Atteintes aux médias et censure en marge de Bersih 3.0; la société civile se substitue aux médias

Reporters sans frontières condamne les violences à l’encontre des professionnels des médias et la censure de programmes de télévisions étrangères, en marge du rassemblement citoyen de Bersih 3.0, le 28 avril 2012. L’organisation s’est dit très preoccupée par le fait qu’un tel évènement ait été aussi peu couvert par les médias, notamment Utusan Malaysia, New Straits Times et The Star. Comme le signale le Centre for Independent Journalism (CIJ), les statistiques sur la couverture médiatique de Bersih 3.0 témoignent du manque d’indépendance de la presse écrite malaisienne. Sa couverture insatisfaisante et inexacte est en contradiction avec la montée de la Malaisie dans les classements globaux sur la liberté de la presse et les promesses de libéralisation illustrées par les récents amendements du Printing Presses and Publications Act (PPPA). L’attitude des médias, potentiellement sujets à des interferences du gouvernement et des partis politiques propriétaires des journaux, suscite de grandes inquiétudes alors qu’une écheance cruciale, les élections générales, se profile. Contexte de la manifestation et présence de médias et d'observateurs En amont des élections législatives en Malaisie, la coalition de Bersih (ou Coalition pour des élections justes et libres), qui reproche au gouvernement son manque de transparence électorale, a appelé à un 3ème rassemblement, initialement prévu sur la place de l'Indépendance (Dataran Merdeka), dans le centre de Kuala Lumpur, ainsi que dans d'autres endroits du pays. La coalition regroupe différentes organisations de la société civile telles le Center for Independant Journalism (CIJ), la Malaysia Youth and Students Democratic Movement ou le Bar Council. Un correspondant de Reporters sans frontières a également accompagné le défilé avant de se retrouver au cœur des manifestations et de recenser des violations à l'encontre des médias. Pour ce troisième rassemblement, le port du tee-shirt de Bersih (de couleur jaune) n'a pas été banni. Les leaders de Bersih avaient planifié un sit-in (duduk Bantah) de 14 heures à 16 heures sur la place de l'indépendance, mais l’accès au lieu a été interdit par les autorités de la ville (DBKL). Un ordre de la court interdisant les manifestants d'investir le lieu a été émis deux jours avant les manifestations. Le défilé est parti vers 13 heures 40 en direction de Dataran Merdeka, fermée depuis la veille par des barricades en plastiques (type barrage routier), et des fils barbelés. En tête, à coté des leaders de Bersih, figuraient plusieurs journalistes et des observateurs du Bar Council. Dans l'après-midi, après que les manifestants ont atteint les abords de la place de l'indépendance, des échauffourées avec les autorités ont éclaté. Quand les barricades ont été forcées par les manifestants, les forces anti-manifestation (FRU), rassemblées de l'autre coté, ont laissé place aux camions anti-émeutes, équipés de lance à eau qui, une fois mises en marche, ont projeté un mélange d'eau et de produits chimiques irritants, similaires au gaz lacrymogène. Brutalité et Arrestations Le vice-président du barreau malaysien, Christopher Leong, dans un communiqué de presse publié après les manifestations, a rappelé que le ministre de l'Intérieur avait annoncé, avant les manifestations, que le rassemblement de Bersih 3.0 ne constituait aucunement une menace à la sécurité. Des observateurs du Bar Council ont assisté à des actes de violence de la police, des agressions et des arrestations. Selon les observateurs, l'attitude de la police était "de nature punitive": "Les attaques contre plusieurs professionnels des médias, locaux et internationaux, la confiscation et/ou la destruction d'enregistrements vidéos et de photos, témoignent d'une volonté de masquer ou d'empêcher une couverture complète et précise du rassemblement de Bersih 3.0 et des actions de la police en réponse aux manifestants", indique le communiqué de presse du barreau malaisien. Le journaliste Harry Fawcett d’Al Jazeera a été contraint de couvrir la manifestation à l'aide de l'application Skype sur son iPad, après que la police malaisienne a "endommagé" la caméra de son équipier. Il a déclaré avoir été temoin de scènes de violence de la part de la police, assenant "coups de pied, gifles et de poing" à plusieurs manifestants. Si la correspondante de Reporters sans frontières n'a pas subi d'agression physique et a juste été empêchée, de manière ferme, de monter sur un point élevé pour prendre des photos de la foule, plusieurs violences ont été rapportées par des membres du barreau malaisien, notamment le matraquage d'un avocat dans un fourgon de police, après son arrestation. Une jeune fille a reçu des coups à la tête avant d’être secourue par un membre du barreau. Selon le CIJ, un journaliste a été gravement blessé. Il présente une côte cassée et pourrait souffrir de blessures internes. Contactée par téléphone par Reporters sans frontières, Chen Shaua Fui, journaliste à Merdeka Review a raconté avoir été violentée par des policiers alors qu'elle essayait de prendre des photos de deux manifestants en train de se faire battre par des policiers : "Deux hommes en jaunes dînaient assis dans un petit restaurant de la rue Jalan tun Perak. Il était 19 heures et la majorité des manifestants s'était déjà dispersée. J’étais de l’autre côté de la rue quand j’ai vu deux policiers se diriger vers eux et commencer à les frapper. J’ai alors sorti mon appareil photo et j’ai été sommée de ne pas m’en servir. J’ai dit que j’étais journaliste mais les policiers m’ont menacé. Je me suis alors dirigé dans la ruelle adjacente. Et j’ai été de nouveau témoin d’une scène similaire. Cette fois-ci mon appareil photo déjà en main, j’ai commencé à prendre des clichés. 