A Ben Ali qui m’a promu ennemi public numéro 1
Organisation :
Je suis un homme très endetté…, très embêté. Parce que « fauché ». Comment rembourser mes créanciers ? Je leur dois ma chemise, mes lacets et le peu de peau qui me reste. Je ferai comme quand j’étais môme, quand j’étais puni et qu’on m’enfermait ; j’écrivais. J’écrirais. Bouabana, le peintre maudit, payait avec ses toiles. Picasso aussi. Moi, avec les mots. Qui a dit : « mon âme toute entière est un cri et mon œuvre toute entière est l’interprétation de ce cri. » Je suis un cri. C’est pour ça que je crois avec Stephen Haggard qu’il n’y a que l’amitié qui peut nous consoler, nous les gais inconsolables.
C’est pourquoi je crois
L’amitié plus grande que la vie
Plus longue que l’amour,
Et qu’elle réchauffe l’esprit
Une fois le corps devenu froid.
Pour William Bourdon l’enfant naturel de la Boètie, Hélène Flautre la survolante, François Gèse mon inconditionnel, Jean François Juliard ma découverte, Daniel Mermet ma voix, Azza my little big woman, ma sœur Najet ma Black Mumba, Saida ma nourricière, Fethi mon Lucas Brasi, Jalel mon Spartacus, Slah Hnid l’Allemand, Khaled Ben M’Barek, Kamel Jendoubi, Kamel Laâbidi, Sidi El Hédi, Arnaud Viviant mon Blues, Oum Zied ma mère, Slim Boukhdhir, Moncef Marzouki mon mentor, Haythem Manaâ le brave, Khemais Chammari mon Kissenger, Lumumba, mon beau frère Khemais, Rania ma petite, Khadija et Ali, mes petits hommes ; pour eux, tous, je crie A M I T I E.
Jacques Chirac, Robert Menard, le Monde d’Edwy Plenel, Florence Aubenas, Chawki Tabib et Sihem Bensedrine m’ont manqué terriblement. Ce fût un temps. Les temps de la Faim et des Titans. C’est à ces hommes parmi les hommes que je me mets debout tel un soldat devant un général. Ne sont-ils pas pétris eux aussi de la même terre que moi et n’ont-ils pas laissé la même trace rouge sur les pierres. Ce sont mes gouttes de sang qui jalonnent mon chemin. Ils m’ont appris que tout homme digne d’être appelé fils de l’homme se doit de monter à son Golgotha. Ils n’ont cessé de me tyranniser et de me cingler avec le mot Montée. Sans eux, je serai un pou parmi les poux.
Que serais-je sans les autres ?
Les autres mon paradis
Ma miche de pain
Ma gourde d’eau
Mes poumons qui respirent quand j’arrête de respirer
Ma liberté quand je suis embastillé
Ma plume quand la mienne est brisée,
Ma parole quand je suis muet
Mes yeux quand le jour n’arrive plus,
Mes oreilles pour m’indiquer d’où vient le bruissement de l’Echappée…
Merci à Mes frères inaperçus, mes codétenus, tous analphabètes mais poètes : Rabii, Hassib, Labnin, Rabeh, Tarek et les autres qui ont réduit mes 180 jours de détention à une balade romantique :
Ya Zaâra, à la fraise sculptée
Trésor, ta cerise me fait souffrir
Mets ta lèvre sur ton bijou
Et laisse Dieu me damner
Pour ces vers lointains, je récidive. En prison, j’avais uniquement besoin de quelqu’un avec qui rire. C’est comme ça que nous étions : tout le temps pliés en deux.
Reconnaissance de dette à ceux qui ont fait l’affaire Ben Brik – 2009-2010 : le Nouvelobs.Com, Mediapart, Rue 89, le Courrier International, l’Humanité, El Watan et Kalima. Ce sont eux qui ont hébergé mes missives-coupables tout le long de la campagne électorale.
A Christohe Gougounou, Pierre Puchot, Edwy Plenel, Pierre Cherriau, Philippe Thureau – Dangin, Hassen Zerrouky, Pierre Haski. A Christophe Ayad et Jean Pierre Tuquoi qui n’ont pas réussi à me dégoter un « Rebonds » ou un « Horizon ».
Reconnaissance de dette à El Jazira, ce pays pour ceux qui n’ont pas de pays. A Tunisnews, El Mawquif, Takriz, Tunisie Reveille-toi. Good morning Vietnam.
Merci à mes compagnons de Zéro heure. Devant le poste de police d’El Manar II, le jour de ma « reddition », 29 octobre, j’ai été accompagné par mes guerriers, les sages de la ville, mes chamans, tel un bandit d’honneur qui se rend. Il y avait Néjib Chebbi, Rachid Khechana, Am Ali Ben Salem, Ayachi Hammami, Mohamed Abbou, Jalloul Azzouna, Radhia Nasraoui, Mahmoud Dhaouadi, Sihem Bensedrine, Oum Zied, mes frères Jalel et Fethi et ma sœur Saida. Slim Boukhdhir a raté le rendez-vous. La nuit, la police secrète l’a « tabassé » à mort. Un autre grand absent : Hamma Hammami. Il est en cavale.
A mes avocats qui ont plaidé ma « culpabilité » : le bâtonnier Bechir Essid, le bâtonnier Abdessatar Ben Moussa, Taieb Jallali et ses enfants, Naceur Laâouini, Chawki Tabib, Raouf Ayadi, Abderrazek Kilani, Chokri Belaid, Mokhtar Trif, Anouar Kousri, Cherni, Faouzi Jaballah, Bochra Bel Hadj Hamida, Mohamed Nouri, Najet Laabidi, Saida Garag, Houcine Bardi, Léa Forestier, Ayachi, Abbou, Radhia, Chebbi et les quarante autres robes dont j’ai oublié la couleur.
