Black-out médiatique pour l'opposition : le pays de Robert Mugabe, « zone grise » de la liberté de la presse en Afrique

Le ministre zimbabwéen de l'Information, Jonathan Moyo, a décrété que le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) se verrait interdire l'accès aux médias d'Etat pour cause de "déloyauté", alors que des élections générales doivent se tenir l'année prochaine. Après plusieurs années de répression de la presse indépendante, le Zimbabwe du président Robert Mugabe s'affirme de plus en plus comme l'un des pays d'Afrique les plus fermés au droit à l'information.

Après plusieurs années de répression de la presse indépendante, le Zimbabwe du président Robert Mugabe s'affirme de plus en plus comme l'un des pays d'Afrique les plus fermés au droit à l'information. Le 3 octobre, en tournée en province, le ministre de l'Information, Jonathan Moyo, a déclaré que le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) se verrait interdire l'accès aux médias d'Etat, alors que des élections générales doivent se tenir l'année prochaine. « Jusqu'à ce que nous ayons une opposition loyale, a déclaré le ministre, il lui sera impossible d'accéder aux médias publics. » « Une fois de plus, un membre éminent du gouvernement de Harare, qui est allé jusqu'à qualifier de 'terroristes' les journalistes étrangers, démontre que le Zimbabwe est entré dans une période de censure tous azimuts, a déclaré Reporters sans frontières. En interdisant l'accès aux médias publics au MDC, le ministre de l'Information prouve que la presse officielle est reléguée au rôle de simple porte-voix des autorités. Quant aux rares journalistes zimbabwéens qui ont le courage de faire preuve d'indépendance, ils sont systématiquement opprimés par l'appareil policier ou judiciaire, même si, à force de lutter pacifiquement contre un pouvoir dictatorial, ils remportent quelques victoires que nous saluons », a ajouté l'organisation. « Nous exhortons l'Afrique du Sud, l'un des derniers pays à pouvoir encore parler avec le gouvernement du Zimbabwe, à lui demander, au moins, de respecter ses propres engagements, a conclu Reporters sans frontières. Harare a en effet ratifié le protocole sur les principes et les règles régissant les élections démocratiques de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). Entre autres, la décision du ministre viole l'article 2.1.5 du protocole, qui garantit 'l'opportunité égale pour tous les partis politiques d'accéder aux médias publics'. Il va sans dire que le bannissement des médias publics de l'opposition, les propos menaçants et le harcèlement judiciaire de la presse indépendante contreviennent gravement aux engagements pris publiquement par le Zimbabwe devant ses partenaires de l'Afrique australe. » Traqués pour avoir écrit la vérité Cette décision arbitraire n'est pas le premier coup d'éclat de Jonathan Moyo, le ministre d'Etat à l'origine d'une loi ultrarépressive contre la presse, en 2002. Le bras droit du président Mugabe avait déjà qualifié, en mai, les correspondants étrangers de « terroristes » avant d'obtenir le licenciement de trois journalistes du quotidien The Herald qui collaboraient également à la Voix de l'Amérique (VOA), sous prétexte qu'ils représentaient une « menace pour la sécurité nationale ». Le 1er octobre, Jonathan Moyo avait en outre tenu des propos menaçants envers les journalistes qui collaborent à des médias non zimbabwéens et qui seraient, selon lui, « prêts à être utilisés par les forces coloniales pour détruire le pays en rapportant des mensonges ». Dans ce contexte, la presse indépendante n'a que plus de mérite à continuer de paraître, bien que les autorités fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour la faire taire. Après les interminables procédures qui ont contraint le Daily News à cesser de paraître, puis à mener une guérilla judiciaire qui semble sur le point de se terminer en sa faveur, c'est au tour du Zimbabwe Independent de faire l'objet des attaques du ministre Moyo. Le 23 septembre, trois journalistes de ce quotidien privé ont ainsi été interpellés et inculpés pour avoir « abusé du privilège journalistique ». Vincent Kahiya, rédacteur en chef, Raphael Kumalo, directeur de la société éditrice, et la journaliste Augustine Mukaro ont passé une journée en détention après la parution d'un article, le 30 juillet, affirmant que les deux assesseurs du procès de l'opposant Morgan Tsvangirai avaient exigé le report du verdict, afin de pouvoir rendre leur avis sur la décision du juge Paddington Garwe, conformément à la loi. Morgan Tsvangirai, leader du MDC, est accusé d'avoir comploté l'assassinat du président Mugabe. Le verdict a, de fait, été reporté au 15 octobre. Le 10 janvier, l'ancien directeur de la publication Iden Wetherell, le rédacteur en chef Vincent Kahiya, et les deux journalistes Dumisani Muleya et Itai Dzamara, avaient été arrêtés et détenus plusieurs jours sur ordre de Jonathan Moyo après la publication d'un article sur la « réquisition » par le président Mugabe d'un avion d'Air Zimbabwe, lors de ses vacances en Asie. Or, le 1er octobre, le ministre de l'Information a été la cible des critiques publiques d'une éminente avocate zimbabwéenne. S'exprimant devant un collège de magistrats, Me Edith Mushore a accusé Jonathan Moyo d'avoir fait preuve d'un « excès de zèle » qui aurait pu « gêner le Président ». De l'aveu même du ministre, il s'est en effet avéré que l'histoire rapportée par le Zimbabwe Independent était vraie. En désespoir de cause, Jonathan Moyo avait alors estimé qu'à défaut d'être « diffamante », la publication d'une histoire vraie concernant le président Mugabe était à tout le moins « blasphématoire ».
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Updated on 20.01.2016