Aveux, arrestations et campagne anti-média

« Bismillah, al-rahman al-rahim. Moi, je reconnais avoir manifesté sous l’influence de la BBC, de la radio Voice of America et d’autres médias étrangers. » C’est par ces mots que s’ouvre depuis une semaine le journal du soir sur la chaîne publique iranienne. Les aveux de manifestants passent en boucle, diffusés à toutes les heures du jour et de la nuit, pour montrer aux Iraniens combien les contestataires sont sous l’influence des agents de l’Occident, et participants à un “complot orchestré“ contre la République islamique d’Iran, confirmant ainsi les propos du Guide suprême de la Révolution. Reporters sans frontières condamne ces méthodes qui visent à dénigrer les médias étrangers, déjà confrontés à de multiples entraves, et dont les journalistes et les collaborateurs se trouvent de fait exposés aux possibles violences des partisans du régime. Les journalistes iraniens continuent eux aussi à être pointés du doigt. En réaction à cette diabolisation, 180 journalistes ont écrit, le 23 juin, une lettre ouverte adressée aux responsables et au peuple iraniens, dénonçant la situation « déplorable et critique » des médias en Iran, et demandant aux autorités de respecter la Constitution, et de lever les interdictions qui pèsent sur les journalistes, afin qu’ils puissent remplir leur mission d’information. « Ces intimidations nous empêchent de faire notre devoir », affirment les 180 signataires. Reporters sans frontières condamne l’arrestation, le 22 juin, des vingt-cinq employés du journal Kalemeh Sabz, dont une vingtaine de journalistes. Depuis le 13 juin, suite aux pressions des autorités, ce journal, propriété de Mir Hossein Moussavi, avait cessé de paraître, sans pour autant être officiellement suspendu. La rédaction avait cependant l’intention de reprendre ses activités, et de sortir un nouveau numéro pour le 23 juin. Le 22 juin au soir, des agents en civil du bureau du procureur de Téhéran ont encerclé le siège du journal, arrêtant toutes les personnes présentes. Le soir, Alireza Behshtipour Shirazi, le rédacteur du journal, aurait été arrêté en compagnie de son fils. Quelques minutes avant son arrestation, M. Shirazi avait confirmé, dans une interview à la radio Deutsche Welle, l’arrestation de ses collaborateurs plus tôt dans la journée. « Arrêter toute une rédaction, c’est du jamais vu ! », s’est indignée Reporters sans frontières. Questionné sur l’arrestation des journalistes étrangers au cours des manifestations, le ministre des Renseignements, Mohseni Ejehi, a déclaré qu’« une ou deux personnes, venues rassembler des informations secrètes, ont été arrêtées, mais pas en tant que journalistes. L’une d’elles a vu son matériel confisqué et une enquête a été ouverte à son encontre. » De son côté, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, a annoncé qu’il souhaitait se rendre en Iran, répondant à l’invitation du Prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi. Celle-ci a déclaré à Reporters sans frontières : « Dans différentes rencontres que j’ai eues avec les responsables de l’Union européenne, j’ai insisté pour qu’ils condamnent les violations massives des droits de l’homme en Iran. J’ai également demandé au secrétaire général des Nations unies d’envoyer une mission d’enquête sur place. Je tiens à insister sur le fait que ce n’est pas un conflit politique, mais un nouvel épisode de violations massives des droits de l’homme en Iran. » Le 24 juin à Paris, au cours d’une conférence de presse organisée avec la journaliste irano-américaine Roxana Saberi, Jean-François Julliard, secrétaire général de l’organisation, a réitéré son appel à la libération des journalistes iraniens et étrangers arrêtés. Depuis le 23 juin, l’Agence France-Presse diffuse sur son