A tous ces drôles de sigles : RSF, CPJ, FIDH, HRW, LTDH, CNLT, SJT, FIJ, Pen Club, IFEX, ATFD, la Fondation Samir Kassir, FTCR, CRDHLT, Amnesty International , OMCT, Liberté et Equité , Nations Unis, Parlement européen…
A Souhyr Belhassen, Eric Godchtein, Michèle Rieu, Jalel Matri, Karine Gantin, Malika Zediri, Marie Christine VergiatTarek Belhiba, Omar Mestiri, Gilles Perault, Lotfi Hajji, Zeineb Farhat, Mohieddine Cherbib, Tahar Ben Hassine, Soasig Dollet, Nizar Ammami, Adel Ghezala, Fahem Boukadous, Zouheir Makhlouf, Khalti Rachida, Ahlem Belhaj, Nefissa, Fatma, Rym M, Khalti Khalwia, Halima, Akram…
A ceux que j’oublie, aux cousins, aux copains, aux voisins, aux gros bras et petites mains qui ont tissé ma toile.
A Oumeya Seddik pour avoir traduit mon texte: Le poète et le tyran.
Reste la constellation. Reste ceux qui ont fait que je sois une image planétaire, 180 jours et plus durant. Je veux parler de mon bouclier médiatique. Les journalistes. La confrérie des hors la loi. A William Bourdon qui m’a demandé : « pourquoi se démènent-ils tant pour toi ? » J’ai répondu : « je suis leur frère d’armes. Je suis tombé sur le champ de bataille. Ils ne peuvent pas me laisser aux mains de l’ennemi. Je suis leur prince Koubatzov. Jessie James en quelque sorte ».
La France tout d’abord où j’ai dans chaque mirador une sentinelle-ami. Au Nouvel Observateur, au Courrier International, au Monde, à Libé, au canard Enchainé, à l’AFP, à l’Humanité, au JDD, au Parisien, à Marianne, à Charlie Hebdo, à Siné Hebdo, à l’Express, au Figaro, aux Inrrockuptibles, à Regards, aux échos, à Mediapart, à Rue 89, à la Croix, à Bakchiche...
A France2, France 3, TV5, France 24, Canal+, TF1, ARTE. RFI, FRANCE info, France Inter, France Culture, Europe 1, RTL, Radio Monte Carlo, Radio Orient.
Reconnaissance de dette à Philippe Val, Jérome Bony , Regis de F3, Laurent lejop, Florence beaugé, Julia Ficatier, Rosa Missaoui, Frederic Martel, Karim Sarroub, Sébastiem, Rémy Sulmon , Sylvie de F24, Emmanuelle Cosse, Gérard Biard, Slim Bagga, Nadijia Bouzergane…
La France est la base d’où sont partis mes escadrons. L’entrée, cette fois-ci, de la presse américaine a été foudroyante. Je croyais que mon frère Jalel bluffait, lorsqu’il me rapportait chaque semaine que le New York Times, le Los Angeles Times et le Washington Post écrivait sur l’affaire TBB. La presse américaine, c’est mon général cinq étoiles. Patton en personne. Même Obama, le président de tous les présidents en frémirait.
Il y a eu aussi la presse allemande, le Frankfurter, le Berliner et tous les Zeitung de la Prusse. Les Suisses aussi n’ont pas démérités : le Courrier, Info-sud, le Temps, la Tribune de Genève, 24 h…
La Belgique reste aux mains du légendaire Baoudoin Loos. Contre l’oubli, mon oubli. El Pais, la Stampa, The Independant étaient là.
L’Algérie de Omar Belhouchet, Dilem et Chawki Ammari, le Maroc d’ALI Lmrabet , le Liban d’Eskander Habach n’ont pas cessé de harceler les arrières de Ben Ali.
Mais le véritable coup de berger, je le dois à El Jazira. Durant mes 180 jours de détention, le monde ne ratait pas le feuilleton Ben Brik.
Pour l’histoire, mon histoire n’aurait jamais éclaté s’il n’y avait pas le coup de gueule de Bertrand Delanoé, maire de Paris, et le « j’accuse » de Bernard Kouchner. Ca leur a couté cher. Tunis fait toujours la gueule à Paris. Il règne encore un froid polaire entre les deux capitales.
Reconnaissance de dette à l’Elysée d’avoir reçu mon avocat William Bourdon
Reconnaissance de dette à l’ambassadeur des Etats Unis, de Belgique et d’Allemagne qui éclairaient leurs gouvernements sans diplomatie.
Reconnaissance de dette à Obama et Hillary Clinton pour avoir toisé sans ménagement Notre Zine local. Ils ne sont pas allés de main morte. Une première. Pourvu que ça dure.
A Noel Mamère qui m’a compris, à Daniel Cohen Bendit qui a trimé, à Martine Aubry qui m’a salué, à Marie Georges Buffet qui a hissé la « bandierra rossa » mes amitiés.
A Alain Kérivin mon frère ainé.
Reconnaissance de dette à Jean Daniel pour avoir misé sur moi.
A Rachid Taha et Isabelle Adjani qui ont parrainé mon « Ben Brik, le léopard, le salopard ».
Jamais Ben Ali n’a connu une campagne médiatique aussi cruelle. Elle dépasse de loin, dans sa cruauté, celle de 2000.
Ce n’est qu’un au revoir. A l’orée, une nouvelle bataille :
Guerrier ne prête pas le flanc
Sois aux aguets
Les balles sont réelles
Charge et replie-toi
La poudre est à ton chevet
Face à la mort, prend rendez-vous
TAOUFIK BEN BRIK
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Updated on
20.01.2016