Assassinat du journaliste Martinez Zogo au Cameroun : révélations sur un crime d’État

Selon les informations obtenues par Reporters sans frontières (RSF), plusieurs membres des services de renseignement camerounais ont été arrêtés et un suspect ayant avoué avoir participé à l’assassinat du journaliste Martinez Zogo assure même que l'actuel garde des Sceaux aurait été le donneur d’ordre.

Plus d’une vingtaine de membres de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) ont été arrêtés ces derniers jours à Yaoundé, la capitale du Cameroun, en lien avec l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, dont le corps mutilé a été retrouvé dimanche 22 janvier. Ces arrestations, qui ont permis de recueillir des dépositions sidérantes, interviennent dans une ambiance de guerre de succession, voire de déstabilisation majeure du régime du président Paul Biya, qui aura 90 ans dans quelques jours.

Le patron du service de contre-espionnage, Léopold Maxime Eko Eko, a lui-même été arrêté. Hier soir, ce dernier niait encore avoir été mis au courant du projet visant à réduire au silence le présentateur d’Amplitude FM. Pourtant, son propre adjoint, le directeur des opérations spéciales Justin Danwe, a fait une déposition saisissante. Dans des aveux rédigés de sa propre main au cours de son interrogatoire, que RSF a pu consulter, celui qui apparaît comme le chef du commando livre un un récit détaillé du plan macabre mis en place pour faire taire le journaliste. Il reconnaît sa propre implication et assure avoir prévenu son supérieur. Un récit accablant qui démontre que l’homicide relève du crime d’État.

Le lieutenant-colonel décrit de manière précise une opération de filature qui a duré une semaine pour connaître les habitudes du journaliste jusqu’à son enlèvement dans la soirée du 17 janvier par des éléments de la DGRE, dont Justin Danwe lui-même, qui a constitué le groupe. Martinez Zogo est alors amené dans un immeuble en construction appartenant à Jean-Pierre Amougou Belinga, un homme d’affaires puissant impliqué, selon le journaliste, dans des opérations de détournements de fonds présumés.

Selon Justin Danwe, Jean-Pierre Amougou Belinga aurait asséné des coups au journaliste dans le sous-sol de son immeuble. L’homme d’affaires aurait alors appelé Laurent Esso, le garde des Sceaux dont il est proche, afin de lui demander quel sort réserver au présentateur radio. D’après ce témoignage, le ministre, un des hommes les plus puissants du régime, lui aurait alors répondu de “finir le travail” pour éviter une nouvelle affaire Paul Chouta, un journaliste laissé pour mort au bord d’une route l’année dernière, après avoir été passé à tabac par un mystérieux commando, qui n’a jamais été identifié.

L’homme d’affaires n’aurait pas assisté à la “fin du travail” que Justin Danwe reconnaît avoir effectué avec ses hommes. Selon des informations obtenues d’une source médicale par RSF, le corps du journaliste a été sévèrement mutilé : doigts coupés, multiples fractures au niveau des bras et des jambes, barre de fer enfoncée dans l’anus…  

L’enquête qui est dirigée par une commission mixte composée de gendarmes et de policiers mis en place sur instruction du président de la République Paul Biya, a donc connu des avancées notables au cours des derniers jours. Jusqu'où ira-t-elle ? Selon nos informations, d’autres personnalités importantes dont plusieurs ministres proches de Jean-Pierre Amougou Belinga pourraient avoir été mises au courant et pourraient même être impliquées dans le projet ayant conduit à l’assassinat de Martinez Zogo. L’issue des investigations demeure très incertaine tant les ramifications de cette affaire remontent au plus haut niveau de l’État dans un contexte décrit par plusieurs sources locales comme quasi insurrectionnel. Un temps annoncé arrêté la nuit dernière, Jean-Pierre Amougou Belinga, est finalement apparu dans l’une de ses sociétés ce matin affichant une sérénité déconcertante compte tenu des accusations pesant contre lui. 

RSF a tenté à plusieurs reprises de joindre le garde des Sceaux Laurent Esso sans y parvenir.

Le Cameroun occupe la 118e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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