Bahrein: des journalistes accusés sans preuve mais lourdement condamnés
Accusés de terrorisme sans preuve tangible, un blogueur a été condamné à la prison à vie et un journaliste à 15 ans de prison. Reporters sans frontières (RSF) dénonce ces condamnations arbitraires et une situation de plus en plus inquiétante pour la presse dans le royaume du Bahreïn, où l’accès à l’information est de plus en plus limité et les journalistes emprisonnés sont également victimes de mauvais traitement.
“La presse libre est étouffée au Bahrein” dénonce Alexandra El Khazen, responsable du bureau Moyen-Orient. “La répression à l’encontre des voix critiques s’intensifie, et les espaces de liberté sont de plus en plus réduits. RSF tire la sonnette d’alarme et demande aux autorités bahreinies de cesser les arrestations et condamnations arbitraires à l’encontre de journalistes et de blogueurs, notamment au prétexte de la lutte contre le terrorisme ”.
Pour “soutien à des activités terroristes”, le blogueur Ali Mearaj et le journaliste Mahmoud Al Jaziri ont respectivement été condamnés, le 30 octobre dernier par la Haute Cour Pénale, à la prison à vie et à 15 ans de prison. Les raisons pour lesquelles les deux journalistes se sont retrouvés impliqués dans ce procès pour terrorisme, impliquant en tout une dizaine de personnes, demeurent totalement obscures et ils ont été, d’après leurs avocats, condamnés sans preuve tangible. Par ailleurs, selon des informations recueillies par RSF, la défense, qui prévoit de faire appel, n’a toujours pas pu prendre connaissance du verdict final dans sa version écrite et donc définitive.
Après 27 mois de détention pour “mauvaises manipulations des technologies de l’information” et “insultes au roi” pour l’administration d’un site de l’opposition, le blogueur Ali Al-Mearaj a de nouveau été arrêté le 5 juin 2016, avant de se voir poursuivi dans cette affaire de terrorisme. Mahmoud Al Jaziri, journaliste du quotidien indépendant Al Wasat - suspendu depuis le 4 juin dernier- a pour sa part été arrêté le 28 décembre 2015 à son domicile et s’est également retrouvé poursuivi pour terrorisme à partir de juin 2016.
Les deux journalistes ont également été déchus de leur nationalité. Une pratique de plus en plus fréquente selon des organisations bahreinies basées à l’étranger et dont a été notamment victime le photographe freelance et lauréat de nombreux prix internationaux, Sayed Ahmed Al Mousawi.
Pour réduire la presse au silence, les autorités bahreinies n’hésitent pas à forger des accusations de toute pièce. C’est ainsi que le journaliste sportif du club Al Riffa Hassan Ghareeb, condamné en septembre 2015 en première instance à cinq ans de prison pour participation à une attaque contre un checkpoint de police alors qu’en fait il couvrait un match dans un club, vient de voir sa peine maintenue en appel le 30 octobre dernier.
Mauvais traitements en prison
Les journalistes condamnés doivent également faire face à de très mauvaises conditions de détention. Selon nos informations, le photographe Ahmed Humeidan souffre d’une infection à l’oeil et malgré l’examen et la prescription du médecin de la prison, il se voit refuser des soins adaptés au prétexte d’un souci de sécurité pour le transférer dans un hôpital spécialisé. Détenu depuis décembre 2012, il avait été condamné par la Cour d’appel de Manama en septembre 2014 à dix ans de prison pour implication dans une attaque contre un commissariat de police selon l’acte d’accusation, alors qu’il n’était pas sur les lieux ce jour-là.
Le célèbre défenseur des droits humains et blogueur Nabeel Rajab a été pour sa part transféré fin octobre vers la prison de Jau, celle même qu’il critiquait dans ses tweets en dénonçant la pratique de la torture. D’après les informations recueillies par RSF, il est maintenu à l’isolement, subit des pratiques humiliantes en plus d’avoir un accès limité à des vêtements, des livres ou encore aux visites.
Durcissement envers la presse internationale
La presse bahreïnie n’est pas la seule à être progressivement réduite au silence. Alors que les autorités ont suspendu de manière arbitraire en juin dernier le dernier média local indépendant, Al Wasat, les restrictions à l’encontre de la presse étrangère se renforcent parallèlement depuis l’an dernier. Désormais, les agences et médias tels que l’Agence France Presse (AFP), Reuters, l’Associated Press (AP) et France 24 (et la radio MCD) n’ont plus de correspondants accrédités sur le terrain. C’était déjà le cas des chaînes Al Jazeera depuis 2011, ou encore CNN et BBC .