Il y a dix ans, les opposants politiques vietnamiens ou tunisiens imprimaient des tracts dans leurs caves.
Ils distribuaient ensuite leur prose à quelques poignées de compagnons de lutte lors de réunions clandestines. Les journaux indépendants se limitaient à des photocopies agrafées à la hâte et distribuées sous le manteau. Aujourd'hui, les informations "subversives" ou "contre-révolutionnaires" circulent sur Internet. Les dissidents et les journalistes sont devenus des "cyberdissidents" et des "cyberjournalistes". Ils savent monter un blog, organiser un chat, téléphoner par Internet ou utiliser un proxy pour contourner la censure. Les nouvelles technologies leurs permettent de recevoir et de partager des informations en s'affranchissant du contrôle des autorités. Le Web est également une bénédiction pour les organisations spécialisées dans les droits de l'homme. Alors qu'il fallait des semaines, parfois des mois, pour documenter le cas d'un prisonnier d'opinion, les informations s'obtiennent désormais en quelques clics.
Internet facilite la création de réseaux, pour les adolescents comme pour les militants politiques.
Malheureusement, si ces derniers progressent et se saisissent des nouvelles fonctionnalités offertes par
Internet, les dictateurs eux aussi sont entrés dans l'ère du Web 2.0...
Soixante personnes sont actuellement emprisonnées pour avoir publié sur le Net des textes critiques
envers les autorités.Avec cinquante personnes derrière les barreaux, la Chine reste de loin la plus grande
prison du monde pour les cyberdissidents. Mais la méthode chinoise a fait des émules : quatre personnes
sont détenues pour les mêmes motifs au Viêt-nam, trois en Syrie, une en Tunisie, en Libye et en
Iran. Les législateurs de ces pays, et leurs cyberpolices, suivent attentivement les évolutions technologiques.
Lorsque les messageries instantanées, de type MSN messenger, sont devenues populaires, la Chine
a demandé aux entreprises qui les commercialisent de bloquer certains mots-clefs. Impossible de parler
du Dalaï Lama ou de l'indépendance de Taïwan en utilisant ces outils, car les messages sont automatiquement
censurés. De même, face au succès de YouTube, la Chine et l'Iran ont rapidement affiché leur volonté
de filtrer les vidéos diffusées sur la Toile.Trop de contenus "subversifs" pour le premier, ou "immoraux"
pour l'autre.Au Viêt-nam, ce sont dans les "chat rooms" que dissidents et policiers jouent désormais
au chat et à la souris.Trois internautes ont ainsi été arrêtés, en octobre 2005, pour avoir parlé de
démocratie sur Paltalk - un site américain permettant d'organiser des réunions à distance. L'un d'entre
eux,Truong Quoc Huy, était toujours incarcéré au 1er janvier 2007.
Des logiciels espions qui filtrent les e-mails
Internet est un réseau qui n'a pas été conçu pour protéger la confidentialité des communications. Cet
outil est rapide et relativement fiable, mais il est également facile à surveiller et à censurer. Au premier
clic sur la Toile, l'internaute laisse des traces et dévoile des informations sur son identité, ses goûts, ses
habitudes. Ces informations sont précieuses pour les sociétés, qui les décortiquent pour mieux cibler
leurs publicités. Elles le sont aussi pour les services de police. Pour surveiller un journaliste il y a encore
quelques années, la méthode la plus efficace était de poster un agent en civil devant chez lui.
Aujourd'hui, la mise sous surveillance se fait à moindre coût. Ce sont des machines qui épient, produisent
des rapports et bloquent automatiquement les conversations subversives. C'est moins cher et plus
efficace.A Cuba, des logiciels espions sont installés sur les ordinateurs des cybercafés. Lorsqu'un internaute
a le malheur de taper des mots interdits dans un e-mail, comme par exemple le nom d'un dissident
connu, il reçoit un message d'alerte lui indiquant que son texte est considéré comme une "menace
pour la sécurité de l'Etat". Quelques secondes plus tard, son navigateur Web se ferme automatiquement...
Les géants de l'Internet complices
Certes, les prédateurs de la liberté d'expression ne sont pas tous égaux devant Internet. La Chine exerce
un contrôle implacable sur les informations produites et téléchargées par les internautes. Elle dispose
en effet d'énormes moyens financiers pour produire ou acheter des technologies de contrôle
d'Internet et s'offrir les services de bataillons de mouchards et de cyberpoliciers. Ce pays dispose surtout
du poids nécessaire pour imposer ses vues aux entreprises étrangères travaillant dans ce secteur.
Yahoo !, Google, Microsoft et autre Cisco Systems ont tous accepté de censurer leurs moteurs de
recherche pour faire disparaître les sites trop critiques envers Pékin. Ce faisant, elles facilitent immensément
la tâche des autorités chinoises, car leurs outils sont les principales portes d'entrée sur le Web. Si
un site d'informations n'est pas référencé par ces moteurs, ses articles seront autant de bouteilles jetées
à la mer.
Tous les Etats n'ont pas les moyens de dicter leurs règles aux multinationales américaines. Mais tous les
régimes autoritaires s'attellent aujourd'hui à la mise en place de systèmes de censure du Réseau. Même
des pays d'Afrique subsaharienne filtrent désormais Internet. Le gouvernement de Meles Zenawi, en
Ethiopie, bloque depuis mai 2006 les sites et les blogs qui le critiquent trop ouvertement. Le Zimbabwe
de Robert Mugabe discute d'une loi qui donnerait aux forces de sécurité la possibilité d'intercepter les
communications électroniques hors de tout contrôle judiciaire. En Thaïlande, l'une des premières décisions
prises par les militaires, suite à leur coup d'Etat, en septembre 2006, a été de censurer les sites
d'informations, même étrangers, qui critiquaient l'attitude de l'armée.
Et lorsqu'un dictateur n'a pas les moyens de censurer efficacement Internet, il peut opter pour une
méthode plus radicale : en Corée du Nord ou au Turkménistan, personne, ou presque, n'accède au
Réseau. D'ailleurs, lorsque le despote local décède, comme ce fut le cas, fin décembre, de Separmourad
Niazov, son successeur entame son règne par une déclaration concernant l'avenir d'Internet. Signe des
temps, c'est du Web que parlent les autocrates lorsqu'ils veulent démontrer le caractère progressiste de
leur régime.
Face à ces dictatures 2.0, les internautes s'organisent et redoublent d'imagination pour contourner les
filtres et protéger leur anonymat. Ils s'approprient ou créent de nouvelles technologies, codent leurs emails,
utilisent les outils qui passent encore sous le radar des cyberpolices. Le développement de Skype,
par exemple, a très certainement facilité les communications entre les journalistes et leurs sources, y
compris pour Reporters sans frontières. Ce système est particulièrement efficace parce qu'il est crypté
et donc, a priori, difficile à mettre sur écoutes. Mais la Chine a déjà passé un accord avec cette société
pour qu'elle bloque certains mots clefs. Dans ces conditions, comment être certains que nos conversations
restent confidentielles ? Comment savoir si Skype n'a pas, ou ne va pas permettre à la police chinoise
d'épier ses clients. Passer les nouvelles technologies au crible de la morale, en comprendre les
effets secondaires, est devenu une nécessité. Si les entreprises et les Etats démocratiques continuent de
se renvoyer la balle, chacun se défaussant sur l'autre de ses responsabilités éthiques, nous entrerons bientôt
dans une ère de surveillance généralisée des communications.
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