Assassinats et disparitions de journalistes : Reporters sans frontières demande au procureur spécial un bilan précis des enquêtes

Reporters sans frontières a écrit au procureur spécial fédéral en charge de la lutte contre les attaques envers la presse, pour lui demander un bilan précis des enquêtes en cours. En cette veille du Jour des Morts, l'organisation rappelle que trente-deux journalistes ont été assassinés et sept ont disparu entre 2000 et 2007. Aucune affaire n'a jamais été jugée.

Monsieur Octavio Alberto Orellana Wiarco
Parquet spécial de suivi des délits commis contre les journalistes
Procure général de la République, Mexico D.F. Monsieur le procureur, Le 18 juillet 2007, une audience à la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de Washington, à l'initiative de neuf organisations de défense des droits de l'homme et de la liberté de la presse - dont Reporters sans frontières -, avait abouti à la prise d'engagements forts de la part des représentants du gouvernement fédéral mexicain alors présents : -un renforcement des prérogatives du Parquet spécial de suivi des délits commis contre la presse (Fiscalia Especial para la Atención de Delitos cometidos contra periodista - FEADP), dont vous assumez la direction depuis février dernier ; -un traitement de ce type d'affaires au niveau fédéral ; -un compte-rendu régulier à la CIDH des avancées des enquêtes en cours ; -une association des organisations spécialisées au suivi des investigations ; D'autres engagements avaient été pris en faveur des médias communautaires et électroniques. Les récentes évolutions de la législation fédérale, allant dans le sens d'une dépénalisation des délits de presse constituent, certes, des avancées pour la liberté d'expression. La promesse, formulée au cours du mois d'octobre par le Président Felipe Calderón, de “fédéraliser” le traitement des attaques contre les médias répond en partie aux engagements adoptés lors de l'audience à la CIDH. Ces efforts ne sauraient pour autant faire oublier l'impunité scandaleuse qui entoure les assassinats de trente-deux journalistes et la disparition de sept autres depuis 2000. Le Mexique s'est même classé au second rang des pays les plus dangereux du monde pour la presse après l'Irak pour l'année 2006, au cours de laquelle neuf professionnels des médias ont été tués. L'enquête sur l'assassinat de Brad Will, jeune cameraman de l'agence de presse alternative Indymedia, abattu le 27 octobre 2007 lors d'un important conflit social et politique à Oaxaca, a révélé des dysfonctionnements à différentes échelles de pouvoir. Selon la famille du journaliste, contactée par Reporters sans frontières, la justice fédérale n'a fait que reprendre les conclusions de l'enquête menée par la justice d'Oaxaca, assurant que la victime a été tuée à bout portant par des militants de l'Assemblée populaire des peuples d'Oaxaca (APPO), alors qu'aucune preuve, ni aucun témoignage n'étayent sérieusement cette hypothèse. Les nombreux témoignages avaient davantage mis en cause des policiers et des fonctionnaires locaux. Ce cas démontre la nécessité d'une reprise des enquêtes au niveau fédéral, loin des pressions politiques de certains gouverneurs ou de leur entourage. A ce titre, la “fédéralisation” du traitement pénal des attaques contre la presse s'impose dans les plus brefs délais. D'autres affaires d'assassinats ou de disparitions ont mis en évidence la difficulté plus fondamentale des autorités policières et judiciaires à frapper au cœur de la criminalité. Au moins la moitié des journalistes tués l'ont été pour s'être intéressé d'un peu trop près aux plaies du narcotrafic, de la contrebande ou de la corruption. Ainsi, Alfredo Jiménez Mota, du quotidien El Imparcial d'Hermosillo, porté disparu depuis le 2 avril 2005. Ainsi, Raúl Gibb Guerrero, directeur du quotidien La Opinión, abattu, le 8 avril de la même année, dans l'État de Veracruz, affaire pour laquelle le principal suspect arrêté, Martín Rojas, leader présumé d'une bande de trafiquants d'essence, n'a jamais comparu. Ainsi, Enrique Perea Quintanilla, fondateur du mensuel d'investigation Dos Caras, Una Verdad, retrouvé torturé et assassiné, le 9 août 2006 dans l'État de Chihuahua, État dont le gouvernement a rejeté, en septembre dernier, une recommandation de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) après l'agression de trois journalistes. Avec les assassinats d'Amado Ramírez, de la chaîne Televisa, le 6 avril dernier à Acapulco, et de Saúl Martínez Ortega, de la revue Interdiario et du quotidien Cambio de Sonora, le 23 avril, auxquels s'ajoutent trois disparitions en janvier et en mai, l'année 2007 a apporté son lot supplémentaire de tragédies dans les rangs de la presse. Aucune de ces affaires n'ont été résolues ni jugées. En cette veille du Jour des Morts, Reporters sans frontières tient à s'associer à l'hommage des Mexicains à leurs journalistes. En vertu des engagements pris devant la CIDH, l'organisation espère de votre part un bilan précis du développement des enquêtes en cours et des gestes forts pour mettre fin à l'impunité. En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette demande, je vous prie d'agréer, Monsieur le procureur, l'expression de mes salutations respectueuses. Robert Ménard
Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016