Autant de violences policières en France en deux mois qu’en deux ans : RSF attend une réponse forte des autorités

Depuis deux mois, les reporters couvrant la mobilisation sociale, principalement contre la réforme des retraites, ont subi presque autant de violences policières qu’au cours des deux dernières années. Reporters sans frontières (RSF) appelle à une réponse forte sur le plan politique, administratif et judiciaire.

Depuis début mars 2023, mois au cours duquel la réforme des retraites a été définitivement adoptée par le Parlement, RSF a recensé presque autant de cas de violences policières (15 cas) qu’au cours des années 2021 et 2022 (16). La plupart de ces agressions physiques ont été commises lors de manifestations contre la réforme des retraites, mais plusieurs incidents ont aussi été signalés lors du regroupement contre les méga-bassines à Saint-Soline le 25 mars et les manifestations du 1er mai.

Cette hausse importante des exactions s’accompagne d’une inversion de tendance. Alors que ces deux dernières années, la majorité des journalistes agressés l’avaient été par des  manifestants ou des individus violents (70 % en 2021 et 81 % en 2022), depuis le début de l’année 2023, 63 % des violences sur les journalistes en France sont le fait des forces de l'ordre. Bien que clairement identifiables en tant que reporters, ils ont été matraqués, plaqués au sol, ou ciblés directement par des tirs de grenades et de gaz lacrymogène.  

Ces violences ont fait plusieurs blessés parmi les journalistes. L’un des cas les plus graves est celui de Paul Boyer qui a eu les os d’une main broyés et un traumatisme crânien suite à une intervention de la BRAV alors qu’il était parfaitement identifiable lors d’une manifestation parisienne le 23 mars. En plus d’être agressés physiquement, de nombreux reporters ont été intimidés, insultés et entravés par des agents des forces de l’ordre, parfois dans le but de les dissuader de leur travail. À Rennes, la photographe Anna Margueritat de l’agence Hans Lucas, témoigne de la façon dont un membre des forces de l’ordre l’a braquée à hauteur du visage avec son lanceur de balles de défense (LBD). Pour avoir simplement signalé une pratique dangereuse, elle a ensuite été menacée d’interpellation pour outrage.

Le bilan de ces deux derniers mois est glaçant. Nous exhortons le ministre de l'Intérieur à faire un nouveau rappel officiel et solennel aux forces de l'ordre de leur obligation de protéger les journalistes et leurs droits, conformément aux dispositions prévues par le Schéma national de maintien de l’ordre (SNMO). Nous demandons aussi aux autorités administratives et judiciaires de poursuivre les auteurs des violences policières et de ne pas laisser des atteintes manifestes au droit d’informer impunies.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans

Malgré le rappel, à la demande de RSF, des dispositions prévues par le SNMO par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui a évoqué, dans une note datée du 21 avril,  “la place particulière des journalistes au sein de ces rassemblements”, de nouveaux incidents ont été signalés. 

Lors des manifestations du 1er mai, plusieurs journalistes clairement identifiés “Presse” ont été la cible de violences. C’est le cas de Rémy Buisine, de Brut, qui a été matraqué puis a reçu un coup de pied alors qu’il se trouvait à terre, après avoir été heurté par un bouclier. Le même jour, le photojournaliste Marc Chaumeil a également été frappé et jeté à terre, son matériel a été en partie détruit. 

Interpellations arbitraires

Les interpellations arbitraires (non comprises dans les statistiques des violences policières citées plus haut) se multiplient également. Au moins cinq professionnels de la presse ont été interpellés depuis le début de l’année. Le journaliste de Radio BIP / Média25 Toufik-de-Planoise a ainsi été retenu en garde-à-vue durant neuf heures, le 26 avril, après avoir photographié des manifestants sur une voie ferrée à Besançon. Un mois auparavant, le reporter Clément Baudet avait été détenu pendant 28 heures au prétexte de porter des traces d’un produit de marquage codé, tiré par les forces de l’ordre lors des affrontements de Sainte-Soline. 

Ces violences ont un impact durable sur les journalistes et la couverture des manifestations. La reporter  de Rue89Lyon, Laure Solé, victime d’une bousculade et d’un coup de matraque ne cache pas son inquiétude. “Malgré tout notre équipement pour être reconnaissable y compris au sein de la foule, les forces de l’ordre semblent taper dans le tas en faisant de moins en moins de distinction.”, explique t-elle. Choquée, elle a renoncé à couvrir la manifestation suivante. D’autres professionnels des médias, comme le journaliste indépendant Adrien Adcazz, qui a dû se faire opérer après avoir reçu un éclat de grenade de désencerclement dans la jambe à Sainte-Soline, s’interrogent désormais sur le fait de continuer ou pas à couvrir les manifestations. 

Depuis 2019, RSF a porté plus d’une vingtaine de plaintes devant la justice dans le but de voir les auteurs de ces exactions sanctionnés. Ces démarches doivent permettre de rendre justice pour ces violences arbitraires et d’appliquer les droits des journalistes mentionnés dans le SNMO.

Selon le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023, la France se situe à la 24e place sur 180 pays.

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