4 policiers se sont dirigés vers moi. Et tandis que l’un m’insultait, deux autres ont tenté de m’arracher mon téléphone des mains et mon appareil photo. Un troisième policier a violemment tiré sur mon sac à dos. Ils m’ont insulté mais, dans la confusion, je ne me rappelle pas leurs propos. J’ai crié à plusieurs reprises que j’étais journaliste mais en réponse, ils ont arraché et jeté mon badge de presse par terre. Je leur ai demandé à plusieurs reprises si j’étais arrêtée mais ils n’ont pas répondu, je crois qu’ils voulaient juste me donner une leçon. J’ai réussi à leur échapper et j'ai couru reprendre mon badge. Je ne sais pas si je vais porter plainte. Cela ne sert à rien ici." Selon des sources médicales qui se trouvaient sur place, il y aurait eu 417 arrestations et 117 personnes ont dû être emmenées à l'hôpital. Couverture quasi inexistante et désinformation D'une manière générale, la presse alternative et les blogs ont largement exploité et couvert les violences, même si elles n'ont pas réussi à toutes les dénombrer. Cependant, le Centre for Independent Journalism (CIJ), dans un communiqué de presse publié le 26 avril, a attiré l'attention sur la réduction drastique de la couverture des manifestations par la presse écrite, en comparaison aux manifestations précédentes. En comparaison avec une période similaire en 2011, la couverture des principaux journaux malaisiens a été très faible, voire quasi inexistante, dans les journaux les plus proches de la coalition au pouvoir. Le CIJ a observé une diminution d'environ 60% pour The Star et The Sun, et de 97% dans le cas d'Utusan Malaysia et du New Straits Times. La couverture de ces deux journaux était largement négative. Anticipant la faible couverture des principaux journaux, le barreau malaisien a déployé environ 80 avocats et des étudiants en droit pour monitorer les événements. Plusieurs de ces observateurs ont indiqué avoir été témoins de violences, notamment de l'usage injustifié de grenades à gaz et de canons à eau, alors que les manifestants n'avaient pas provoqué les forces de l'ordre. À la faible couverture des médias s'est ajoutée la désinformation des autorités, qui ont cherché à dissimuler l'ampleur de la mobilisation à la population. Même si les chiffres de participation émanant des autorités et des organisateurs sont habituellement différents, le fossé entre les chiffres annoncés témoigne d'une volonté de désinformation. Alors que les organisateurs ont parlé de 250 000 personnes, et que le CIJ a mentionné le chiffre de 100 000 personnes, la police de 30 000 tandis qu’un organe de la presse gouvernementale déplore une participation faible, de seulement 4000 personnes. Censure de la BBC Le site d'information Sarawak Report, lancé par la journaliste d'investigation Clare Rewcastle Brown, a révélé que la chaîne satellitaire malaisienne Astro, propriété de MEASAT Broadcast Network Systems, a censuré la couverture vidéo des manifestations par la BBC. Plus de 30 secondes de programme de la BBC World Service (voir la vidéo sur Youtube) ont été rendues inaccessibles aux téléspectateurs. Les scènes concernées par cette censure montraient des policiers en train projeter un mélange d’eau et de produits chimiques contre des manifestants, ainsi que des témoignages critiques envers le gouvernement et la politique du Premier ministre Najib Tun Razak. Selon Sarawak Report, la BBC serait en train d'enquêter sur la chaine Astro et la possibilité d'une censure de ses programmes. En novembre 2009 Astro a reçu le Prix 2009 de la Cable and Satellite Broadcasting Association of Asia (CASBAA) pour sa contribution à l'industrie de la télévision payante dans la région. D'après Sarawak Report, Al Jazeera pourrait avoir été victime d'une censure similaire à celle de la BBC. Des élections générales doivent avoir lieu avant avril 2013 et l'assemblée annuelle de l'UMNO doit se tenir en juillet 2012. Le premier ministre Najib doit renouveler son mandat et obtenir le soutien tant de son parti que des électeurs s’il souhaite conserver sa place tant au sommet de l'État que de son parti. La coalition de Bersih reproche au gouvernement le manque de transparence électorale et a émis des exigences précises quand à la réfome à tenir. L'organisation fut bannie à l'aube de la première manifestation de 2011 et son statut aujourd'hui vis-à-vis des autorités demeure flou. Bersih n'est pas une organisation de parti politique mais est soutenue par la société civile et par l'opposition. Sa présidente, Ambiga, est l'ancienne présidente du Bar Council.
Publié le
Updated on 20.01.2016