forum d’images des photos prises pour Reporters sans frontières par des photographes iraniens. Reporters sans frontières a appris la libération, le 18 juin 2009, de deux journalistes, Hamideh Mahhozi et Hossin Shkohi arrêtés le 16 juin dans la ville de Bushehr (sud-ouest de l’Iran). Le cyberdissident, Kaveh Mozafari, arrêté en marge des manifestations du 1er mai, a été libéré le 24 juin, après le versement d’une caution de 50 millions tomans (environ 45 000 d’euros). Journalistes toujours sous les verrous depuis le 12 juin: Le 14 juin 2009 : - la cyberdissidente Somaieh Tohidlou (http://smto.ir) - Ahmad Zeydabadi, - Kivan Samimi Behbani, - Abdolreza Tajik, - Mahssa Amrabadi, - Behzad Basho, le caricaturiste - Khalil Mir Asharafi - Karim Arghandeh, journaliste pour les journaux réformateurs Salam, Vaghieh etafaghieh, et blogueur (http://www.futurama.ir/) a été arrêté à son domicile de Téhéran. - Shiva Nazar Ahari, cyberdissidente et activiste des droit de l’homme (voir son blog : http://azadiezan.blogspot.com), a été arrêtée à son domicile de la capitale Le 15 juin 2009 : - Mohamad Atryanfar, directeur de plusieurs publications comme Hamshary, Shargh, Shahrvand Emrouz, aurait été transféré à la section de sécurité de la prison d’Evin. - Saïd Hajarian, ancien directeur du journal Sobh-e-Emrouz, a été arrêté par les forces de l’ordre dans la nuit du 15 au 16 juin à son domicile de Téhéran, alors même qu’il est handicapé. - Mojtaba Pormohssen, journaliste pour plusieurs journaux réformateurs, collaborateur à la radio Zamaneh et rédacteur en chef du journal Gilan Emroz, a été arrêté à Rashat (nord du pays). Le 16 juin : - Mohammad Ali Abtahi, surnommé “Mollah blogueur“, a été arrêté à son domicile de Téhéran. Son blog : http://www.webneveshteha.com/. - Amanolah Shojai, journaliste et blogueur, arrêté à Bushehr - Mashalah Hidarzadeh, arrêté à Bushehr - Fariborez Srosh, journaliste indépendant, aurait également été arrêté ce jour-là. Dans le passé, il avait déjà arrêté et emprisonné du fait de sa collaboration avec Radio farda (Radio Free Europe). Le 17 juin : - Saide Lylaz, journaliste au journal Sarmayeh, a été arrêté à son domicile de la capitale. Ce spécialiste des questions économiques s’est montré très critique envers la politique d’Ahmadinejad. - Rohollah Shavar, journaliste de la ville de Mashad, est détenu depuis la même date. Le 18 juin : - Mohammad Ghochani, rédacteur en chef du quotidien Etemad Meli, propriété de Mehdi Karoubi, l’un des candidats d’opposition à Mahmoud Ahamadinejad, a été arrêté à Téhéran, à deux heures du matin. Le 20 juin : - Ali Mazroui, président de l’Association des journalistes iraniens, a été arrêté dans la matinée. - Bahaman Ahamadi Amoee et son épouse Jila Baniyaghoob ont été arrêtés à leur domicile à minuit, suite à une perquisition d'agents en civil du ministère du Renseignement. Lauréate en 2009 du Prix du Courage en journalisme, décerné par la International Women's Media Foundation, Jila Baniyaghoob dirige un site d'informations de tendance féministe, Canon Zeman Irani (http://irwomen.net). Son mari, Bahaman Ahamadi Amoee, collabore à plusieurs publications proches du courant réformateur. Le 21 juin : - Le correspondant de l’hebdomadaire Newsweek, Maziar Bahari, a été arrêté par les forces de la Sécurité à son domicile à 7 heures du matin. Le 22 juin : - Mostafa Ghavnlo Ghajar, collaborateur de plusieurs journaux et spécialiste des « médias étrangers » à la Radio Goftogo, a été arrêté à son domicile. Son blog est consultable sur : http://www.ghajar.ir/. - Iason Athanasiadis, journaliste gréco-britannique pour le Washington Times - 25 collaborateurs et professionnels des médias du Kalemeh Sabz arrêtés, dont Alireza Behshtipour Shirazi, le rédacteur
Publié le
Updated on 20.01.2016