Attentat contre des journalistes en Afghanistan : “C’est la plus grosse attaque qui nous cible depuis des mois”

Un attentat à la bombe a frappé une cérémonie en l’honneur de la presse à Mazar-e Charif, le 11 mars, tuant au moins deux journalistes et en blessant quinze autres. Après avoir recueilli le témoignage de reporters présents lors de l’attaque, Reporters sans frontières (RSF) demande au gouverneur compétent de traduire les auteurs de l’attentat devant la justice.

“Il est extrêmement choquant de voir des journalistes visés pour la seule raison qu’ils sont journalistes. Dans ce contexte, nous demandons au gouverneur Haji Mohammad Yousuf Wafa, qui assure l’intérim de l'administration locale, d’identifier au plus vite les auteurs de cet attentat afin qu’ils répondent de leurs actes devant un tribunal, par souci de justice pour les deux reporters tués et pour tous les autres professionnels des médias blessés.

Daniel Bastard
Responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF

Trois jours après l’attaque, le souvenir de la déflagration est encore assourdissant. “La cérémonie a débuté vers 10h40, des enfants ont entonné un hymne vers 10h50. C’est là que la bombe a explosé", se souvient le photojournaliste indépendant Atif Aryan.

"Nous nous sommes tous écroulés, et nous avons tenté de ramper en cherchant une sortie ce qui était d’autant plus compliqué qu’on était dans un sous-sol. Les mesures de sécurité étaient inexistantes. Nous sommes encore sous le choc.”

C’est lors d’une remise de prix organisée pour célébrer une “Journée des journalistes afghans” qu’une centaine de personnes s’étaient réunies samedi 11 mars au centre culturel chiite de Tabyan, à Mazar-e Charif, la grande ville du nord de l’Afghanistan, capitale de la province de Balkh. Un colis piégé, placé dans le sous-sol où se tenait la cérémonie, a explosé, tuant sur le coup un agent de sécurité.

Double peine

Au moins 17 journalistes présents ont été blessés. Deux d’entre eux n’ont pas survécu : le reporter Sayed Hussain Naderi, de l’agence Ava Press, et son assistant Akmal Tabian, étudiant en journalisme, ont été déclarés morts le lendemain de l’attaque. 

Revendiqué par l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) dans un communiqué publié par son organe de propagande, l’agence Amaq, l’attentat visait “des journalistes travaillant dans des agences impliquées dans la guerre contre l'État islamique", selon l’organisation terroriste.

“C’est une attaque unique en son genre, et la plus grosse qui vise notre profession depuis des mois”, estime Arif Karimi, le directeur de l’organisation Nai - Soutien aux médias libres en Afghanistan. Interrogé par RSF, il met l’accent sur la double peine qui vise les journalistes présents lors de l’attaque de Mazar-e Charif :

“Après l'explosion, les journalistes, même blessés, ont subi des interrogatoires des forces de sécurité. Les autorités chargées du maintien de l’ordre doivent savoir que ce type d’interrogatoire ne peut être conduit que dans le cadre du respect des procédures pénales. Les journalistes ne devraient pas être considérés comme des suspects alors qu’ils sont clairement victimes.”

Selon des informations vérifiées par RSF, le matériel et les effets personnels de tous les journalistes présents ont été confisqués par les autorités talibanes locales. Trois jours après l’attaque, certains n’ont toujours pas repris possession de leurs appareils photo ou vidéo.

Guerres de factions

L’attentat contre les journalistes a été précédé, le 9 mars à Mazar-e Charif, d’une attaque-suicide qui a tué le gouverneur de la province de Balkh. Celle-ci a été revendiquée par l’État islamique au Khorasan (EI-K), une branche du groupe terroriste présente en Asie du Sud et concurrente de l’EIIL.

En plus de faire les frais des guerres de factions au sein des militants de l’État islamique, les journalistes afghans sont parmi les premières victimes du gouvernement taliban depuis sa prise de pouvoir à Kaboul le 15 août 2021.

Selon les informations de RSF, plus de la moitié des 526 médias actifs dans le pays au cours des deux dernières décennies ont été forcés de fermer leurs portes. La presse écrite est désormais contrôlée entièrement par les talibans et près de la moitié des radios ont cessé leurs activités. Sur les 30 portails d’information en ligne que comptait l’Afghanistan avant août 2021, près de 60 % ont mis la clé sous la porte et la plupart d’entre eux ont dû s’exiler.

 

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