisant pour alimenter tous les détenus et certains se battent pour un repas. Le seul point d'eau est la tuyauterie des toilettes. Le journaliste avait finalement été relâché grâce à la pression des organisations nationales et internationales, le 28 septembre.
« La détention illégale d'Awale Jama Salad et les mauvais traitements dont il a été victime sont des actes inqualifiables, destinés à envoyer un message clair aux journalistes, afin qu'ils atténuent leurs critiques des responsables du gouvernement, de la police et de l'administration, estime le secrétaire général de la NUSOJ, Omar Faruk Osman. Dans ce contexte, la seule alternative pour les journalistes est de chanter les louanges des autorités ou d'aller supporter les odeurs fétides de la prison. »
Avant que les autorités ne s'en prennent à la STN, un hebdomadaire d'opposition avait été réduit au silence. Le 20 avril, les forces de sécurité du Puntland avaient arrêté deux journalistes de Shacab (La Voix du peuple). Abdirashid Qoransey et son rédacteur en chef Abdi Farah Nur, après avoir été incarcérés et jugés, avaient finalement été acquittés quelques jours plus tard. Ils étaient accusés « d'incitation à la violence et d'insulte au Président », suite à la publication de deux articles critiquant les autorités. Le 28 avril, des représentants du gouvernement et du ministère de l'Information avaient effectué plusieurs visites à la rédaction de Shacab au sujet des autorisations de licence et du paiement de taxes supposées impayées, menaçant par la même occasion de fermer le journal. Ce fut chose faite, le 5 mai, par un décret du vice-président du Puntland, Hassan Dahir Afqurac, selon lequel « les articles publiés récemment dans Shacab étaient à l'origine d'une crise qui aurait pu déboucher sur des violences ». Craignant une incarcération, Abdi Farah Nur a fui le pays.
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Updated on
20.01.2016